- «  Plus haut… Les arcs, plus haut les arcs ! Tendez la corde, bon sang… Vous n’arriveriez même pas à toucher une vache dans un couloir ! »

Les recrues étaient particulièrement dures d’oreille ce jour-ci. Et assez récalcitrantes. A tel point que l’instructeur avait réclamé la présence du commandant… Pour stimuler leur motivation. Ou leur discipline, en fait. Et le simple fait qu’il se tienne là, à les observer de loin, suffisait à faire naître en eux suffisamment de crainte ou de respect pour qu’ils se donnent deux fois plus à leur entraînement. C’est avec un demi-sourire que Miguel regardait les recrues se faire sermonner comme des enfants. Ils étaient pour la plupart jeunes, certes, mais bien trop vieux pour pouvoir les considérer comme des gamins. Cependant, alors qu’il observait sans vraiment y faire attention, il repensait discrètement à ses années passées, où il avait été à leur place. Cela remontait à quelques temps, maintenant. Très longtemps même. Un jeune officier vînt à sa rencontre.

- « Commandant. On a reçu une nouvelle plainte de vol en ville. Toujours la même description : un homme en cape verte, capuche rabattue. »

L’officier tenait dans sa main un papier, compte-rendu du garde ayant réceptionné la plainte auprès du commerçant. Après une brève lecture, le commandant congédia simplement l’officier avant de reposer son regard, distant, sur les recrues. Cela n’était pas la première fois qu’un homme encapuchonné d’une cape toute verte volait des biens, dans des étales ou boutiques. A vrai dire, il semblait prendre un malin plaisir à se faire remarquer, comme pour apprécier ses vols avec plus de saveur. Habituellement, Miguel ne s’occupait pas de ce genre de petites frappes, qui se faisaient rapidement retrouvées lorsqu’elles réitéraient leur crime. Ce voleur était bien trop voyant, et bien trop actif. Il commençait à causer de l’agitation. Il fallait que Miguel s’en occupe personnellement.

Accompagné de deux gardes de la ville, dont celui qui avait rédigé le papier tantôt, Miguel passait dans les différentes allées et artères d’Îleval, en direction de la boutique. Cette même boutique qui faisait parler d’elle, ici et là, pour la qualité de ses produits. Pas étonnant qu’elle attire les voleurs. Mais ce n’était pas une raison pour laisser cela se reproduire. Arrivant à hauteur de l’échoppe, il s’arrêta un instant, jugeant de l’état des lieux. Il regardait les vitrines, et fenêtres, la pancarte, puis la porte. Porte qu’il finit par ouvrir pour entrer. En entrant, il observa du coin de l’œil la disposition de la salle. C’était typique d’un commerce. Quelques étagères, pleines de produits. Un comptoir, pour le commerçant.

S’approchant de la personne qui semblait tenir le commerce…

- « Bien le bonjour, mon brave. Je voudrais parler au responsable des lieux… »

Le commandant avait parlé d’un ton calme, et protocolaire. Invitant à la diplomatie et la coopération. Après tout, il était là pour ça. Coopérer. Ce n’était pas le commerçant qu’il voulait jeter en prison… Ça aurait été ironique.

Avec le succès qu'avais rencontré le Magasin BEAUMARCHAIS de Belhovre, j'avais accumulé suffisamment d'argent pour financer une seconde enseigne.
Après plusieurs voyages, une enquête de consommation et divers balades dans un certain nombre de magasins, j'avais jeté mon dévolue sur le Domaine Rouge. Le Domaine d'Îleval avait pour avantage d'être l'île voisine de ma Belhovre d'origine ainsi que la grosse ville la plus proche, ce qui simplifiait grandement la gestion. En effet, avant de confier la direction à quelqu'un, je voulais déjà m'en charger dans un premier temps. Tant qu'à faire, autant embaucher quelqu'un habitant Îleval.

C'est donc ainsi qu'est né, dans le quartier commerçant, le Magasin BEAUMARCHAIS d'Îleval.
J'avais trouver un joli petit local à la façade d'un agréable vert trèfle, qui avait surtout l'intérêt de sauter aux yeux dans la rue. A gauche se trouve une grande Auberge sinon renommée en tous cas bien connue dans le coin pour servir d'excellents ragoûts ainsi qu'une cuisine végétarienne très raffinée. On m'avait dit que l'enseigne se fournissait chez l'un des rares éleveur du domaine. La façade était plutôt sombre et décorée de dorures, très propre et en excellent état. L'auberge s'appelait sobrement Le Héron Cendré. J'y ais mangé plusieurs fois et il est vrai que c'est très bon. Il m'arrive d'envoyer un client patienter là bas à mes frais. A droite de mon magasin se trouvait la façade gris-pâle d'un petit atelier de couture tenu par un homme d'une quarantaine d'année qui semblait assez habile.
L'intérieur de mon magasin était tout de bois. Parquet propre et bien ciré, boiseries aux murs, murs couverts d'étagères, deux gigantesques vitrine qui plongeait la boutique dans une lumière scintillante, un gros comptoir en Hêtre et un îlot centrale, idéal pour exposer les chaussures.
De l'autre côté du comptoir se trouvait un petit couloir menant, sur la gauche à un bureau donnant sur un tout petit appartement avec salle de bain. Au fond du couloir, une porte menant à l'extérieur et sur la droite, trois portes. La première refermant deux cabines d'essayage avec miroir, la seconde abritant des toilettes et la dernière permettant d'accéder à la réserve.

