Aujourd’hui, c’est le grand jour. Aujourd’hui, je lui dis tout. Je lui avoue l’amour dont j’ai pour elle et... je fais quoi ensuite? Je reste planté là? Je l’observe ou je regarde mes chaussures?


* Non, mais reprend toi, mon vieux, si c’est la femme de ta vie, elle va te sauter dans les bras * me dit ma conscience pendant que je souriais niaisement. * Par contre, si elle ne partage pas tes sentiments... * ajouta-t-elle aussi durement tandis que je lui répondis * Merci de réduire mes espoirs à néant! * .


Comment étais-je sensé l’abordé aussi confiant maintenant?


Ce n’est pas le moment de douter! Ma motivation ne doit pas fléchir. Je vais aller au bout de mes intentions et je vais tout lui avouer! Peu importe ce que me dicte ma conscience, je ne suis que les battements de mon cœur qui s’élance dans une myriade mélodieuse aussitôt que j’ai l’audace de la regarder.


Me sentant enfin prêt, j’ouvris la porte de la cuisine avec une telle vigueur que je fis sursauter les domestiques présents dans la pièce. Parmi celles-ci se trouvait l’élue de mon cœur en train de pétrir du pain. Les cheveux attachés dans un ruban, quelques mèches rebelles réussissaient à se frayer un chemin aux divers endroits où le tissu était moins serré. Des gouttes de sueur perlaient sur son front, ses traits se durcissaient tandis qu’elle effectuait ses tâches sans broncher. Prise dans sa concentration, elle n’avait même pas sursauter à mon entrée. Depuis combien de temps s’affairait-elle à la cuisine?


Ses mains commençaient à trembler, mais elle redoublait d’effort, ignorant surement la douleur. Que se passait-il au juste? Pétrir du pain n’était pourtant pas si difficile.


« Saika... » Commençais-je doucement, sachant par instinct que quelque chose la tenaillait.


« Filrok! Te voilà enfin, va au marché me chercher des légumes frais... j’en ai de besoins pour... » Laissa-t-elle en suspend tout en m’offrant un sourire peu convaincant.


Son regard trahissait son désarroi, sa tristesse et des larmes fautives qu’elle tentait tant bien que mal de camoufler. Désemparé, je n’osais pas vraiment la quitter. Au contraire, je m’approchais lentement tout en espérant pouvoir la prendre dans mes bras. Espérer et l’obtenir était deux choses complètement différentes. Surtout quand cela concernait Saika. Toutes les autres filles que je connaissais se seraient volontairement jeté dans les bras d’un homme qui lui accorderait un tant soit peu d’attention. Mais c’est tout le contraire pour Saika. Elle est...tellement têtue que s’en ai adorable.


« Qu’est-ce que tu attends? Il me l’est faut pas pour demain! » Répliqua-t-elle avec hargne.


*Euhhh, maintenant elle est fâchée? Triste et fâchée? Ouff... * Pensai-je en m’arrêtant nette près de la table de bois où Saika lançait maintenant la pâte pour la troisième fois sur la table avant de la jeter au loin, visiblement découragée. Elle appuya ensuite ses mains sur le bord de la table, un léger craquement sonore se fit entendre tandis qu’elle y mettait tout son poids. Elle prit une grande inspiration puis expira l’air aussi longuement. Comme si elle venait retrouver une contenance, elle ouvrit les yeux et croisa mon regard. Elle pouvait voir mon dilemme, celui de rester ou bien d’effectuer les tâches qu’elle m’a demandées. L’élue de mon cœur trancha pour moi et j’encaissais les dures paroles qui quittèrent sa bouche :


« Tu as avalé une carotte de travers peut-être? FILE FILROK! »


Il était maintenant clair que ma présence ici n’était pas requise. Au grand détriment de mes nobles intentions, je quittais la cuisine, persuadé que j’allais réussir à savoir ce qui la rendait si malheureuse à mon retour.


Quittant le domaine Norvos, je me rendis au marché, l’endroit le plus achalandé en matinée. Me promenant entre les différents étaux des marchands, je prenais tout mon temps pour cueillir les divers légumes frais. J’avais deux raisons pourquoi je m’éternisais sur la place du marché. La première était de repérer les marchands qui allaient me vendre les légumes à des prix raisonnables. Certains avaient tendance à augmenter les prix quand ils savaient que leurs clients étaient des Torkos. Après tout, les esclaves doivent se nourrir tout autant qu’un Mésorian. Seulement, cela plaisait à quelques-uns d’entre eu de voir des Torkos les suppliés. Comme si notre peuple devait mendier pour avoir le droit de survivre.


La deuxième raison, je n’étais pas prêt de retourner à la cuisine du domaine. Oh ! J’étais curieux de savoir ce qui la tenaillait autant, mais je savais aussi qu’elle avait besoin de solitude.


Après une heure, j’étais satisfait de mes achats et j’étais sûr que Saika allait être fier de moi. Des murmures attiraient mon attention. La foule s’amassait autour de la place centrale du marché, je m’y engouffrais tant bien que mal, je n’osais pas vraiment bousculer les Mésorians près de moi, mais je tenais à savoir ce qui se tramait. Mon regard se posa sur la femme étendue sur les pierres. Ce qui me figea ensuite fut la présence de l’élue de mon cœur au côté de cette femme, qui toisait d’un regard haineux la foule qui l’entourait. Lentement, l’information s’infiltra dans mon esprit. Cette femme qui tentait de se relever avec l’appui de Saika n’était nulle autre que sa mère. Que fuyaient-elles?


« Egor! Elles sont là! »


Elles reprirent leur course, poursuivie de près par Egor et ses comparses. Incrédule, je vis la situation me filer entre les doigts. Saika et sa mère n’étaient pas en danger, nooon, elles allaient être de retour au domaine après avoir faussé compagnie aux hommes d’Egor. Pour Saika, côtoyer la cruauté et les envies d’Egor était son lot quotidien. Rien n’allait changer, tout rentrerait dans l’ordre. Était-ce un moyen de calmer et ravaler cette peur qui attaquait mes tripes à ce moment précis? Peut-être, mais je ne voyais pas vraiment en quoi j’allais être utile à Saika en allant les rejoindre. Distraire les hommes d’Egor pendant que Saika prend la fuite? C’est une idée à essayer quand on est suicidaire. Heureusement que je ne l’étais pas. Je pris donc la décision de retourner au domaine, persuadé que Saika allait revenir dans quelques heures.


J’entrai par la porte qui menait au jardin quand je remarquai que le domaine était très silencieux. Comme si la vie n’y avait plus sa place, le silence se faisait pesant. J’entrais dans toutes les pièces, cherchant une âme qui vive, sans rien trouver. Sauf Danzah Norvos qui était étendu sur son lit, yeux clos, visage paisible et un fin sourire se dessinaient sur ses lèvres. Entre ses mains se trouvait un pain encore frais. La mort était venue la quérir et avant même que je puisse lui dire mes adieux, la porte de chambre s’ouvrit en trombe et deux gardes d’élite pointèrent leur épée sur moi tout en me demandant de me rendre. C’est le cœur lourd et l’esprit torturé, que je me rendis sans trop savoir ce que l’avenir me réservait. Tout ce que j’espérais, c’est de vivre assez longtemps pour retrouver un jour, le regard rieur et la présence fougueuse de Saika.