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 Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650]

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Rappel du premier message :

Ce matin semblait être un jour comme les autres, et pourtant...

Quand Niila sortit de sa tente, le soleil commençait à peine à pointer à travers l'horizon. Sa lumière rouge, incandescente, se réverbérait sur la neige fraîche, tombée dans le courant de la nuit. Les cristaux scintillants, donnaient une apparence surréaliste au tableau qui se dépeignait devant les yeux de la jeune femme.
Elle inspira dans l'air glacé, et son souffle s'envola dans le ciel en un mince filet de fumée blafarde.
Il faisait presque bon lorsqu'elle se décida enfin à franchir le pan de toile faisant office de porte de la tente. Le campement n'était pas encore tout à fait éveillé, et Niila aimait se déplacer en silence, parmi ses congénères endormi. Ainsi, elle avait la vague impression que la nature n'appartenait qu'à elle. Mais les événements qui se préparaient allaient lui prouver que la nature ne possédait pas de maître.

Ses pas crissaient dans l'étendue blanche et d'un regard, elle embrassa le paysage qui se dessinait à sa portée. Tout était toujours plus beau sous la poudreuse et ses lèvres s'élargirent en un sourire plein et entier. Elle leva son visage vers l'étendue bleutée qui prenait de plus en plus d'ampleur à mesure que le soleil pâlissait puis soupira lentement en réajustant le harnais de sa besace qui pendait à son épaule. A sa main droite, un sceau destiné à réceptionner ses échantillons d'argile, dans la droite, quelques outils pour la récolter.
En quittant le campement, elle jette un dernier regard vers la tente de Wakumbë qui doit dormir paisiblement à l'heure qu'il est. Son coeur se gonfle d'affection à cette simple pensée et ses pupilles pétillent en songeant que depuis la première nuit qu'ils ont partagé, d'autres ont suivi, toutes aussi tendres et délicates.
Le clan s'est habitué à leur relation, plus personne ne sourit ou ne rigole doucement devant la timidité des deux amoureux, certains même, vont jusqu'à les encourager lorsque Khilmari n'est pas dans les parages.

La veille pourtant, Niila à dormi chez elle, non pas que passer ses nuits chez le Chemenn soit devenu une habitude en temps normal, mais la jeune femme savait se lever tôt pour achever ses préparatifs en vue de la migration prévue dans plusieurs jours. Elle s'aventure donc, dans la forêt d'abord, pour accéder à la rivière plus au Nord, où elle possède ses petites habitudes. Les loutres seront-elles là aujourd'hui? Niila a hâte de le découvrir. Les quelques kilomètres qui séparent le fleuve du camp lui paraissent long, mais elle les parcourt sans broncher. Plus vite ses réserves seront faites, plus vite elle rentrera.
Wakumbë lui manque déjà.

Le soleil est bien levé lorsqu'elle arrive sur les berges. Elle y découvre ses croquis, ses ébauches de loups dessinés à même le sable argileux du bord de fleuve et décide de s'en détourner rapidement, n'en étant pas satisfaite. Ce projet inachevé la frustre. Dans sa mémoire, le souvenir des loups reste vif, et elle n'arrive toujours pas à leur donner corps à travers ses doigts, comme si toutes ses pensées l'accaparaient ailleurs. Un mouvement attire son attention plus loin, entre deux rochers et son regard se fixe.
Les loutres sont là, s'amusant de cette neige fraîche, se roulant dedans comme les petits animaux joueurs qu'elles sont. Amusée, Niila s'installe sur un rocher et les observe, gravant dans son esprit de nouvelles images pour ses poteries.
Et puis, vient le moment de commencer à creuser, à observer et à relever. Le labeur est difficile, elle doit travailler sans gant et le froid lui mord les doigts. Pourtant, elle est agréablement surprise par la douceur de la température en ce jour. L'hiver approche et pourtant, on se croirait en début d'automne.

Le temps passe et son estomac lui signale que l'heure de manger approche. Elle essuie ses doigts dans un torchon préparé dans ce but exprès et attrape la viande séchée qu'elle s'est emporté. Mordant à pleines dents dans le morceau, elle arrête de mâcher pourtant, lorsqu'un grondement retentit dans l'atmosphère.
Immobile, attentive, elle lève les yeux aux ciel, cherchant l'annonce d'un orage qui ne semble pas vouloir apparaître, et pour cause. Le soleil resplendit.

Pourtant, elle n'est pas folle, le grondement est toujours là, comme résonnant en sourdine et puis tout à coup, elle voit le vol d'oiseaux piaillants passant au dessus de sa tête, cherchant à fuir quelque chose mais quoi?
Le nuage de fumée qui s'élève derrière eux répond à sa question et elle comprend.
Ce n'est pas un orage. Les craquements qui retentissent ne sont pas des éclairs, mais le bruit des arbres déracinés, rompus par la masse de neige qui avale tout sur son passage.

Les yeux écarquillés, elle observe incrédule, la masse volatile de neige qui s'élève au dessus des arbres et remarque que le phénomène se déroule dans la même direction que la position du campement.
Elle a peur, pas pour elle, mais pour ceux qui sont encore là-bas. Khilmari, Wakumbë, tous les autres.
Son coeur manque un battement et elle cligne des yeux plusieurs fois, comme pour chercher à s'assurer qu'elle ne rêve pas, mais le nuage blanc est toujours là, et sans réfléchir plus, elle laisse tomber ses affaires et se met à courir.

Elle retrouve les pas qui l'ont conduit ici, mais les prend à revers en courant. Au fond d'elle, l'urgence se dissout dans ses veines, l'adrénaline bombarde son palpitant qui accélère encore et toujours, au rythme de sa course.
Dans son ventre, la glace se forme, synonyme d'une peur qu'elle ne maîtrise pas. Il y a quelque chose, là, tout au fond d'elle. Elle sait, elle connait cette sensation, cette peur, elle l'a déjà vécu. Niila court toujours mais ses pas se ralentissent à mesure que son cerveau comprend l'ampleur du phénomène et lui rappelle alors, ce qu'elle avait oublié.
L'avalanche.
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MessageSujet: Re: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650]   Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] - Page 2 Icon_minitime5/2/2015, 22:59

Peu à peu, la lumière du feu s'était faite plus intime, plus tamisée. Propice à la somnolence, l'obscurité environnante avec bientôt fait chavirer le jeune homme. Aujourd'hui, Wakumbë avait longuement redouté de s'endormir dans le noir complet, seul, souffrant de mille maux mais dont le plus terrible aurait été l'incertitude de savoir ses proches en vie. Mais le feu brûlait, crépitant à quelques mètres de la couche sur laquelle il était étendu. Plus que tout le reste, la présence de Niila le rassurait, chassant cauchemars et autres démons prêts à l'attaquer dès qu'il fermerait les yeux. Wakumbë avait craint d'être happé par ses peurs, et il peinait à croire la chance qu'il avait. La femme qu'il aimait était étendue à ses côtés, et il savourait simplement sa chaleur, la sensation de son visage contre son épaule. C'était peu, mais bien assez pour le rassurer.

