Kräll Thorrog

Kaliga Tekmiss

Roselda Azdora

Les Terres de Sang avançaient à allure modéré dans le Désert Opalien en direction du Sud-Ouest. Thorolf Grinar, Roselda Azdora, Kaliga Tekmiss et Kräll Thorrog avaient quitté leur repaire du Mont Englouti environ une semaine auparavant pour effectuer ce voyage. Depuis quelques années déjà, les Terres de Sang officiaient dans le banditisme local. Ils étaient devenus comme une sorte de famille qui pouvaient compter les uns sur les autres et ils étaient menés par un Chef de Guerre qui possédait quelques rêves pouvant être jugés fou ou impossible. En définitive, chaque membre des Terres de Sang possédait une raison de faire parti du groupe qui lui était propre. Thorolf espérait pouvoir mettre un terme à l'esclavage Torkos et faire chuter la Noblesse Mésorianne un jour ou l'autre. Il n'acceptait plus ni l'un ni l'autre. Le Chef de Guerre des Terres de Sang s'était libéré de ses chaines d'esclave par la force et ne pouvait plus admettre le droit des Mésorians de diriger la volonté d'une partie de son peuple. Non, Thorolf n'avait ni l’étoffe d'un héros et encore moins d'un sauveur. L'utilisation de la force brute était l'une des valeurs principales des Terres de Sang. Ainsi, s'il considérait que les esclaves Torkos ne devaient plus exister, il n'avait aucun remord à exécuter ceux qui refusaient d'embrasser ses rêves. Kräll quant à lui comprenait les raisons qui poussaient Thorolf à se comporter ainsi mais ne partageait pas tout ses points de vue. En effet, Kräll ne s'était pas libéré de lui-même de l'esclavagisme et n'avait eu d'autre choix que de suivre son meilleur ami car il l'avait poussé à se battre contre des Mésorians à proximité de Belhovre un jour faisant ainsi de lui un criminel. En fait, Kräll pensait tout bas que les Torkos avaient le droit d'accepter de vivre une vie d'esclave si c'était leur choix mais il n'avait aucune retenue quant au fait d'atteindre la Noblesse Mésorianne et de la remettre en question.

Effectivement, Kräll ne s'était jamais senti aussi libre depuis qu'il avait accepté de seconder Thorolf. A propos de Kaliga, certains se demandaient encore pourquoi elle était membre des Terres de Sang. Par le passé, Kräll lui sauva la vie et elle accepta de le suivre lui et Thorolf afin de payer sa dette de sang en participant à l'évolution des Terres de Sang. En général, Kaliga était protectrice, compréhensible, bienveillante et par dessus tout, elle aspirait à un monde de paix entre les Torkos, les Mésorians et les Okanakis. Elle était aussi une guerrière émérite et désormais la compagne de Kräll. Au fond, elle respectait énormément Thorolf et se considérait être comme une des seules personnes capable de l'empêcher de plonger dans la noirceur la plus totale en cas de coup dur. Elle comprenait aussi l'envie de son Chef de Guerre d'acquérir toujours plus de gloire et de faits d'armes afin de se mettre en position de ne plus jamais redevenir l'esclave de quelqu'un mais elle craignait de le voir devenir soumis à sa haine et à sa colère. C'était probablement les raisons principales pour que Kaliga donne du crédit aux objectifs de guerre de Thorolf.

Concernant Roselda... Roselda... Roselda ? Roselda était fidèle à elle-même. Elle n'avait que faire des esclaves et à juste titre, elle n'en avait jamais été une. Elle les répudiait uniquement car elle trouvait dégradant de baiser les pieds d'une autre personne, telle était l'image qu'elle se faisait d'un esclave Torkos. Roselda avait un caractère très enflammé et une volonté hors du commun. Souvent cause de problèmes ou enjouée à l'idée d'en créer pour divertir son petit monde, elle avait passé une longue partie de sa vie seule, repoussée par les autres jusqu'au jour où Thorolf la découvrit et accepta de considérer son histoire à juste titre. Elle était mitigée entre le considérer comme son amour inaccessible ou son grand frère. Personne ne le savait mais la nuit de leur rencontre, Thorolf et Roselda s'abandonnèrent l'un à l'autre sans aucun lendemain. Elle ferait probablement tout pour lui et si elle était visiblement incapable de comprendre réellement ce qui le motivait, elle l'aiderait à accomplir sa volonté sans poser de question. Elle lui était ainsi très loyale et considérait souvent les femmes qui s'approchaient de lui comme un danger.

