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| Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] | |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] 24/1/2015, 18:57 | |
| Rappel du premier message :
Ce matin semblait être un jour comme les autres, et pourtant...
Quand Niila sortit de sa tente, le soleil commençait à peine à pointer à travers l'horizon. Sa lumière rouge, incandescente, se réverbérait sur la neige fraîche, tombée dans le courant de la nuit. Les cristaux scintillants, donnaient une apparence surréaliste au tableau qui se dépeignait devant les yeux de la jeune femme. Elle inspira dans l'air glacé, et son souffle s'envola dans le ciel en un mince filet de fumée blafarde. Il faisait presque bon lorsqu'elle se décida enfin à franchir le pan de toile faisant office de porte de la tente. Le campement n'était pas encore tout à fait éveillé, et Niila aimait se déplacer en silence, parmi ses congénères endormi. Ainsi, elle avait la vague impression que la nature n'appartenait qu'à elle. Mais les événements qui se préparaient allaient lui prouver que la nature ne possédait pas de maître.
Ses pas crissaient dans l'étendue blanche et d'un regard, elle embrassa le paysage qui se dessinait à sa portée. Tout était toujours plus beau sous la poudreuse et ses lèvres s'élargirent en un sourire plein et entier. Elle leva son visage vers l'étendue bleutée qui prenait de plus en plus d'ampleur à mesure que le soleil pâlissait puis soupira lentement en réajustant le harnais de sa besace qui pendait à son épaule. A sa main droite, un sceau destiné à réceptionner ses échantillons d'argile, dans la droite, quelques outils pour la récolter. En quittant le campement, elle jette un dernier regard vers la tente de Wakumbë qui doit dormir paisiblement à l'heure qu'il est. Son coeur se gonfle d'affection à cette simple pensée et ses pupilles pétillent en songeant que depuis la première nuit qu'ils ont partagé, d'autres ont suivi, toutes aussi tendres et délicates. Le clan s'est habitué à leur relation, plus personne ne sourit ou ne rigole doucement devant la timidité des deux amoureux, certains même, vont jusqu'à les encourager lorsque Khilmari n'est pas dans les parages.
La veille pourtant, Niila à dormi chez elle, non pas que passer ses nuits chez le Chemenn soit devenu une habitude en temps normal, mais la jeune femme savait se lever tôt pour achever ses préparatifs en vue de la migration prévue dans plusieurs jours. Elle s'aventure donc, dans la forêt d'abord, pour accéder à la rivière plus au Nord, où elle possède ses petites habitudes. Les loutres seront-elles là aujourd'hui? Niila a hâte de le découvrir. Les quelques kilomètres qui séparent le fleuve du camp lui paraissent long, mais elle les parcourt sans broncher. Plus vite ses réserves seront faites, plus vite elle rentrera. Wakumbë lui manque déjà.
Le soleil est bien levé lorsqu'elle arrive sur les berges. Elle y découvre ses croquis, ses ébauches de loups dessinés à même le sable argileux du bord de fleuve et décide de s'en détourner rapidement, n'en étant pas satisfaite. Ce projet inachevé la frustre. Dans sa mémoire, le souvenir des loups reste vif, et elle n'arrive toujours pas à leur donner corps à travers ses doigts, comme si toutes ses pensées l'accaparaient ailleurs. Un mouvement attire son attention plus loin, entre deux rochers et son regard se fixe. Les loutres sont là, s'amusant de cette neige fraîche, se roulant dedans comme les petits animaux joueurs qu'elles sont. Amusée, Niila s'installe sur un rocher et les observe, gravant dans son esprit de nouvelles images pour ses poteries. Et puis, vient le moment de commencer à creuser, à observer et à relever. Le labeur est difficile, elle doit travailler sans gant et le froid lui mord les doigts. Pourtant, elle est agréablement surprise par la douceur de la température en ce jour. L'hiver approche et pourtant, on se croirait en début d'automne.
Le temps passe et son estomac lui signale que l'heure de manger approche. Elle essuie ses doigts dans un torchon préparé dans ce but exprès et attrape la viande séchée qu'elle s'est emporté. Mordant à pleines dents dans le morceau, elle arrête de mâcher pourtant, lorsqu'un grondement retentit dans l'atmosphère. Immobile, attentive, elle lève les yeux aux ciel, cherchant l'annonce d'un orage qui ne semble pas vouloir apparaître, et pour cause. Le soleil resplendit.