Il se laissait bercer, emporté par le ressac de ses pensées. Tout se mélangeait, son esprit perdait fil, perdait pied. La logique cessait d'être, chassée par une force qui avait longuement attendu, tapie dans l'ombre. Ses pensées se suivaient à un rythme déluré, et il peinait à y mettre un frein, à imposer le retour de l'ordre sous son propre crane. Le jeune homme se sentait dériver, tel le marin impuissant face à la tempête, tenant la barre d'un navire déchaîné. Wakumbë revivait divers passages de cette effroyable journée. Le grondement sourd de l'avalanche résonnait entre ses tempes, l'emplissant d'une terreur horrible. Frissonnant, il dut pousser un gémissement plaintif, alors aux frontières du sommeil. Mais déjà, le voilà projeté dans la fosse, un pieu s'enfonce douloureusement dans sa cuisse, et c'est le choc sur le sol de la caverne. Le Chemenn a la sensation désagréable de sentir la douleur se ranimer comme si l'impact se répercutait une seconde fois dans les fibres de son corps. Un poids compresse désagréablement sa poitrine, laquelle est bientôt libérée lorsque Niila pose son menton sur son torse. Il a l'impression que la jeune femme lui murmure quelques mots de réconfort, mais peut-être rêve-t-il déjà. Wakumbë s'est endormi.

Rassuré par la présence de la petite potière, le Chemenn s'abandonna bientôt au soulagement du repos. La nuit se déroula comme un tapis tissé de fils multicolores, dont il ne tira aucun songe, bon ou mauvais. Il dormit d'un sommeil sans rêve, ce qui lui permit de se reposer et recouvrer quelques forces. Wakumbë aurait voulu pouvoir s'éveiller de temps à autre, et couler sur Niila un regard protecteur, sinon inquiet : juste pour s'assurer qu'elle était toujours là, auprès de lui, et que tout allait bien. Mais sa fatigue ne le lui permit pas.

C'est le son des sabots résonnant sur la pierre qui le tira de sa léthargie. Grognant, il voulut se retourner histoire de se rendormir comme à son habitude, ne se rappelant pas l'endroit où il se trouvait, ni pourquoi. Le contexte de la situation était absent dans son esprit, ne demeurait qu'une seule certitude : il avait besoin de dormir encore cinq minutes. Mais ses côtes protestèrent aussitôt, et Wakumbë renonça à faire le moindre mouvement, plissant les yeux en remontant la couverture jusqu'à son menton. Mais quelque-chose la bloquait plus bas, sûrement ses bottes, quelque chose comme ça. Il se rappelait les avoir ôtées avant de s'endormir, hier soir...
Aussitôt, les souvenirs arrivèrent après ce détail. L'avalanche, la grotte, Niila. Niila ! Wakumbë fut saisi par la fraîcheur de la couverture à sa droite, et il jeta un coup d'oeil pour constater ce qu'il savait déjà : il était seul sur la couche. Clignant des yeux, il aperçut la jeune femme aux côtés des rennes. Rassuré, le jeune homme se laissa retomber sur les couvertures, se passant une main sur le visage.

Parfaitement réveillé, Wakumbë profita pourtant des dernières secondes qui le séparaient de cette nouvelle journée. Sans trop savoir pourquoi, il ne se sentait pas spécialement prêt à l'affronter. Une grande lassitude l'avait envahi, peut-être en partie à cause de son corps qui criait au supplice à chaque respiration. Il avait naïvement espéré que la nuit effacera la plupart de ses douleurs, et constatait non sans regret que ce n'était pas le cas du tout. Le moindre de ses muscles hurlait à un seul de ses mouvements, ses os semblaient le brûler de l'intérieur. Il n'y avait pas une parcelle de peau qui ne le fasse grimacer. Wakumbë se surprit à prier Eliwha pour que le clan dispose de réserves d'arnica et de camomille. Sa tête le faisait souffrir.
Tâchant d'ignorer cette migraine, le jeune homme inspira profondément et ouvrit à nouveau les yeux en sentant Niila le regarder. Elle était souriante, mais il ne put que lui grimacer un sourire en retour. La jeune femme le salua comme à leur habitude, et aussitôt Wakumbë voulut réagir à son propos en se redressant en position assise. Mais il avait oublié ses côtes, et il dut se rallonger en poussant un juron tonitruant.

« Salut !» lâcha-t-il finalement en fixant le plafond, se sentant un peu bête. Puis il tourna le visage vers Niila, qui le fixait avec un drôle d'air, et ajouta : « Ça va pas mal. Je crois que je n'ai pas trop mal au nez, ni au nombril. Ça fait déjà deux trucs qui s'en tirent bien ! »

Wakumbë lui envoya un sourire d'excuse, avant de se redresser avec plus de précautions cette fois-ci. La lenteur et la douceur semblaient lui permettre de se mouvoir sans que les élancements soient trop insupportables. Cela ne l'enchantait pas particulièrement, il avait plutôt tendance à vouloir aller vite pour ne pas perdre de temps, surtout dans ce genre de situation. Malgré tout, le jeune homme se promit de faire davantage attention à son corps meurtri.

Se remémorant les mots de Niila, Wakumbë ajouta tout en se frottant le visage encore froissé par la nuit :

« Tu sors les rennes... » Quand il eut comprit, son visage s'illumina, et il demanda sans trop y croire : « On peut rentrer aujourd'hui ? »
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MessageSujet: Re: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650]   Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] - Page 2 Icon_minitime6/2/2015, 12:17

Niila ne put réprimer un sourire face aux mots de Wakumbë. Même dans une situation aussi compliqué il arrivait à faire de l'humour. Mais au fond, elle sentait bien qu'il souffrait toujours mais qu'il cherchait à le cacher pour ne pas l'inquiéter. C'était à la fois adorable et bête.
Quand bien même, lui aussi affichait un large sourire, plutôt fier de lui et de ses plaisanteries. Au moins, son cerveau fonctionnait bien.
Il émergeait à peine, Niila pouvait aisément s'en rendre compte maintenant qu'elle avait l'habitude de s'éveiller à ses côtés, et lorsqu'il se frotta le visage pour chasser les dernières torpeurs de la nuit, elle remarqua qu'il s'illumina en reprenant ses paroles.
Oui, ils allaient pouvoir rentrer.

Ravie, Nilla hocha la tête avant de poursuivre :

- Déjà parce qu'il faut qu'ils mangent, et ensuite oui, le temps est clair, nous allons pouvoir rentrer.

Elle incita les cervidés à la suivre à l'extérieur et dans le claquement de leurs sabots sur sol, Niila perçu un empressement presque tangible. Les animaux avaient faim et puis, ils étaient habitués à vivre en extérieur. Peut-être n'avaient-ils pas apprécié cette nuit enfermés.
Avant de quitter la grotte, la jeune femme se tourna vers le Chemenn et lui lança :

- Tu devrais regarder ta plaie à la jambe pendant que je ne suis pas là. Je vais faire un tour voir ce que je peux trouver à manger mais il reste de la soupe si tu veux te réchauffer.

Et ses pas la menèrent à la suite des rennes. Une forte buée s'échappa de leurs naseaux ronflants lorsqu'il franchirent l'entrée, et ils se mirent presque à trotter dans la poudreuse, à la recherche d'écorce, lichen et autre végétaux rabougris qui leur conviendraient très bien pour un petit déjeuner.
Maintenant qu'il faisait jour, Niila pouvait se rendre compte de l'étendu des dégâts liés à l'avalanche. La forêt était transfigurée, méconnaissable. Elle chercha à se diriger ou au moins à repérer de quel côté ils devraient repartir pour accéder à la piste du campement.
Avançant toujours dans la neige crissante, elle défit les bandages de ses doigts. Ils étaient moins gonflés que la veille, mais toujours aussi rouge et blanc, comme un damier étrange.