Le Chef de Guerre et ses trois compagnons étaient donc partis depuis une semaine en direction du Sud-Ouest du Désert Opalien. Où allaient-ils exactement ? Cet endroit n'avait rien à envier à leurs richesses naturelles du Mont Englouti. Kaliga supportait d'ailleurs beaucoup moins la chaleur que ses trois autres compagnons. La sulfureuse Roselda s’accommodait de la plupart des climats et des situations et les deux mâles ne bronchaient jamais en tant que guerriers digne de ce nom. Ils ne se sentaient pas en danger car ils étaient fort ensemble mais aucun détail n'était à négliger. Les Terres de Sang finirent par atteindre au crépuscule l'endroit appelé la plaine de la mâchoire rocheuse. Aucun d'entre eux n'était venu jusque là par le passé car quelqu'un de bien préparé savait qu'il était dangereux de tomber nez à nez sur le Clan Dräoxi. Ah ! La voilà la raison de ce voyage ! Le Chef de Guerre des Terres de Sang aspirait depuis longtemps à rencontrer le meneur du Clan Dräoxi. Il les considérait comme l'extension de son cocon parmi les Okanakis. Dräoxi le Sanguinaire et Thorolf Grinar partageaient vraisemblablement des valeurs communes. La chaine de roches pointus était désormais visible et l'avancée d'un groupe Torkos repérée et signalée. Ce devait être un cas de figure très rare pour le Clan Dräoxi et c'était peut-être même la première fois que quatre Torkos marchaient ensemble sur leur campement.

La tension était palpable et les enjeux étaient grands pour le Chef de Guerre des Terres de Sang. Il repartirait d'ici encore plus fort ou très affaibli en fonction de ses mots mais dans les deux cas, il avait juré aux siens d'être toujours plus victorieux. Un règlement de compte n'était pas envisageable et si c'était le cas, Thorolf Grinar serait alors venu jusqu'ici avec la totalité de son groupe. En faisant ce choix, il était plus ou moins persuadé qu'on ne leur tirerait pas des javelots à vue dessus. La rencontre entre Draöxi le Sanguinaire et Thorolf Grinar promettait d'être anthologique. Il y avait un point en particulier que Thorolf redoutait à propos de son interlocuteur. Il était un Okanakis réputé pour être profondément raciste et en quelque sorte, Thorolf devait trouver le moyen de parler la même langue que lui. Il n'espérait pas pouvoir avant cela parlementer avec son Clan et faire respecter son point de vue.

Au bout du compte, Thorolf, Roselda, Kaliga et Kräll arrivèrent à proximité de l'entrée du campement. Trois à quatre d'entre eux les attendaient déjà d'un pied ferme et le Chef de Guerre des Terres de Sang se demandait lequel d'entre eux était Draöxi le Sanguinaire. Lui ferait-il seulement l'honneur de l'accueillir en personne ? Oh ça, Thorolf comptait énormément dessus. Physiquement, les Torkos et les Okanakis étaient tellement différents. Ce portrait de la rencontre entre un Clan Okanakis et un Groupe Torkos méritait presque d'être peint pour être immortalisé dans le temps. Thorolf jaugeait Draöxi le Sanguinaire avec beaucoup de respect et s'il ne l'impressionnait pas pour son physique, sa réputation qui le précédait était amplement suffisante. Ainsi, Thorolf brisa le silence en premier.

Je suis Thorolf, Le Loup Gris, Grinar, Chef de Guerre des Terres de Sang. Je te présente Kräll Thorrog, mon Second ainsi que Kaliga Tekmiss et Roselda Azdora. Nous ne sommes pas-là pour quérir les hostilités mais pour parlementer avec toi, Dräoxi le Sanguinaire. En effet, l'avenir mérite d'être commenté et il était grand temps à mon sens que nous nous rencontrions.

Thorolf n'ajouta pas un seul mot de plus. Dräoxi le Sanguinaire ne se montrerait probablement pas amical avec eux et le Chef de Guerre des Terres de Sang avait avec lui deux ou trois idées afin de susciter son intérêt et d'obtenir un peu de son respect et de sa confiance. Mais d'abord, il fallait le laisser s'exprimer afin de définir quelle serait la meilleure stratégie à aborder contre lui. Il y avait une part de vérité qui ne plaisait pas beaucoup à Thorolf et qu'il refusait d'admettre. Il existait peut-être déjà une rivalité entre le Clan Dräoxi et les Terres de Sang au sein même de l'île d'Opale malgré qu'ils ne s'étaient encore jamais rencontrés. Si les deux se connaissaient de réputation, que savaient-ils vraiment de leurs objectifs personnels ? Thorolf était impatient d'entendre les premiers mots de Draöxi le Sanguinaire sortir de sa bouche.