Maintenant installé depuis deux saisons, l’aménagement était terminé depuis un moment.
En vitrine, on trouvait d'un côté vêtements et chaussures raffinés ainsi que des gants, petits sacs, etc.
De l'autre, c'était plus des porcelaines ainsi que quelques bibelots argentés.
A l'intérieur, on retrouvait les mêmes choses mais rayonnées sur les étagères.
Les quelques armes, une vingtaine, que je proposais à la vente étaient exposées au mur du fond, de l'autre côté du comptoir, protégées derrière une grille en métal, une véritable pièce de ferronnerie, cadenassée.
J'avais remplacé le parquet par de la moquette pour un modèle rouge bordeaux, plus en phase avec les boiseries, et remplacé les luminaires par des abat-jours en tissus vert bouteille.
Quelques tableaux avaient étés accrochés aux murs, là où les étagère laissaient de la place.

C'est dans cet environnement chaleureux qu'un officier de la ville, visiblement très haut placé vue les galons, entrait dans mon acquisition toute récente et déjà florissante.
J'avais porté plainte en début de matinée pour signaler le vole de quatre rouleaux d'étoffes de soie de très haute qualité ainsi que de deux sacs à main et d'une botte. Oui, oui !  Une botte, pas une paire... L'idée première d'un voleur unijambiste m'avait traversé l'esprit, mais vue l'encombrement de quatre rouleaux d'étoffes...Bref, je n'avais pas fait par de ma réflexion quand à la possible nature peutonne de mon fieffé fripon fraudeur.
Nous étions alors en milieu d'après-midi et j'avais quelques clientes, dont une inquiète de cet histoire.
Je finissais de la rassurer lorsque les trois soldats entrèrent :

«  Mais non Madame De BONNEVILLE, le voleur n'a pas volé vos chaussures, elles sont dans la réserve. J'attends simplement le cirage qui doit les accompagner. Non, Madame, je ne vais pas fermer boutique pour quatre rouleaux de tissus, si bon soit-il, et une bottine. Me préparer des gâteaux ? Ce serait un honneur que de goûter l'une de vos préparations. Voici votre porcelaine avec en petit cadeau une nouvelle loupe pour Monsieur, il m'a dit avoir cassé la sienne l'autre jour. Oui dans le parc tout à fait. En attendant qu'il ne trouve mieux, si cela peut le dépanner. Oui Madame, Merci beaucoup Madame, mes amitiés à Monsieur Au revoir Chère Madame. »

Pfiou !

C'est sur cela que les trois homme se présentèrent à moi. Le premier est légèrement plus grand que moi semble t'il, dans la basse moyenne des Mesorians, celui qui semblait haut gradé, était pâle, enfin peau très blanche et, roux. Cocktail assez étrange. Mais je ne me permettrait jamais de me faire de quelconques allégations quand au physique d'une personne. Avec mon pas boitillant... Bref !
Il était accompagné de deux Mésorians, dont celui auprès de qui j'avais déposé plainte le matin même et, un autre qui m'était inconnu.

« Bonjour Messieurs, heureux de vous voir. Je suis le propriétaire des lieux. Pardonnez-moi deux tous petits instants.
Mesdames, s'il vous plaît. Pourriez-vous revenir dans quelques instants ? Je dois m'entretenir avec ces messieurs suite au vol. Puis-je abuser et vous demander de tirer la pancarte sur fermé ? Vous n'avez cas aller déguster un thé au Héron Cendré, dite à Orion que je passerais le régler un peu plus tard. Merci Mesdames. »

Je soufflais un coup puis me tournais face aux trois hommes.

« Désolé Messieurs mais je préfère être tranquille pour parler ce contretemps fâcheux. Puis-je vous offrir un peu d'eau fraîche ? »

Je poussais sur le comptoir un plateau en argent contenant des verres et une carafe d'eau fraîche. Je propose toujours au client de pouvoir se rafraîchir. C'est ainsi chez BEAUMARCHAIS, le client est roi.