La douleur était également plus diffuse mais moins vive et surtout constante. Elle chercha des buissons, des baies, peu lui importait. La moindre racine un peu sucrée, la moindre goutte de sève aurait fait l'affaire. Mais elle ne trouva rien.
Les rennes eux, la suivaient de loin, de très loin. Ils broutaient allez savoir quoi ! Le museaux fouissant la neige, et de temps à autres, un des deux relevait la tête et voyant la potière au loin, faisait un ou deux pas avant de replonger dans la nourriture.
Nul signe de neige pour la journée, le soleil commençait même à la réchauffer un peu en lui tapant dans le dos. Cette sensation lui fit du bien et elle resta là, immobile quelques minutes à savourer ses rayons bienfaisant.
Enfin, elle fit demi-tour et reprit le chemin qu'elle venait de tracer jusqu'à la grotte. Bredouille, et le regard pensif, elle songeait aux personnes qu'elle allait retrouver aujourd'hui. La séparation avait été courte mais intense, Khilmari lui manquait.
Elle soupira en songeant à son père, qui n'avait pas du fermer l'oeil de la nuit, par sa faute.

Un bâillement sonore la tira de ses réflexions, par tous les dieux comme elle était fatiguée....
Sa nuit avait été trop courte et ses réveils intempestifs l'avaient achevé.
Mais il restait encore beaucoup à faire, remballer les affaires, manger, fixer l'ensemble sur les rennes et faire monter Wakumbë dessus.
Alors ils pourraient reprendre le chemin du retour.

Le changement de luminosité lorsqu'elle entra dans la caverne lui fit cligner des yeux plusieurs fois.
Wakumbë avait mis la soupe à réchauffer.

- Désolée, souffla-t-elle doucement en haussant les épaules, nous allons devoir nous contenter de ça.

Elle s'avança alors vers lui armée de ses bottes non lacées et s'accroupit à ses côtés.
Son regard azur plongea dans le sien et toujours inquiète, elle demanda :

-Alors ? Ta jambe ? Tu penses pouvoir tenir sur un renne ?
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MessageSujet: Re: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650]   Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] - Page 2 Icon_minitime7/2/2015, 16:12

L'idée de pouvoir rentrer au campement emplissait Wakumbë d'un soulagement sans bornes. Il avait trop redouté de devoir passer plusieurs jours dans cette caverne, si l'épaisseur de la neige ne leur avait pas permis de sortir. La simple possibilité qu'il puisse devoir demeurer cloîtré entre ces quatre murs l'emplissait d'amertume et d'inquiétude. Tant de choses pouvaient se passer durant leur absence ! Plus que tout, le jeune homme craignait d'être accueilli par de mauvaises nouvelles. Plus le temps passait, plus la liste de ceux qui les avaient quitté devait s'allonger. Wakumbë avait hâte de retrouver les siens, de s'assurer que ce que lui avait rapporté Niila était bien la vérité. Il souhaitait constater leur bonne santé, voulait offrir une accolade bourrue mais significative à Mako, presser l'épaule de Mamaka avant de proposer son aide.

Mais les mots de Niila le tirèrent bien vite de son inquiétude. Ils allaient pouvoir rentrer aujourd'hui ! Détendu, Wakumbë lui rendit son regard, un sourire jusqu'aux oreilles. Le soulagement se mêlait à la joie. Ce cauchemar prenait fin plus tôt que prévu. Que pourrait-il arriver de mal ? Niila finit par s'éclipser, conduisant les rennes à l'extérieur. Wakumbë la regarda s'éloigner, rassuré. Mais alors que la jeune femme s'apprêtait à faire ses premiers pas dans la neige, elle se retourna et lui confia quelques remarques qui firent s'effacer son sourire. Il rassembla toute sa bonne volonté pour articuler d'un ton assuré et confiant :

« Bien sûr ! Compte sur moi !»

Mais dès que Niila eut disparu, le jeune homme poussa un grognement. L'idée de jeter un œil à sa jambe blessée ne l'enthousiasmait pas tellement. Pas du tout, en fait. La douleur dans sa jambe s'était atténuée, se changeant en une présence lointaine, comme un bruit de fond qu'il pouvait ignorer. Étrangement, il avait perdu un certain nombre de sensations dans sa cuisse, mais il ne savait pas si c'était du à la peur, au fait que ses muscles devaient certainement être endommagés, ou au froid. Wakumbë se fichait pas mal de savoir quelle était la raison de cette léthargie : tant qu'il n'avait pas mal, il pouvait très bien vivre dans le mystère.

Le Chemenn ne put se résoudre à passer « à l'attaque » tout de suite. Après avoir étiré ses bras et ses épaules pour achever de se réveiller, le jeune homme se glissa près du feu grâce à la technique qu'il connaissait bien. S'il devait ôter une épaisseur de vêtement pour s'occuper de sa cuisse, mieux valait être proche de la chaleur !

Avant de se déshabiller, il prit soin de faire fondre de la neige jusqu'à ce que l'eau obtenue soit chaude. Il ôta l'un des morceaux de tissus qui entouraient ses bottes fourrées pour s'en servir de bandage, comme il l'avait fait pour Niila la veille. En attendant que l'eau se réchauffe, Wakumbë remit la soupe sur le feu, découvrant sans surprise qu'il mourrait de faim : s'il avait dîné hier soir, son corps avait besoin de reprendre des forces et le lui faisait sentir. Lui-même avait la gorge nouée à l'idée de l'épreuve qui l'attendait, mais il se promit de s'obliger à manger. Wakumbë était toujours mal à l'aise à la vue du sang, qu'il s'agisse du sien ou de celui d'un autre. Il avait la désagréable sensation que le contenu d'un corps décidait de se faire la malle, et trouvait ça particulièrement écœurant, voire contre-nature.

Quand tout fut prêt, le jeune homme ôta son pantalon. Il se sentait comme un chevreuil pris au piège entre trois chasseurs. Alors vêtu de son sous-vêtement – une espèce de pantacourt s'arrêtant à mi-cuisses, il prit le temps d'observer l'état de son bandage. Il était imbibé de sang, mais celui-ci semblait sec, ce qui le rassura un peu : manifestement, sa blessure n'avait pas saigné toute la nuit. C'était déjà une bonne nouvelle. Wakumbë prit une grande inspiration avant de décoller le bandage. Cela lui arrâcha un grognements, car le sang avait collé le tissu à sa peau. Il dut prendre quelques secondes pour se calmer et ignorer les élancements qui parcouraient sa cuisse, avant de réunir son courage pour y jeter un œil.