Pourtant, elle n'est pas folle, le grondement est toujours là, comme résonnant en sourdine et puis tout à coup, elle voit le vol d'oiseaux piaillants passant au dessus de sa tête, cherchant à fuir quelque chose mais quoi? Le nuage de fumée qui s'élève derrière eux répond à sa question et elle comprend. Ce n'est pas un orage. Les craquements qui retentissent ne sont pas des éclairs, mais le bruit des arbres déracinés, rompus par la masse de neige qui avale tout sur son passage.
Les yeux écarquillés, elle observe incrédule, la masse volatile de neige qui s'élève au dessus des arbres et remarque que le phénomène se déroule dans la même direction que la position du campement. Elle a peur, pas pour elle, mais pour ceux qui sont encore là-bas. Khilmari, Wakumbë, tous les autres. Son coeur manque un battement et elle cligne des yeux plusieurs fois, comme pour chercher à s'assurer qu'elle ne rêve pas, mais le nuage blanc est toujours là, et sans réfléchir plus, elle laisse tomber ses affaires et se met à courir.
Elle retrouve les pas qui l'ont conduit ici, mais les prend à revers en courant. Au fond d'elle, l'urgence se dissout dans ses veines, l'adrénaline bombarde son palpitant qui accélère encore et toujours, au rythme de sa course. Dans son ventre, la glace se forme, synonyme d'une peur qu'elle ne maîtrise pas. Il y a quelque chose, là, tout au fond d'elle. Elle sait, elle connait cette sensation, cette peur, elle l'a déjà vécu. Niila court toujours mais ses pas se ralentissent à mesure que son cerveau comprend l'ampleur du phénomène et lui rappelle alors, ce qu'elle avait oublié. L'avalanche. |
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| Sujet: Re: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] 11/2/2015, 19:05 | |
| Niila avait laissé du temps au Chemenn, autant de temps qu’il lui fallait pour grimper sur le renne. Elle avait également décidé de limiter l’aide qu’elle pourrait lui apporter, le soutenant physiquement au besoin mais sans lui imposer quoique ce soit. Elle se doutait bien que ce n’était pas une mince affaire, tout comme elle se doutait que les élancements de la jambe de Wakumbë ne cesseraient qu’une fois qu’il serait descendu du cervidé, c'est-à-dire dans de nombreuses heures, une fois au camp.
Restait encore tout le trajet qui serait sans aucun doute périlleux et tanguant. Elle aurait souhaité pouvoir le soulager de sa douleur, ne serait-ce qu’un peu, mais c’était impossible. Alors elle souriait, espérant que sa compassion lui donnerait du courage, mais même si ce n’était pas de son fait, elle avait la vague sensation que le jeune homme se renfrognait petit à petit. Elle n’aimait pas trop ça car elle avait la sensation que cela créait un gouffre entre eux. Pourtant comment pourrait-elle jamais lui en vouloir ? Il souffrait et le froid et la fatigue n’y étaient pas non plus étrangers. Aussi, elle s’abstint même de l’encourager, pensant que cela achèverait de l’agacer. Ne s’étaient-ils pas disputé dans la grotte lorsqu’elle l’avait trop materné ? Cela partait d’un bon sentiment du côté de Niila, elle ne voulait simplement pas qu’il se vide de son sang, qu’il…meurt. Mais lui l’avait pris comme un affront personnel, comme si elle le jugeait incapable de faire quoique ce soit.
Au-delà de leur amour réciproque, la réalité dure et tangible les avait rattrapé : dans cette situation de survie l’amour ne suffisait pas, il envenimait très certainement les choses même. L’inquiétude et l’angoisse de perdre l’être cher les poussaient dans leurs derniers retranchements, se voulant protecteur l’un envers l’autre. C’était une leçon qu’elle n’oublierait pas de si tôt. Elle le prévint simplement lorsqu’elle fit lever le renne et le Chemenn serra les dents. Elle le vit blêmir mais retint son geste de s’enquérir de son état. Elle ne pouvait qu’imaginer sa douleur et s’évertua à le ramener au campement le plus rapidement possible. Elina saurait quoi faire. Mais était-elle encore en vie ?