« Je vous écoutes Messieurs, en quoi puis-je vous apporter mon aide ? »

Apparemment l’homme était particulièrement occupé à régler quelques affaires avec des clients. Les civils pouvaient être assez pressant, voir agaçants, quand leur bien-être était mis en danger. Il le comprenait bien, puisque même son grade n’imposait pas toujours le respect de toutes les classes sociales… Mais il n’allait pas plaindre le commerçant, qui semblait vivre confortablement. Miguel attendit patiemment que ce dernier s’occupe des derniers clients qui restaient, n’accordant qu’une expression compréhensive et patiente en direction du commerçant qui n’avait de cesse de s’excuser de tous côtés. La journée a dû être mouvementée. Une fois les dernières personnes sorties, et la porte définitivement close, le commandant se reporta à nouveau sur le commerçant, n’accordant que peu de détail à la forme, allant directement au sujet du jour.

- « Non merci, nous n’avons pas soif. Puis, de toute manière, nous ne sommes pas ici pour cela. »

Le protocole, vive le protocole. Enfin, c’était surtout parce que Miguel aimait en mettre plein la vue en donnant un semblant de discipline exagéré. Cela avait toujours son petit effet intimidant sur la population. La plupart du temps. Ce voleur n’avait pas l’air d’être intimidé, lui. Le commandant se gratta la gorge un bref instant, avant de reprendre, en désignant l’un des gardes :

- « Vous avez déposé une plainte il y a quelques heures, déclarant avoir été victime d’un vol. La description que vous nous avez faite du coupable semble corroborer avec d’autres affaires de vol en cours. J’aimerais que vous repreniez, avec moi, toute la scène. Le voleur vous a volé en plein jour, alors que vous étiez ouvert, c’est bien cela ? De quoi avait-il l’air physiquement ? »

Il était probable que l’homme se sente impatient de coincer le voleur, et considère de devoir réciter une nouvelle fois son histoire, et parler pendant que le criminel court toujours devait être d’autant plus agaçant. La justice parle, pendant que le crime en profite. Miguel n’aimait pas non plus ça, parler, parler, toujours parler… Mais à vrai dire, ils n’avaient pas le choix. Ils n’avaient aucun moyen d’arrêter ce voleur, vu le peu d’information à son sujet. Simplement, une cape verte. Une banale cape verte, qui peut cacher n’importe qui, femme comme homme, Okanaki comme Mésorian. Bien que les okanakis soient tout petit…

- « Si vous avez une suggestion à faire, n’hésitez pas. Je ne peux malheureusement pas vous promettre le retour de vos biens, mais votre aide est primordiale. Tous détails peuvent compter. »

Rigueur, voilas le premier mot qui me vient en tête en observant et en écoutant l’officier. En plus de cela, sa stature et son air discipliné venait vous imposer le respect. Cet homme est haut placé, il le fait savoir et toi, tu ne peux qu’en prendre plein les yeux. Avec une telle prestance, il pouvait dire ce qu’il voulait, la majorité des gens le croiraient sur parole.
Dommage que sa demande d’aide ressemble plus à une supplique qu’à autre chose. C’est moi la victime et cela aurait plus été à moi de demander de l’aide.

Oui en effet j’ai bien porté plainte ce matin pour vol. Je venais d’ouvrir le magasin et je rangeais un peu l’arrière boutique. J’aurais du l’entendre entrer grâce à la clochette mais le voleur a réussie à la neutraliser.

C’est vrai ça, comment a-t-il neutraliser depuis l’extérieur une clochette située à l’intérieur ?

J’ai été alerté par le grincement de la vitrine où était située une étoffe d’exposition, cette vitrine là. Une superbe étoffe de soie satinée. Le temps que je me rende en courant dans le magasin, il s’était déjà servi. Enfin, plutôt Elle. Elle était sur le pas de ma porte à mon arrivée et nos yeux ce sont croisés une fraction de seconde. Une Mésoriannes, cheveux cours et blonds, yeux vairons, vert à gauche et marron à droite. Assez petite pour une Mésoriannes d’ailleurs, à peine 1 mètre 90 je dirais. Elle portait une cape verte et avait la capuche sur la tête, la partie basse de son visage masqué par un foulard. Des traits assez fin, plutôt élégants et raffiné, pas une voleuse de grand chemin, plutôt de manoir ou de commerce. Si je la revois je pourrais à coup sur la reconnaitre.

Je m’interrompis le temps de boire une gorgée d’eau fraiche puis repris.

Pour le reste, je n’ai pas beaucoup d’éléments malheureusement. Au total elle m’a dérobé quatre rouleaux d’étoffes d’une certaine valeur ainsi qu’une unique bottine. Je ne peux pas vous aider plus que cela.

Je bu une seconde gorgée d’eau puis ajoutais brusquement :

Ah ! Si, je connais la marque de sa cape, j’en vends moi-même et, elle à une particularité. Elle est réversible, verte d’eau côté et marron de l’autre.

J'allais chercher un exemplaire de ladite cape pour le montrer à l'officier.