Comme il l'avait supposé, sa blessure ne saignait plus, ce qui lui permettait d'y voir plus clair. Avec écœurement, Wakumbë distingua une tâche blanche sous la chair meurtrie, et se demanda s'il s'agissait de son os. Mais non, certainement pas... pas vrai ? Ça lui ferait bien plus mal que ça, si c'était le cas. Hein ? Préférant ne pas trop y penser, il s'obligea à respirer par la bouche pour refouler la nausée qui menaçait de le submerger.
Plusieurs impuretés étaient collées sur les lèvres de la plaies. De ses mains tremblantes, le jeune homme plongea le tissu qu'il avait préparé dans l'eau chaude, avant de l'appliquer sur sa cuisse. La douleur lui arracha un cri, mais il serra les dents. Nettoyer la plaie ne lui prit pas longtemps, mais ce fut suffisant pour le couvrir de sueur. Wakumbë ne connaissait pas grand chose aux soins à apporter à de telles blessures. A tout le moins savait-il vaguement qu'il aurait pu désinfecter la plaie avec de l'alcool, et qu'il devrait y apposer un cataplasme une fois rentré au campement. Peut-être qu'un guérisseur pourrait recoudre les bords de sa blessure pour accélérer sa cicatrisation ? Mais ça s'arrêtait là. Le jeune homme espérait que son travail serait suffisant et qu'il n'attraperait pas quelque cochonnerie...

Incertain, le Chemenn essora le tissu et observa son ouvrage. C'était plus propre, certes, mais aussi plus effrayant. Frissonnant, Wakumbë saisit le nouveau bandage et en enserra sa cuisse. Il le noua solidement, et renfila son pantalon. Il ne ressentait pas le froid, car sa peau était brûlante. Comme il l'avait prévu, le jeune homme se força à avaler quelques gorgés de soupe : elle était à peine tiède, mais il devait avaler quelque chose pour ne pas tomber dans les pommes. Enfouissant sa tête entre ses bras, s'efforçant de calmer les élancements dans sa cuisse, Wakumbë n'entendit pas Niila s'approcher. C'est sa voix qui le fit sursauter et relever la tête précipitamment. Le jeune homme sentit son visage changer d'expression, se faisant rassurant et avenant. Son corps obéissait à un réflexe qui lui échappait.

S'il était en état de grimper sur un renne ? La question le percuta de plein fouet : à dire vrai, il n'avait pas pensé à ça. Wakumbë répondit sans mentir :

« C'est moins terrible que ce à quoi je m'attendais. Je pense que ça va pouvoir guérir sans trop de mal une fois que je pourrai soigner ça correctement. »

Le jeune homme sourit bravement afin de ne pas inquiéter Niila. Les choses seraient peut-être aussi simples, finalement.

« Quant au renne... oui, ça devrait aller. »

L'idée de passer plusieurs heures secoué de droite à gauche ne l'enthousiasmait pas, mais avait-il vraiment le choix ? Hors de question de rentrer à pied, il ne pouvait pas marcher. Wakumbë sourit à nouveau à Niila, qui s'était accroupie à ses côtés. Il remarqua que la jeune femme avait conservé ses gants : pour lutter contre le froid, ou pour lui dissimuler l'état de ses doigts ? Ne montrant rien de son inquiétude, le Chemenn lui déposa un bisou sur la joue d'un air faussement guilleret.

« La soupe devrait être chaude d'ici quelques minutes. » Il riva à nouveau son regard vers la petite potière, et demanda d'un air plus sérieux : « Et toi, ça va ? »
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Tout semblait aller bien mieux que la veille. Wakumbë lui-même paraissait plus rassurant quant à l'état de sa plaie à la cuisse, il souriait beaucoup. Niila lâcha un soupir soulagé et récolta un baiser sur la joue. Même si elle en avait l'habitude, cela lui donnait toujours quelques couleurs aux joues.
Les marques d'affection du Chemenn ne la laissait jamais de marbre bien qu'il lui ait raconté qu'avec le temps, ce genre de sensations s'amenuisaient, elle en doutait sincèrement. Elle n'avait qu'à le regarder dans les yeux pour le savoir.
Accroupie à ses côtés, elle souriait elle aussi. Aujourd'hui, ils rentreraient, alors Elina prendrait soin d'eux et tout ceci ne serait plus qu'un vaste souvenir rapidement éloigné par le bonheur d'être en vie et la volonté de continuer.
Oui, on soignerait leurs blessures, Wakumbë remarcherait vite, et elle pourrait rapidement retrouver l'usage de ses doigts. Ils ne resteraient pas insensible à vie n'est-ce pas ?

Alors pourquoi cette angoisse lui serrait le cœur ? Et qu'en serait-il de ses blessures du cœur ? De ses souvenirs revenus et de la douleur qui les accompagnait ?
Elle chassa ses idées comme il lui demandait comment elle se sentait à son tour.
Plaquant un sourire sur son visage, elle déglutit avant de répondre :

-Bien mieux ! La douleur est plus diffuse mais...moins intense. Je ne peux toujours pas utiliser mes doigts comme avant mais, ça viendra.

Elle se releva dans le but de rassembler leurs affaires, mais avec ses bottes mal attachées, elle manqua de trébucher et se rattrapa in extremis avec un équilibre plus que précaire en battant des bras tel un oiseau maladroit. Piteuse, elle revint vers Wakumbë et lui demanda de nouer les liens de ses bottes. Ce qu'il fit. Etait-il …. entrain de rire ? Elle n'en était pas sûre, aussi elle s'accroupit à nouveau à ses côtés et le fixa un moment.

J'ai failli tomber, lâcha-t-elle subitement comme une explication rationnelle à ce qui venait de se produire.

Et à ses mots, le Chemenn éclata véritablement de rire. Niila se sentit ridicule mais ne pouvait malheureusement pas faire grand chose pour palier à cela. Elle prit alors le parti d'en rire également et finit par grommeler un «  mangeons » pour passer à autre chose.
Elle fut alors stupéfaite de voir à quel point son comportement ressemblait trait pour trait à celui de Khilmari, mais n'en dit rien.
Elle avait tellement hâte de rentrer auprès de son père, de lui montrer qu'elle allait bien et qu'elle avait réussi à ramener Wakumbë à leur clan. Finalement, sa capacité à vadrouiller dans l'environnement hostile de leur territoire s'était avérée plus que concluant.

Ils mangèrent cette soupe qui réchauffée leur apparut presque bonne en silence. De temps en temps, leur regards se croisaient et leurs sourires se dessinaient en écho de ce contact visuel.
Et puis, vint le temps de rassembler les affaires. Comme Wakumbë s'occupait de réemballer couvertures et paquetages, Niila sortit chercher les rennes. Les cervidés ne furent pas ravis de retourner à l'intérieur de la caverne mais elle ne leur laissa pas vraiment le choix.
Elle aida le Chemenn à se relever et lorsqu'elle se fut assurée qu'il tenait bon, appuyé sur la paroi de la grotte, elle prit le paquetage à bras le corps pour le placer sur le renne.
A nouveau, elle se fit le portant de Wakumbë, glissant une main autour de sa taille pour le maintenir debout afin qu'il puisse attacher leurs affaires au dos de l'animal.
Appuyé sur sa seule jambe valide, elle voyait bien qu'il serrait les dents, mais il ne se plaint pas. De toute façon, ils n'avaient pas le choix.
Le temps semblait s'étirer à l'infini, Niila avait la désagréable sensation qu'ils étaient lents. Mais là encore, ils ne pouvaient aller plus vite, simplement parce que leurs états ne le permettaient pas.
Niila ramena le renne à l'extérieur et l'animal la suivit, docile. Restait le feu, les bols et la marmite. Elle ne pouvait les nettoyer et décida donc qu'ils resteraient ici en compagnie des boisseaux de bois qu'elle avait ramassé. Peut-être cela servirait à un autre individu abrité pour la nuit ?
D'un mouvement de botte, elle éteignit le feu en l'étouffant avec de la neige puis attrapa la vaisselle pour vider le reste de son contenu à l’extérieur. Elle le remplaça par de la neige fraîche et plaça l'ensemble à côté de l'entrée, afin qu'on les remarque rapidement en entrant.