Niila soupira lorsque ses pieds s’enfoncèrent dans la neige fraîche. Le soleil l’aveugla quelques instants, mais elle en avait l’habitude, aussi après quelques larmoiements réactionnels au rayons brûlants, elle cligna des yeux et chassa l’eau à travers ses cils. L’air glacé lui brûla la gorge déjà en feu par ses appels incessants de la veille. Mais elle se moquait bien de devenir aphone tant qu’elle rentrait chez elle, avec Wakumbë en vie. De la même façon, ses jambes s’enfonçaient jusqu’à hauteur de ses genoux ralentissant considérablement sa marche, mais sa volonté était sans faille, elle avancerait coûte que coûte. Et leur long trajet commença lorsque Wakumbë lui offrit un sourire triste qu’elle ne releva pas. Trop de peine s’était élevée entre eux ses dernières vingt-quatre heures et elle ne se sentait plus la force de supporter d’avantage.
De temps à autres, les rennes émettaient quelques sons graves, grognements qui fendaient l’air et qui se répercutaient sur la neige environnante. En dehors des animaux et ces crissements de pas, nul bruit ne trahissait leur présence.
Niila en profita pour observer les environs et mieux se rendre compte des dégâts infligés à la nature par l’avalanche. Le Dieu de l’hiver n’y avait pas été de main morte. En regardant vers le pic plus à l’Ouest, on pouvait voir sur le versant de la Montagne le pan de neige qui s’était détaché. C’était aussi fascinant qu’effrayant et là encore, la jeune femme retint la leçon qui s’imposait à elle. A moindre distance, elle regardait les arbres arrachés, retournés par la vague de neige qui avait brisé leurs racines. Niila retint un sanglot et puisa en elle encore une fois pour ne pas céder aux ressentis qui l’habitaient. Ces arbres repousseraient au printemps, leurs racines retrouveraient une place dans le sol. Leur forme serait différente mais ils seraient en vie. Cela vaudrait aussi pour elle. Dans les mois à venir il lui faudrait faire un choix, maintenant qu’elle se souvenait, tout serait forcément différent.
Elle tourna son visage vers Wakumbë se demandant alors comment il réagirait si elle devait quitter les Chilchaki. N’avait-elle pas pleuré, n’avait-elle pas souffert le jour où il lui avait dit qu’il souhaitait parcourir le monde ? Ne s’était-elle pas sentie abandonnée alors ? Aujourd’hui les choses étaient différentes et c’est le regard triste qu’elle étira ses lèvres en un sourire forcé lorsqu’elle reconnut un embranchement non loin du campement. Elle se tourna alors vers Wakumbë et lui lança :
- Nous serons bientôt à la maison !
L’idée lui fit chaud au coeur malgré tout, même si elle hésitait encore sur ses propres sentiments. Etait-ce véritablement sa maison ? Elle baissa les yeux un moment et continua à avancer, plongée dans ses propres réflexions. Puis, elle finit par bander sa volonté, elle avait le temps d’y réfléchir, il y avait plus urgent. Wakumbë était blême, cela l’inquiétait, mais elle ne voyait pas non plus combien elle était exténuée, se raccrochant à l’idée fixe de sauver le Chemenn. Ils étaient bientôt arrivés, encore un pas, puis un autre et…elle finit par apercevoir la pointe d’une tente chilchaki. A ce signal, elle accéléra encore et après s’être suffisamment rapproché, elle put remarquer au loin deux silhouettes Chilchaki qui se dressaient. Elle stoppa net sa marche et se tourna vers Wakumbë, le regard flou et humide.
- Nous y sommes, souffla-t-elle alors que les larmes roulaient à présent sur ses joues. Nous l’avons fait…nous sommes rentrés…nous...
C’est à ce moment là que les ténèbres l’aspirèrent et qu’elle s’effondra sur le sol amorti par la neige. |
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| Sujet: Re: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] 15/2/2015, 22:05 | |
| Les choses n'auraient probablement pas été aussi désagréables en d'autres occasions. Wakumbë sentait que la situation aurait pu être confortable, et les rendre heureux Niila et lui. Après tout, ils étaient ensemble, et le soleil brillait au-dessus d'eux, réchauffant le paysage dévasté par les récents événements. Ils marchaient en silence, mais ils auraient pu parler, comparer leurs souvenirs réciproques, imaginer un avenir commun. Wakumbë avait le sentiment – encore fugace et flou, certes – qu'ils finiraient par partager le même ciel et les mêmes jours. Cette idée s'imposait peu à peu à lui, même si le jeune homme n'en prenait pas encore pleinement conscience. Mais un jour viendrait où cette vérité le frapperait de plein fouet, et alors chaque chose trouverait la place qui lui est destinée. Tout irait pour le mieux. Il suffisait d'être patient, c'est tout...
