L'été, une fois encore. Parfois, elle se demandait pourquoi et comment les saisons revenaient, année après année. Quand elle osait le faire à voix haute, sa mère la regardait comme une bête curieuse. Au moins, elle la regardait. Son père, en revanche, avait ce geste agaçant de la main, comme si une mouche lui avait bourdonné dans l'oreille. C'était tout ce qu'elle était, pour lui. Un insecte, une tache qu'il aurait préféré ne jamais voir naître. Une perte de temps et d'argent. Cela, au moins, était vrai, et elle le savait. Elle n'était pas stupide au point de ne pas voir, ou de ne pas imaginer, le prix des robes qu'il fallait mettre pour avoir l'air "comme il faut" dans les soirées ennuyeuses des adultes.

L'été était comme ça. Plein de soirées où elle ne voulait pas aller, où elle devait sourire alors qu'on lui pinçait les joues en lui disant qu'elle était mignonne, et où elle n'avait pas le droit d'assister à la seule chose soi-disant intéressante, le Tournoi. Parce qu'il était de tradition, chez les Vorgel, d'aller agiter une épée au milieu d'un cercle de sable pour voir qui pouvait envoyer son caillou le plus loin. Elle regardait l'activité avec une certaine condescendance enfantine. Elle n'en voyait pas l'intérêt. Ils s'entraînaient déjà chaque jour que le Créateur faisait, dans quel but se mesurer l'un à l'autre?

Elle était donc lâchée dans la "nature", la triste ville d’Épieux, toute grise et à l'architecture peu intéressante, avec à peine quelques sous en poche, chaperonnée par une vieille servante qui n'avait à la bouche que cinq mots "Ca ne se fait pas". Du haut de ses sept ans, elle n'en pouvait plus d'entendre ça. Et elle était bien décidée à lui fausser compagnie. Elle était réaliste, elle savait que ça pouvait être dangereux. C'était bien ce qui était amusant. Et avec un peu de chance, il lui arriverait quelque chose et ses parents s'inquiéteraient. Ou alors, ils ne s'en rendraient même pas compte. Oui, beaucoup plus de chances...

Ce jour-là, alors que les "grands" étaient plongés dans l'admiration de grosses boîtes de métal cliquetant en plein soleil, un convoi d'enfants de nobles et de riches marchands et autres avait été empaqueté et envoyé embêter d'autres gens dans la montagne. Une manière de s'en débarrasser sous couvert de les faire... "communier avec la nature". Quelque chose du genre. Et Sefrenia avait dans l'idée que ce serait le moment ou jamais de leur jouer ce tour. Ils étaient nombreux, et personne ne se rendrait compte immédiatement de sa "disparition".

C'avait été, sans jeu de mots, un véritable jeu d'enfant de ne pas se faire repérer. Elle s'était très vite félicitée d'avoir mis de vieilles culottes courtes de son frère sous sa robe de monte, et une chemise déjà élimée. Elle s'était débarrassée de tout le superflu sitôt arrivée hors de vue, et avait couru jusqu'à en perdre haleine, aussi loin que ses petites jambes pouvaient la porter. Elle avait fini par s'essouffler après ce qui lui semblait des heures. Le soleil n'avait presque pas bougé, pourtant. Elle n'avait aucune idée d'où elle pouvait être, entourée par la montagne, la végétation chiche, les pierres grise, le blanc des neiges éternelles, le bleu presque violent du ciel. Elle était seule. Elle était libre. Elle était grisée, et terrifiée.

C'était ce qu'elle avait voulu, même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi. Quitter un instant ces parents qui ne la voyaient pas et pourtant à qui elle devait obéir sans coup férir, cette maison où elle ne pouvait s'exprimer, ces cours particuliers où elle avait l'impression de ne pas avancer. Elle voulait plus, elle voulait être. C'était pourtant si simple. Et en même temps, si compliqué, apparemment. Elle se releva, un peu fourbue, mais pourtant mue par une énergie nouvelle. Elle voulait être une enfant, pour une fois, et pas un adulte miniature qui devait penser à tout avant de parler, qui devait lever le petit doigt en buvant son thé et manier sa fourchette avec la dextérité d'un artiste. Elle voulait jouer, crier, rire à gorge déployée.

Elle écrasa quelques larmes brûlantes en réalisant que ce ne serait jamais sa vie, qu'elle serait toujours enfermée et à la merci de quelqu'un, sauf en cet instant. Et parce que, pour quelques instants éphémères, elle était libre, elle dansa. Ce n'était probablement pas très joli, tant elle avait d'émotions à expulser dans ses mouvements, mais elle y déversa ses envies, ses peurs, ses joies, ses tristesse, tout ce qui faisait d'elle Sefrenia Vorgel...