Le vieillard n'a plus de famille. Plus, du moins, au sens sanguin et génétique du terme. Ses parents, autant sa mère que son père, sont morts depuis bien des années. Avant certains de leurs enfants, après d'autres. Pour leur plus grand chagrin.
Il est né dans une fratrie de trois autres garçons. D'ailleurs, il est le dernier né. Né à une époque troublée, l'un de ses frères devint un disciple de Zhäa. Ce dernier tua l'un des siens tandis que c'est son troisième frère qui acheva le premier. Histoire sanglante. Son dernier frère est mort de causes naturelles, sans aucune fonction particulière.
S'il n'a pas épousé une Okanaki, ni choisi d'avoir des enfants. C'est évidemment la crainte d'un retour de Zhäa. Il ne veut pas voir ses enfants être volés durant une nuit, ni une épouse être brisée par ce kidnapping. Aussi, très tôt, il se fit un serment qu'il a tenu jusqu'à maintenant.

Il ne reste que le Clan, sa vraie famille. Sa seule famille.
Il y a d'abord le Chef de ce dernier (je le laisse libre, sait-on jamais que quelqu'un le souhaiterait). Certes plus jeune que lui, il lui démontre le respect qui lui ait dû, ne cherchant pas à agir de façon hautaine ou paternellement. Chacun sa place. Il admire le Chef, quoi que l'on peut en dire.
Ensuite, et surtout, il y a l'ancien Chemenn, Alkaïtë, son mentor. Il eut plus que le temps de le connaître. Ce dernier lui a tout enseigné et il lui doit tout. Même s'il est mort depuis des années, il se souvient encore des moments passés en sa compagnie. Que ce soit son regard plus perçant que celui de faucon ou encore sa grande sévérité. Il cherche encore souvent à lui ressembler même s'il prend aussi soin d'imposer sa propre marque.
Tah'Aklïk, le Fuineur qui l'accompagne partout. Difficile de dire comment il l'a connu. Il a l'impression que c'est depuis toujours. Et malgré les années, ce dernier ne semble pas vieillir, contrairement au Chemenn. L'animal a toujours su prêter à sourire et malgré la présence du vieillard, il ne se prive pas pour voler quelques aliments dès qu'il peut. Tout le monde le connaît dans le Clan et si, au début, certains se plaignaient de ces petits larcins, ils ont appris depuis à le connaître. Ils font avec ce petit chapardeur.
 

► Chapitre I : Zhäa

Naître par pareille époque, ce n'est jamais facile. Pas plus qu'y avoir ses premiers souvenirs. Pourtant, ses parents étaient pleinement conscient de leurs actes. Malgré les protestations du Clan, ils prirent une décision. Celle d'accueillir un autre enfant. En espérant enfin la fille qu'ils désireraient tant. Grande serait leur déception quand ils découvriraient un quatrième garçon. Bien sûr, ils ne savaient pas que trois ans plus tard, les fidèles de Zhäa surgiraient de l'ombre. Mais les saisons n'étaient guère avec eux. Les hivers se faisaient durs pour la tribu. Les étés n'étaient guère plus propices. Mais ce fut fait. Un quatrième enfant était en route. Si seulement ils savaient l'enfance qu'il endurerait. Pourquoi choisir d'en faire un autre si tardivement ? Alors que les trois premiers sont déjà des adolescents et que ce dernier risquerait de les voir mourir avant d'être lui-même un adulte. Pourtant, jamais il ne s'en plaindra.

Vivre ses premiers souvenirs sous une telle ère n'est jamais facile. Se souvenir de parents éplorés, incapable de s'occuper correctement de lui, toujours en train de se souvenir de leur fils disparu. Car Zhäa avait enlevé un garçon. Le plus jeune après Ëko. Depuis, le Clan lui-même s'occupait du jeune enfant. Les parents étaient inconsolables. Et s'il ne leur en tint jamais rigueur, il fut néanmoins attristé durant des années. Le plus vieux de ses frères était devenu un chasseur et le second semblait suivre sa voie. Lui, trop jeune, n'était qu'un fardeau dans l'état actuel.

Ce n'est que dix ans plus tard, sous le nom de Marche de Zhäa, qu'il découvrit la terrible vérité. Depuis bien longtemps, il traînait davantage dans le campement qu'avec sa famille.  Un seul reproche devait lui être fait. Sa grande fainéantise qui l'empêchait de prendre quelques initiatives. Si personne ne lui donnait d'ordre, il préférait se prélasser à l'ombre d'un arbre, plutôt que de cueillir de lui-même. Quoi qu'il en fut, il fut surpris de revoir son frère. Il avait certes vieilli mais il le reconnaissait encore. Sauf son regard. Détalant pour avertir le village du retour de fils et filles disparues depuis longtemps, la scène qui suivit resta à jamais gravé dans son esprit. Son frère aîné, promis à un bel avenir de Chef de Clan, fut brutalement coupé en deux par son autre frère. Le sang gicla avec une telle férocité que, sous la surprise, il s'enfuit à travers les bois. Il se perdit mais durant deux jours, il resta caché.

Quand il revint au campement, il n'était pas seul. Autour de lui, nombre de personnes avaient fui. Comme lui, la surprise avait laissé place à la panique. Les dégâts furent importants mais le Chef, comme le Chemenn, avaient survécu. Comme la plupart des membres de sa famille, si ce n'est son premier aîné. C'est à cette époque, après ce premier raid ennemi, que ses crises commencèrent.

Les Anciens décidèrent bien vite que l'on devait enrayer ces fidèles disciples de Zhäa. Il fut décidé que les fils et filles, frères et soeurs, seraient abattus comme de vulgaires étrangers. Ils n'étaient plus Okanakis, seulement des Bannis. Quiconque en voyait un devait l'abattre tel un gibier. Décision irrévocable. Pourtant, Ëko ne participa jamais à ce massacre. Trop faible, encore sous le choc des crises, il fut pris sous l'aile du Chemenn. Selon ce dernier, ses crises résultaient seulement des visites de la Déesse. Il était pour lui de devenir un membre actif de la Communauté.

► Chapitre II : Initiation

Il fut rapidement pris sous l'aile protectrice du Chemenn, un homme ayant déjà passé la quarantaine. Sévère, il ne lui laissa plus jamais le temps de se reposer. Le préparant dès sa quinzième année à suivre sa route, il fit de lui son parfait disciple. Tandis que ses parents ne devenaient que des ombres, entre le décès du plus vieux et du plus jeune, après Ëko, il se fit l'ombre du Chemenn. Il devenait doucement ce même personnage, à l'impressionnante aura. Il l'assistait à chaque instant, comprenant un peu plus chaque jour le rôle qu'il aurait à l'avenir. Parfois, il voyait son dernier frère, devenu l'ombre de lui-même. Il avait vu son aîné se faire brutalement couper en deux par son benjamin. Puis il avait dû lui-même achever son propre frère. Une terrible épreuve que son esprit n'arrivait pas à vaincre. Perdu dans ses propres limbes, il le voyait chaque jour devenir fantomatique. Et personne ne pouvait l'aider.

Ce n'est que dix ans plus tard que commença réellement l'Initiation. S'il avait souvent vu son Maître pratiquer la Magie des Pierres, il ne l'avait jamais fait lui-même.
► Chapitre III : Chemenn