Cela aurait pu être agréable, oui. Ils avançaient silencieusement, et seul le chant des rares oiseaux à ne pas s'être envolé pour le sud répondait à la neige qui crissait sous les pas des rennes. Ceux-ci avançaient à un bon rythme malgré leurs sabots qui s'enfonçaient profondément dans la poudreuse : manifestement, ils étaient aussi pressés qu'eux de rentrer. La monture du Chemenn effectuait parfois une embardée pour éviter de glisser ou de s'enfoncer trop profond dans la neige, et ces simples mouvements suffisaient à faire grimacer le cavalier. Wakumbë sentait son corps protester dans son intégralité, de ses côtes jusqu'à ses jambes, en passant par son dos meurtri. Il n'avait pu s'examiner, mais le jeune homme savait parfaitement que de nombreux hématomes devaient maculer sa peau d'albâtre. Pour ne pas céder aux gémissements qui menaçaient de le submerger, Wakumbë concentrait son attention sur la jeune femme.
Niila avançait vite, comme si elle voulait mettre le plus de distance possible entre l'avalanche et elle. Wakumbë eut le sentiment qu'elle fuyait quelque chose, sans parvenir à deviner quoi. Les yeux fixés sur le dos que lui montrait la jeune femme, il détournait parfois le regard pour observer la nature alentours. La fureur de la montagne avait dévasté le flanc de celle-ci, allant jusqu'à arracher les racines des arbres, changeant la forêt en une mer immaculée. Seules quelques tâches brunes ou vertes sombres sortaient ça et là, vestige des pins gigantesques qui s'étaient fièrement tenu là quelques heures plus tôt. Le tableau était impressionnant, car il permettait de deviner la force terrible avec laquelle la neige avait tout détruit. Impressionnant, mais aussi terriblement triste. Wakumbë sentait son cœur se serrer tandis qu'ils contournaient ce champ de ruines. Il dut finalement détourner les yeux, écœuré. Ces arbres n'avaient rien demandé à personne. Pourquoi le dieu de l'Hiver avait-il tenu à leur imposer la même épreuve ? Son jugement était sans appel. En dehors du clan, tous avaient péri. Oh, ils repousseraient, bien sûr. Mais combien de temps s'écoulerait-il avant que la prochaine génération de pins ne soit elle aussi détruite ? Le décor inspirait le respect et la crainte, Wakumbë ne ressentait que de l'amertume. Il avait un goût désagréable dans la bouche, et finit par cesser d'observer le paysage pour ne pas céder à la colère qui grondait en lui. Les Chilchakis devaient le respect à l'Hiver, le Chemenn le savait. Mais le jeune homme ne se sentait pas capable de céder à l'adulation aveugle. Sa raison lui soufflait que tout ceci n'avait aucun sens. Si l'Hiver était véritablement un dieu, alors ses actes et décisions demeuraient cruelles et causaient la perte de nombreux innocents.
Ils marchèrent plusieurs heures. Le silence étaient pesant, mais pas autant que sa cuisse blessée. Presque sans émotion, Wakumbë constata que le bandage était humide, probablement imbibé de sang. Cela ne lui fit ni chaud ni froid. En-dehors de l'amertume, de la colère et de l'inquiétude vis-à-vis de Niila, plus rien ne l'atteignait. Combien de temps leur faudrait-il à tous les deux pour se relever de cette épreuve ? La jeune femme tourna subitement le visage vers le Chemenn, alors qu'il était justement en train de l'observer. D'ordinaire, Wakumbë aurait détourné la tête en se raclant la gorge, gêné d'être pris sur le fait. Mais cette fois-ci, il se contenta de lui rendre son regard. Ces simagrées ne rimaient plus à rien. Ils avaient vécu trop de choses pour se préoccuper de ce genre de détails. Elle était son cœur, son souffle, elle était les jambes qui le portaient. Ils avaient trop partagé, partageaient trop. Niila afficha un pâle sourire, avant de lui apprendre qu'ils ne tarderaient pas à atteindre le campement. Wakumbë en ressentit un grand soulagement, et se détendit un peu. Effectivement, en regardant le paysage alentours avec attention, il reconnût quelques détails qui vinrent confirmer les dires de la jeune femme. Mais l'inquiétude chassa bien vite le soulagement : les questions habituelles vinrent le torturer. Combien avaient péri durant leur absence ? Le compte des disparus avait-il beaucoup augmenté ? Et si les blessés n'avaient pu survivre à cette nuit ? Et si...