Et puis, vint le moment de faire monter Wakumbë sur le renne. Bien que l'animal soit couché, cela n'allait pas être une partie de plaisir. La jeune femme appréhendait ce moment, mais l'attendait aussi impatiemment. Après cela, plus rien ne les retiendrait de se remettre en marche et regagner leur famille.
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Wakumbë fut soulagé d'apprendre que l'état de Niila s'était amélioré lui aussi. Il avait naïvement espéré que leurs blessures disparaîtraient en quelques heures, habité par l'espoir crédule des enfants qui pensent que leurs problèmes s'envolent d'eux-même. Évidemment, les choses ne fonctionnaient pas comme ça, et il était toujours désagréable de revenir les pieds sur terre. De plus, le jeune homme ne savait pas s'il pouvait croire la petite potière sur parole : après tout, elle lui avait bien caché sa douleur et ses blessures hier soir. Elle pouvait très bien lui mentir en prétextant qu'elle allait mieux. Le soulagement de Wakumbë fut donc mitigé, mais il n'en montra rien, accueillant cette information par un hochement de tête satisfait. Dans tous les cas, la douleur de Niila était plutôt bon signe... cela signifiait que la sensation dans ses doigts n'avait pas disparue, qu'elle pourrait à nouveau sentir par le toucher. Un mal pour un bien, en somme : il aurait été plus inquiétant si elle n'avait rien senti du tout. Le jeune homme se promit de lui rappeler de solliciter ses doigts une fois rentrés au campement, en les massant comme lui-même l'avait fait la veille. Avec un baume gras et nourrissant, sa peau devrait guérir sans trop de difficulté. Le Chemenn l'espérait, en tout cas.

Mais les doigts de Niila n'étaient pas son unique sujet de préoccupation. Ce qu'elle lui avait révéla hier soir recommençait à le hanter, comme une rengaine impossible à éviter. Alors qu'il hésitait à l'interroger à ce sujet, la jeune femme se redressa pour achever de ranger quelques objets, et manqua de tomber. La première réaction de Wakumbë fut un sursaut d'inquiétude en voyant Niila chavirer, mais il se rasséréna bien vite en constatant qu'elle parvenait à retrouver son équilibre. La fatigue et le stress lui arrachèrent un rire nerveux, qu'il tenta de faire passer pour une quinte de toux. Sans qu'il sache trop pourquoi, la jeune femme s'approche de lui d'un air piteux, lui demandant honteusement s'il pouvait lacer ses bottes. Niila poursuivit en expliquant l'origine de ses joues rouges et de sa gêne. Accroupie à ses côtés, elle lui permettait de distinctement voir son visage, et celui-ci était si peu fier que Wakumbë sentit son hilarité redoubler. Il peinait déjà à se contenir, se mordant l'intérieur des joues. L'explication simple et rationnelle de Niila acheva de le dérider, et il finit par éclater de rire en lui ébouriffant les cheveux d'un geste affectueux.

« Oh ouais, j'avais remarqué ! »

Rire secouait douloureusement ses côtes, mais ça faisait tout de même moins mal que le silence pesant qui menaçait de s'installer. L'atmosphère s'était considérablement détendue, et Wakumbë finit par secouer la tête, attendri et amusé à la fois. Manifestement honteuse, Niila finit par décréter qu'il était temps de manger, et le jeune homme cacha son sourire derrière sa main, ne voulant pas rajouter à son malaise.

Manger leur firent du bien, et c'est animé de nouvelles forces que le Chemenn se sentait prêt à affronter cette journée, qui s'annonçait difficile. Les doigts de Niila ne lui permettaient pas de fermer les paquetages ou d'harnacher les rennes, et Wakumbë savait qu'il devrait lui prêter ses mains pour boucler le reste des préparatifs. Une fois les bêtes rentrées à l'intérieur de la grotte, le jeune homme prit appui sur l'épaule de Niila. La petite potière le soutenait en le maintenant par la taille, et il put sautiller sur un pied jusqu'au premier renne. Se tenir debout réveillait la douleur dans sa cuisse blessée, mais il serrait les dents et ne fit aucun commentaire. A coup sûr, il s'agissait d'une épreuve, mais il avait enduré bien pire récemment. Motivé par l'idée qu'ils pourraient bientôt quitter cet endroit, Wakumbë se concentra sur les gestes de ses mains, déportant de temps à autre son poids sur le flanc du renne pour soulager Niila quelques secondes. Comme la plupart des Okanakis, le Chemenn était svelte et ne pesait pas bien lourd, mais la jeune femme était encore plus fluette que lui et ne devait pas avoir l'habitude de supporter une telle charge. Wakumbë détestait cette situation, détestait se sentir infirme. Mais il ignorait son amertume en se faisant la réflexion que les choses ne devaient pas être faciles pour Niila non plus : il imaginait difficilement comment il pourrait se passer de ses mains. Elles étaient au moins aussi importantes que le fait de pouvoir se déplacer seul, sinon plus. Ce que la jeune femme endurait devait être bien pire que son propre fardeau.

Lorsque la dernière sangle fut solidement bouclée, Wakumbë poussa un soupir de soulagement et s'adossa contre un mur. S'il se laissait retomber sur le sol, il n'était pas certain de pouvoir se relever, c'est pourquoi il fit l'effort de demeurer debout, malgré la douleur diffuse dans sa jambe. Il avait l'impression que son bandage était chaud et humide contre sa peau, mais il espérait se tromper. Silencieux, se concentrant sur sa respiration régulière, le Chemenn observa Niila achever le rangement de la caverne. Il eut un pâle sourire en voyant qu'elle laissait quelques objets, qui pourraient certainement se révéler utiles pour d'autres personnes infortunées. La jeune femme agissait avec un soin qu'il ne lui connaissait pas, de manière presque maniaque. Wakumbë ne savait pas trop quoi penser : étaient-ce ses propres tics et manies qui avaient fini par déteindre sur Niila à force de dîner sous le même toit, ou bien la jeune femme s'efforçait-elle de retarder le moment de le faire monter sur le renne ?

Mais ce moment arriva. Il arriva, et le jeune homme réalisa seulement à quel point il l'avait redouté. Niila l'aida à s'approcher du renne couché au centre de la caverne, près du feu qu'elle venait d'éteindre. Wakumbë prit soin de gratter le front de l'animal pour lui indiquer sa présence et son intention : tout le monde était un peu sur les nerfs en ce moment, il n'avait pas vraiment envie de se retrouver les fesses par terre parce que sa monture aurait été surprise de sentir un poids mort sur son dos. Comme l'animal ne bronchait pas, le jeune homme prit une profonde inspiration et souleva sa jambe blessée pour la faire glisser de l'autre côté de la selle. Ce simple geste lui coûta énormément, et il ferma les yeux une seconde, attendant que l'éclair douloureux s'atténue. Se focalisant toujours sur son souffle, Wakumbë accepta le soutien que lui offrait Niila, et acheva d'enfourcher l'animal. Il assura son assiette et agrippa le pommeau pour ne pas montrer que ses mains tremblaient :

« On peut y aller. »

La petite potière lui sourit d'un air désolé comme pour montrer qu'elle compatissait sincèrement, et fit se lever le renne. L'animal se dressa tout d'abord sur ses jambes avant, et Wakumbë rentra la tête dans les épaules en sentant la douleur irradier dans son torse. Ses côtes n'appréciaient pas ce mouvement brusque. Il ne fallut que deux ou trois secondes au renne pour se remettre d'aplomb, mais ce fut suffisant pour que le Chemenn sente le sang quitter son visage. Pris de vertiges, il ferma les yeux et crut qu'il allait perdre connaissance : l'air avait été chassé de ses poumons, et il peinait à respirer. Quand il put enfin aspirer une grande goulée d'air, celle-ci brûla sa gorge comme du métal en fusion. Frissonnant, il déglutit péniblement et se raidit lorsque Niila conduisit le renne à l'extérieur.

L'air était froid, mais revigorant. Wakumbë sentit la douleur refluer lentement, et cela fut un immense soulagement. Aveuglé par la vive lumière, il cligna des yeux avant de pouvoir distinguer quoique ce soit. Niila avait attrapé les guides de l'autre renne, et ils avançaient tranquillement. La neige obligeait sa monture à lever haut les genoux, et cette exagération se répercutait jusque dans le corps de Wakumbë. Chaque seconde était une torture : sa jambe blessée pendait désagréablement sur le flanc de l'animal, et sa blessure se réveillait à chaque secousse, de même que ses côtes fêlées.
Ils n'avaient fait que quelques mètres, mais le jeune homme voyait Niila avancer bravement. La neige lui montait jusqu'à mi-jambes, et il n'osait imaginer l'effort qu'elle devait fournir pour progresser à cette allure. Soucieux, il hésitait à lui demander si tout irait bien pour elle. Que pourrait-il faire pour alléger son tourment et la responsabilité qui pesait lourdement sur ses frêles épaules ? Il n'était qu'un poids, un fardeau. Honteux, Wakumbë savait qu'il n'était pour rien dans cette histoire, mais ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. S'il n'était pas bêtement tombé dans cette fosse pleine de pieux, il aurait pu prendre la place de Niila et la laisser monter le renne. Mais avec des « et si... » on refaisait facilement le monde. Wakumbë croisa le regard de la jeune femme, et espéra que sa tristesse ne se voyait pas trop dans ses yeux. Il aurait voulu pouvoir faire quelque chose pour elle.

Enfin... il aurait tout le temps de se rattraper une fois rentré au campement, une fois guéri.
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MessageSujet: Re: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650]   Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] - Page 2 Icon_minitime11/2/2015, 19:05

Niila avait laissé du temps au Chemenn, autant de temps qu’il lui fallait pour grimper sur le renne. Elle avait également décidé de limiter l’aide qu’elle pourrait lui apporter, le soutenant physiquement au besoin mais sans lui imposer quoique ce soit.
Elle se doutait bien que ce n’était pas une mince affaire, tout comme elle se doutait que les élancements de la jambe de Wakumbë ne cesseraient qu’une fois qu’il serait descendu du cervidé, c'est-à-dire dans de nombreuses heures, une fois au camp.

Restait encore tout le trajet qui serait sans aucun doute périlleux et tanguant. Elle aurait souhaité pouvoir le soulager de sa douleur, ne serait-ce qu’un peu, mais c’était impossible. Alors elle souriait, espérant que sa compassion lui donnerait du courage, mais même si ce n’était pas de son fait, elle avait la vague sensation que le jeune homme se renfrognait petit à petit.
Elle n’aimait pas trop ça car elle avait la sensation que cela créait un gouffre entre eux. Pourtant comment pourrait-elle jamais lui en vouloir ? Il souffrait et le froid et la fatigue n’y étaient pas non plus étrangers. Aussi, elle s’abstint même de l’encourager, pensant que cela achèverait de l’agacer. Ne s’étaient-ils pas disputé dans la grotte lorsqu’elle l’avait trop materné ? Cela partait d’un bon sentiment du côté de Niila, elle ne voulait simplement pas qu’il se vide de son sang, qu’il…meurt. Mais lui l’avait pris comme un affront personnel, comme si elle le jugeait incapable de faire quoique ce soit.

Au-delà de leur amour réciproque, la réalité dure et tangible les avait rattrapé : dans cette situation de survie l’amour ne suffisait pas, il envenimait très certainement les choses même. L’inquiétude et l’angoisse de perdre l’être cher les poussaient dans leurs derniers retranchements, se voulant protecteur l’un envers l’autre.
C’était une leçon qu’elle n’oublierait pas de si tôt.
Elle le prévint simplement lorsqu’elle fit lever le renne et le Chemenn serra les dents. Elle le vit blêmir mais retint son geste de s’enquérir de son état. Elle ne pouvait qu’imaginer sa douleur et s’évertua à le ramener au campement le plus rapidement possible. Elina saurait quoi faire. Mais était-elle encore en vie ?

Niila soupira lorsque ses pieds s’enfoncèrent dans la neige fraîche. Le soleil l’aveugla quelques instants, mais elle en avait l’habitude, aussi après quelques larmoiements réactionnels au rayons brûlants, elle cligna des yeux et chassa l’eau à travers ses cils.
L’air glacé lui brûla la gorge déjà en feu par ses appels incessants de la veille. Mais elle se moquait bien de devenir aphone tant qu’elle rentrait chez elle, avec Wakumbë en vie. De la même façon, ses jambes s’enfonçaient jusqu’à hauteur de ses genoux ralentissant considérablement sa marche, mais sa volonté était sans faille, elle avancerait coûte que coûte. Et leur long trajet commença lorsque Wakumbë lui offrit un sourire triste qu’elle ne releva pas. Trop de peine s’était élevée entre eux ses dernières vingt-quatre heures et elle ne se sentait plus la force de supporter d’avantage.

De temps à autres, les rennes émettaient quelques sons graves, grognements qui fendaient l’air et qui se répercutaient sur la neige environnante. En dehors des animaux et ces crissements de pas, nul bruit ne trahissait leur présence.

Niila en profita pour observer les environs et mieux se rendre compte des dégâts infligés à la nature par l’avalanche. Le Dieu de l’hiver n’y avait pas été de main morte. En regardant vers le pic plus à l’Ouest, on pouvait voir sur le versant de la Montagne le pan de neige qui s’était détaché. C’était aussi fascinant qu’effrayant et là encore, la jeune femme retint la leçon qui s’imposait à elle. A moindre distance, elle regardait les arbres arrachés, retournés par la vague de neige qui avait brisé leurs racines. Niila retint un sanglot et puisa en elle encore une fois pour ne pas céder aux ressentis qui l’habitaient.
Ces arbres repousseraient au printemps, leurs racines retrouveraient une place dans le sol. Leur forme serait différente mais ils seraient en vie. Cela vaudrait aussi pour elle. Dans les mois à venir il lui faudrait faire un choix, maintenant qu’elle se souvenait, tout serait forcément différent.