Wakumbë fut tiré de ses pensées par la voix de Niila. Elle était tremblante, comme si sa gorge était nouée. Alerté, le jeune homme ouvrit la bouche pour s'enquérir de son état, mais au même moment la petite potière perdit l'équilibre et s'effondra mollement. Ses jambes ne pouvaient plus soutenir son poids, et elle chuta sur le côté. Terrifié, Wakumbë s'exclama aussitôt :
« Niila ! »
Sans réfléchir, il appuya sur son étrier droit pour descendre de sa monture. Mais la douleur se ranima aussitôt dans sa jambe gauche alors qu'il glissait, et dut se raccrocher au pommeau de la selle pour ne pas tomber à la renverse. Quand il eut repris son équilibre sur sa jambe valide, ignorant la douleur qui irradiait sur son flanc, Wakumbë se laissa tomber à genoux aux côtés de Niila. La jeune femme était livide, et ses yeux étaient clos. Le Chemenn posa aussitôt deux doigts contre son cou, et constata avec soulagement que son pouls était régulier. Il tira le corps inconscient de Niila afin que sa tête ne repose pas sur le sol. Négligemment, il chassa quelques flocons qui gisaient sur le front de la jeune femme, et laissa ses doigts effleurer sa joue glacée en soufflant :
« Oui, tu l'as fait... tu nous as ramené à la maison. »
Il hésita à secouer ou gifler la jeune femme pour la tirer de sa torpeur, avant de se reprendre. Niila avait simplement épuisé toutes ses réserves. Il avait du lui en falloir de la force et de l'énergie pour les garder en vie et les conduire jusqu'ici. Wakumbë ignorait quoi faire : il était incapable de porter Niila pour la déposer sur le renne, ou même de la porter lui-même. A vrai dire, il ne pouvait même pas marcher. Désespéré, il finit par lever les yeux pour observer les alentours, espérant que quelques membres du clan traîneraient dans les parages. Après tout, ils n'étaient plus très loin du campement... effectivement, il aperçu deux silhouettes au loin. Avec un sursaut d'espoir, le jeune homme hurla pour les alerter. Sa voix ne réveilla pas Niila, qui gisait toujours inconsciente entre ses bras. Le jeune homme craignit un moment que sa voix ne parvienne pas jusqu'aux Chilchakis en contrebas de la colline, mais le vent porta son appel. « On est là ! EH ! PAR ICI ! »
Bientôt, les deux Okanakis furent là : il s'agissait d'une femme et d'un homme que Wakumbë connaissait à peine. Il fut tellement soulagé de voir quelqu'un que le jeune homme faillit céder aux larmes. Celles-ci faillirent le trahir à nouveau quand l'autre homme l'aida à se relever : la douleur irradiait dans sa jambe blessée. Il l'avait suffisamment malmenée pour qu'elle saigne abondamment. Le jeune homme sentait une torpeur agréable l'envahir, et il devait se faire violence pour ne pas céder aux ténèbres qui le menaçaient. Comme dans un rêve, il entendit les deux autres Okanakis commenter son état.
« Oh bon sang, regarde sa jambe ! – Il a du perdre beaucoup de sang, il faut vite le conduire à Elina. – Non... Niila... occupez-vous de Niila... – Tiens bon, Chemenn. Tu y es presque, lâcha l'homme en le soulevant comme s'il ne pesait rien.
Wakumbë lâcha un grognement, mais serra les dents. Ils rentrèrent tous les quatre, lui soutenu par cet homme qui semblait l'aider comme un adulte aide un enfant, et Niila jetée négligemment sur le dos de l'autre femme. Celle-ci ne disait rien et avançait d'un pas sûr, comme si les récents événements l'avaient endurcie. Wakumbë les entendit échanger quelques phrases dont il ne comprit pas le sens. Son esprit s'évadait, et bientôt sa jambe valide ne répondit plus à ses injonctions. L'homme du clan finit par le charger sur son épaule à son tour, et c'est ainsi qu'il regagna l'enceinte du campement. C'était à la fois humiliant et réconfortant.