Elle tourna son visage vers Wakumbë se demandant alors comment il réagirait si elle devait quitter les Chilchaki. N’avait-elle pas pleuré, n’avait-elle pas souffert le jour où il lui avait dit qu’il souhaitait parcourir le monde ? Ne s’était-elle pas sentie abandonnée alors ?
Aujourd’hui les choses étaient différentes et c’est le regard triste qu’elle étira ses lèvres en un sourire forcé lorsqu’elle reconnut un embranchement non loin du campement.
Elle se tourna alors vers Wakumbë et lui lança :

- Nous serons bientôt à la maison !

L’idée lui fit chaud au coeur malgré tout, même si elle hésitait encore sur ses propres sentiments. Etait-ce véritablement sa maison ? Elle baissa les yeux un moment et continua à avancer, plongée dans ses propres réflexions. Puis, elle finit par bander sa volonté, elle avait le temps d’y réfléchir, il y avait plus urgent. Wakumbë était blême, cela l’inquiétait, mais elle ne voyait pas non plus combien elle était exténuée, se raccrochant à l’idée fixe de sauver le Chemenn. Ils étaient bientôt arrivés, encore un pas, puis un autre et…elle finit par apercevoir la pointe d’une tente chilchaki.
A ce signal, elle accéléra encore et après s’être suffisamment rapproché, elle put remarquer au loin deux silhouettes Chilchaki qui se dressaient. Elle stoppa net sa marche et se tourna vers Wakumbë, le regard flou et humide.

- Nous y sommes, souffla-t-elle alors que les larmes roulaient à présent sur ses joues. Nous l’avons fait…nous sommes rentrés…nous...

C’est à ce moment là que les ténèbres l’aspirèrent et qu’elle s’effondra sur le sol amorti par la neige.
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Les choses n'auraient probablement pas été aussi désagréables en d'autres occasions. Wakumbë sentait que la situation aurait pu être confortable, et les rendre heureux Niila et lui. Après tout, ils étaient ensemble, et le soleil brillait au-dessus d'eux, réchauffant le paysage dévasté par les récents événements. Ils marchaient en silence, mais ils auraient pu parler, comparer leurs souvenirs réciproques, imaginer un avenir commun. Wakumbë avait le sentiment – encore fugace et flou, certes – qu'ils finiraient par partager le même ciel et les mêmes jours. Cette idée s'imposait peu à peu à lui, même si le jeune homme n'en prenait pas encore pleinement conscience. Mais un jour viendrait où cette vérité le frapperait de plein fouet, et alors chaque chose trouverait la place qui lui est destinée. Tout irait pour le mieux. Il suffisait d'être patient, c'est tout...

Cela aurait pu être agréable, oui. Ils avançaient silencieusement, et seul le chant des rares oiseaux à ne pas s'être envolé pour le sud répondait à la neige qui crissait sous les pas des rennes. Ceux-ci avançaient à un bon rythme malgré leurs sabots qui s'enfonçaient profondément dans la poudreuse : manifestement, ils étaient aussi pressés qu'eux de rentrer. La monture du Chemenn effectuait parfois une embardée pour éviter de glisser ou de s'enfoncer trop profond dans la neige, et ces simples mouvements suffisaient à faire grimacer le cavalier. Wakumbë sentait son corps protester dans son intégralité, de ses côtes jusqu'à ses jambes, en passant par son dos meurtri. Il n'avait pu s'examiner, mais le jeune homme savait parfaitement que de nombreux hématomes devaient maculer sa peau d'albâtre. Pour ne pas céder aux gémissements qui menaçaient de le submerger, Wakumbë concentrait son attention sur la jeune femme.

Niila avançait vite, comme si elle voulait mettre le plus de distance possible entre l'avalanche et elle. Wakumbë eut le sentiment qu'elle fuyait quelque chose, sans parvenir à deviner quoi. Les yeux fixés sur le dos que lui montrait la jeune femme, il détournait parfois le regard pour observer la nature alentours. La fureur de la montagne avait dévasté le flanc de celle-ci, allant jusqu'à arracher les racines des arbres, changeant la forêt en une mer immaculée. Seules quelques tâches brunes ou vertes sombres sortaient ça et là, vestige des pins gigantesques qui s'étaient fièrement tenu là quelques heures plus tôt. Le tableau était impressionnant, car il permettait de deviner la force terrible avec laquelle la neige avait tout détruit. Impressionnant, mais aussi terriblement triste. Wakumbë sentait son cœur se serrer tandis qu'ils contournaient ce champ de ruines. Il dut finalement détourner les yeux, écœuré. Ces arbres n'avaient rien demandé à personne. Pourquoi le dieu de l'Hiver avait-il tenu à leur imposer la même épreuve ? Son jugement était sans appel. En dehors du clan, tous avaient péri. Oh, ils repousseraient, bien sûr. Mais combien de temps s'écoulerait-il avant que la prochaine génération de pins ne soit elle aussi détruite ? Le décor inspirait le respect et la crainte, Wakumbë ne ressentait que de l'amertume. Il avait un goût désagréable dans la bouche, et finit par cesser d'observer le paysage pour ne pas céder à la colère qui grondait en lui. Les Chilchakis devaient le respect à l'Hiver, le Chemenn le savait. Mais le jeune homme ne se sentait pas capable de céder à l'adulation aveugle. Sa raison lui soufflait que tout ceci n'avait aucun sens. Si l'Hiver était véritablement un dieu, alors ses actes et décisions demeuraient cruelles et causaient la perte de nombreux innocents.

Ils marchèrent plusieurs heures. Le silence étaient pesant, mais pas autant que sa cuisse blessée. Presque sans émotion, Wakumbë constata que le bandage était humide, probablement imbibé de sang. Cela ne lui fit ni chaud ni froid. En-dehors de l'amertume, de la colère et de l'inquiétude vis-à-vis de Niila, plus rien ne l'atteignait. Combien de temps leur faudrait-il à tous les deux pour se relever de cette épreuve ?
La jeune femme tourna subitement le visage vers le Chemenn, alors qu'il était justement en train de l'observer. D'ordinaire, Wakumbë aurait détourné la tête en se raclant la gorge, gêné d'être pris sur le fait. Mais cette fois-ci, il se contenta de lui rendre son regard. Ces simagrées ne rimaient plus à rien. Ils avaient vécu trop de choses pour se préoccuper de ce genre de détails. Elle était son cœur, son souffle, elle était les jambes qui le portaient. Ils avaient trop partagé, partageaient trop. Niila afficha un pâle sourire, avant de lui apprendre qu'ils ne tarderaient pas à atteindre le campement. Wakumbë en ressentit un grand soulagement, et se détendit un peu. Effectivement, en regardant le paysage alentours avec attention, il reconnût quelques détails qui vinrent confirmer les dires de la jeune femme. Mais l'inquiétude chassa bien vite le soulagement : les questions habituelles vinrent le torturer. Combien avaient péri durant leur absence ? Le compte des disparus avait-il beaucoup augmenté ? Et si les blessés n'avaient pu survivre à cette nuit ? Et si...