Le jeune Chemenn eut à peine conscience de pénétrer sous une tente, puis d'être déposé sur une surface place et dure. Il entendit des voix, deux mains tièdes et douces mais fermes qui palpaient son corps endolori. Poussant un gémissement, il sentit qu'on déchirait la jambe de son pantalon, et se demanda pourquoi. Il eut sa réponse quand les mains expertes dénouèrent le bandage de fortune avant d'appliquer une substance sur sa plaie. Un cri lui échappa, qui se mua bientôt en un sanglot. Son corps lui échappait, ses pensées ne lui répondaient plus, Wakumbë n'était plus qu'une boule de nerfs et de sensations, tout lui parvenait avec une intensité décuplée. L'obscurité l'enveloppait de ses bras rassurants, impression qui fut renforcée quand un linge chaud fut posé sur son front où perlait la sueur.
« Bon sang Wakumbë, où est-ce que tu t'es encore fourré ? »
Le jeune homme reconnut la voix d'Elina, et fut rassuré. Ils étaient entre les mains de la meilleure guérisseuse de tout le clan. Maintenant, plus rien ne pouvait leur arriver. A côté, d'autres voix lui parvenaient, une femme dont il ne reconnaissait pas le timbre. Peut-être une volontaire qui prêtait main forte pour soigner les blessés. Il entendit qu'on parlait de Niila, et parvint à happer quelques mots. A bout de force, trouvée quand elle avait perdu connaissance. Fatigue intense, repos. S'en sortira ? Oui. Dormir. Mais malgré tout, Wakumbë sentait que quelque chose n'allait pas. Ils s'étaient contenté d'allonger Niila sur la couche à ses côtés, après l'avoir recouverte d'une couverture. Ouvrir les yeux lui demanda un effort considérable, mais cela lui permit de constater que la jeune femme avait toujours ses gants.
Entre deux frissons, Wakumbë parvint à souffler :
« Doigts... regarder. »
Il n'y eut tout d'abord qu'un court silence, rompu par la femme qu'il ne connaissait pas : « Qu'est-ce qu'il a dit ? Est-ce qu'il délire ?» Mais à travers ses yeux mi-clos, le Chemenn distingua Elina qui soufflait sur une mèche qui avait glissé devant son visage mangé par de profondes cernes, mais néanmoins alerte et concentré. Il y avait une trace de sang sur sa joue, et une écorchure habillait l'une de ses pommettes. Le jeune homme reconnut son regard d'un vert intense, et la lueur qui l'animait. Il sut aussitôt qu'elle avait compris.
« Il a toujours été d'une rare éloquence. »
Malgré la raillerie, la jeune femme ôta immédiatement les gants de Niila et poussa un juron en constatant l'état de ses doigts. Aussitôt, elle donna quelques indications à son assistante, et Wakumbë sentit les ténèbres l'entourer à nouveau. Il faisait à peine tiède sous la tente, pourtant une douce torpeur le dévorait peu à peu. Ses paupières se fermèrent d'elles-même. Les gestes d'Elina faisaient naître d'atroces tiraillements dans sa jambe, pourtant cela avait quelque chose de rassurant. Les mains de la guérisseuse voltigeaient rapidement auprès du blessé, tandis qu'elle confiait ses ordres à ceux qui étaient resté là pour l'aider. Manifestement, elle gérait plusieurs patients à la fois. La jeune femme savait exactement ce qu'elle faisait, de sorte que l'adolescente candide et trop souriante d'autrefois semblait bien loin. Finalement, une mixture froide et grasse fut étalée sur sa plaie. Wakumbë voulut pousser un gémissement à ce contact, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il avait déjà sombré dans l'inconscience. Il était en vie, Niila était en vie. Ils étaient en sécurité désormais. Et les ténèbres leur offraient le réconfort dont ils avaient besoin. |
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| Sujet: Re: Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] | |
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| | | | Le froid est Juge [Event Chilchaki - Wakumbë - milieu d'Automne 1650] | |
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