Wakumbë fut tiré de ses pensées par la voix de Niila. Elle était tremblante, comme si sa gorge était nouée. Alerté, le jeune homme ouvrit la bouche pour s'enquérir de son état, mais au même moment la petite potière perdit l'équilibre et s'effondra mollement. Ses jambes ne pouvaient plus soutenir son poids, et elle chuta sur le côté. Terrifié, Wakumbë s'exclama aussitôt :

« Niila ! »

Sans réfléchir, il appuya sur son étrier droit pour descendre de sa monture. Mais la douleur se ranima aussitôt dans sa jambe gauche alors qu'il glissait, et dut se raccrocher au pommeau de la selle pour ne pas tomber à la renverse. Quand il eut repris son équilibre sur sa jambe valide, ignorant la douleur qui irradiait sur son flanc, Wakumbë se laissa tomber à genoux aux côtés de Niila. La jeune femme était livide, et ses yeux étaient clos. Le Chemenn posa aussitôt deux doigts contre son cou, et constata avec soulagement que son pouls était régulier. Il tira le corps inconscient de Niila afin que sa tête ne repose pas sur le sol. Négligemment, il chassa quelques flocons qui gisaient sur le front de la jeune femme, et laissa ses doigts effleurer sa joue glacée en soufflant :

« Oui, tu l'as fait... tu nous as ramené à la maison. »

Il hésita à secouer ou gifler la jeune femme pour la tirer de sa torpeur, avant de se reprendre. Niila avait simplement épuisé toutes ses réserves. Il avait du lui en falloir de la force et de l'énergie pour les garder en vie et les conduire jusqu'ici.
Wakumbë ignorait quoi faire : il était incapable de porter Niila pour la déposer sur le renne, ou même de la porter lui-même. A vrai dire, il ne pouvait même pas marcher. Désespéré, il finit par lever les yeux pour observer les alentours, espérant que quelques membres du clan traîneraient dans les parages. Après tout, ils n'étaient plus très loin du campement... effectivement, il aperçu deux silhouettes au loin. Avec un sursaut d'espoir, le jeune homme hurla pour les alerter. Sa voix ne réveilla pas Niila, qui gisait toujours inconsciente entre ses bras. Le jeune homme craignit un moment que sa voix ne parvienne pas jusqu'aux Chilchakis en contrebas de la colline, mais le vent porta son appel. « On est là ! EH ! PAR ICI ! »

Bientôt, les deux Okanakis furent là : il s'agissait d'une femme et d'un homme que Wakumbë connaissait à peine. Il fut tellement soulagé de voir quelqu'un que le jeune homme faillit céder aux larmes. Celles-ci faillirent le trahir à nouveau quand l'autre homme l'aida à se relever : la douleur irradiait dans sa jambe blessée. Il l'avait suffisamment malmenée pour qu'elle saigne abondamment. Le jeune homme sentait une torpeur agréable l'envahir, et il devait se faire violence pour ne pas céder aux ténèbres qui le menaçaient. Comme dans un rêve, il entendit les deux autres Okanakis commenter son état.

 « Oh bon sang, regarde sa jambe !
– Il a du perdre beaucoup de sang, il faut vite le conduire à Elina.
– Non... Niila... occupez-vous de Niila...
–  Tiens bon, Chemenn. Tu y es presque, lâcha l'homme en le soulevant comme s'il ne pesait rien.

Wakumbë lâcha un grognement, mais serra les dents. Ils rentrèrent tous les quatre, lui soutenu par cet homme qui semblait l'aider comme un adulte aide un enfant, et Niila jetée négligemment sur le dos de l'autre femme. Celle-ci ne disait rien et avançait d'un pas sûr, comme si les récents événements l'avaient endurcie. Wakumbë les entendit échanger quelques phrases dont il ne comprit pas le sens. Son esprit s'évadait, et bientôt sa jambe valide ne répondit plus à ses injonctions. L'homme du clan finit par le charger sur son épaule à son tour, et c'est ainsi qu'il regagna l'enceinte du campement. C'était à la fois humiliant et réconfortant.

Le jeune Chemenn eut à peine conscience de pénétrer sous une tente, puis d'être déposé sur une surface place et dure. Il entendit des voix, deux mains tièdes et douces mais fermes qui palpaient son corps endolori. Poussant un gémissement, il sentit qu'on déchirait la jambe de son pantalon, et se demanda pourquoi. Il eut sa réponse quand les mains expertes dénouèrent le bandage de fortune avant d'appliquer une substance sur sa plaie. Un cri lui échappa, qui se mua bientôt en un sanglot. Son corps lui échappait, ses pensées ne lui répondaient plus, Wakumbë n'était plus qu'une boule de nerfs et de sensations, tout lui parvenait avec une intensité décuplée. L'obscurité l'enveloppait de ses bras rassurants, impression qui fut renforcée quand un linge chaud fut posé sur son front où perlait la sueur.

 « Bon sang Wakumbë, où est-ce que tu t'es encore fourré ? »

Le jeune homme reconnut la voix d'Elina, et fut rassuré. Ils étaient entre les mains de la meilleure guérisseuse de tout le clan. Maintenant, plus rien ne pouvait leur arriver.
A côté, d'autres voix lui parvenaient, une femme dont il ne reconnaissait pas le timbre. Peut-être une volontaire qui prêtait main forte pour soigner les blessés. Il entendit qu'on parlait de Niila, et parvint à happer quelques mots. A bout de force, trouvée quand elle avait perdu connaissance. Fatigue intense, repos. S'en sortira ? Oui. Dormir. Mais malgré tout, Wakumbë sentait que quelque chose n'allait pas. Ils s'étaient contenté d'allonger Niila sur la couche à ses côtés, après l'avoir recouverte d'une couverture. Ouvrir les yeux lui demanda un effort considérable, mais cela lui permit de constater que la jeune femme avait toujours ses gants.

Entre deux frissons, Wakumbë parvint à souffler :

«  Doigts... regarder. »

Il n'y eut tout d'abord qu'un court silence, rompu par la femme qu'il ne connaissait pas : « Qu'est-ce qu'il a dit ? Est-ce qu'il délire ?» Mais à travers ses yeux mi-clos, le Chemenn distingua Elina qui soufflait sur une mèche qui avait glissé devant son visage mangé par de profondes cernes, mais néanmoins alerte et concentré. Il y avait une trace de sang sur sa joue, et une écorchure habillait l'une de ses pommettes. Le jeune homme reconnut son regard d'un vert intense, et la lueur qui l'animait. Il sut aussitôt qu'elle avait compris.

 « Il a toujours été d'une rare éloquence. »

Malgré la raillerie, la jeune femme ôta immédiatement les gants de Niila et poussa un juron en constatant l'état de ses doigts. Aussitôt, elle donna quelques indications à son assistante, et Wakumbë sentit les ténèbres l'entourer à nouveau. Il faisait à peine tiède sous la tente, pourtant une douce torpeur le dévorait peu à peu. Ses paupières se fermèrent d'elles-même. Les gestes d'Elina faisaient naître d'atroces tiraillements dans sa jambe, pourtant cela avait quelque chose de rassurant. Les mains de la guérisseuse voltigeaient rapidement auprès du blessé, tandis qu'elle confiait ses ordres à ceux qui étaient resté là pour l'aider. Manifestement, elle gérait plusieurs patients à la fois. La jeune femme savait exactement ce qu'elle faisait, de sorte que l'adolescente candide et trop souriante d'autrefois semblait bien loin.
Finalement, une mixture froide et grasse fut étalée sur sa plaie. Wakumbë voulut pousser un gémissement à ce contact, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il avait déjà sombré dans l'inconscience.
Il était en vie, Niila était en vie. Ils étaient en sécurité désormais. Et les ténèbres leur offraient le réconfort dont ils avaient besoin.
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