Apoxi, Lëxi & Draöxi faisaient face à Thorolf, Kräll, Roselda et Kaliga. Il s'agissait-là d'une rencontre totalement inédite, peut-être jamais aperçue auparavant à une telle échelle. Le regard de Thorolf se porta en premier lieu sur le Chef des Draöxi. Il ne fallait pas manquer de respect à un tel homme que lui. La patience n'était pas une qualité de Thorolf et ses compagnons savaient ô combien il avait espéré venir un jour ici en présentant des conditions solides et acceptables pour chacun des deux partis. Séparément, face à chacun des membres des Terres de Sang, les trois individus du Clan Draöxi paraissaient tellement insignifiants. Encore que, Draöxi le Sanguinaire était visiblement au dessus des normes de sa race. Si c'était encore loin d'égaler les carrures titanesques de Thorolf et de Kräll, ils n'en auraient pas moins de respect pour lui. Draöxi était à première vue ni trop agile, ni trop fort et devait être capable de se battre selon les techniques de combats des Okanakis.

Oui, le Chef de Guerre des Terres de Sang pouvait s'entrapercevoir dans les yeux du Sanguinaire. Ils étaient pareils. Haineux envers les Mésorians, crachaient au visage des esclaves Torkos qui refusaient d'embrasser leur liberté d'antan. Très attachés à leurs clans / groupes respectifs également. Ensuite, les yeux de Thorolf dérivèrent sur Lëxi Croc-de-Ligor. Qui était-elle ? Elle paraissait être trop jeune pour être la compagne du sanguinaire et rien ne permettait de lui donner un lien quelconque avec Apoxi d'un simple coup d’œil. A l'image de ses propres compagnons, ils devaient avoir une importance capitale pour le Sanguinaire car sinon, ils ne les auraient pas amenés avec lui. Thorolf adressa ainsi un très léger sourire à Lëxi lorsque leurs regards se croisèrent. Un sourire intéressé ? Pas vraiment. Il transmettait bien d'autres idées. C'était le plissement des lèvres de celui qui avait beaucoup d'assurance et prenait le risque d'offusquer le lien de sang entre le père et la fille, sans connaître ce lien pour autan. Lorsque Roselda remarqua l'intérêt quelconque de Thorolf pour cette Lëxi, elle ne manqua pas de toussoter par jalousie.

Bon, Thorolf. On est là pour parler ou se reluquer ? lança hostilement Roselda à son Chef de Guerre. En plus, ce... Il ose remettre en cause ton titre d'honneur... Je dis ça, je dis rien, hein !

Roselda était celle qui pouvait s'adresser à Thorolf avec le plus de virulence sans craindre de conséquences lorsque son Chef de Guerre était calme et posé. Ainsi, elle tirait profit de toutes les situations pour essayer de mener le petit monde à la baguette. De plus, elle savait que Thorolf la laisserait s'exprimer afin de montrer au Chef des Draöxi que les membres proches du Chef de Guerre des Terres de Sang avaient aussi leur mot à dire. De plus, elle n'avait pas tord. Draöxi semblait ne pas apprécier le surnom de Thorolf. Une gêne ? Non, pas vraiment. Son interlocuteur était libre de croire ce qu'il voulait à son sujet tant que ce n'était pas un mensonge.

Merci pour ton intervention, Roselda. Maintenant, laisse les grandes personnes discuter, tu veux bien faire ça pour moi ? dit-il, l'air taquin. Draöxi. dit-il, plongeant profondément son regard déterminé dans celui de l'intéressé. Jamais je n'oserai profaner ta Déesse si tu y es attaché. Je suis devenu le Loup Gris parce que jamais je ne pourrai être un Ours, un proche de Bersok. Je ne crois pas au monde des Divins et je porte uniquement mon jugement selon ce que je vois de mes propres yeux. J'emmerde Bersok et me fiche personnellement des autres religions. Tu accepteras ce point de vue, j'en suis certain.

Il était aussi franc que Draöxi dans ses paroles mais n'avait à aucun moment cherché à l'attaquer directement. Il existait une différence concrète entre les deux chefs. Le racisme de Draöxi ne s'étendait peut-être pas seulement aux Torkos soumis mais aussi à ceux qu'il ne connaissait pas. Pour le moment, Terres de Sang devait être pour lui un vaste mot plein de potentiel mais qui avait encore tout à prouver au Clan Draöxi. Thorolf, quant à lui, ne connaissait que très peu de choses des Okanakis mais vouait une certaine fascination à leur égard. Ils étaient après tout une arme potentielle contre son ennemi juré.

Je suis ici pour de nombreuses choses, Draöxi le Sanguinaire. Malheureusement, mon cœur pense que tu n'es pas encore prêt à m'écouter. Je suis le Chef de Guerre qui laissera derrière son sillage de nombreux changements mais seul, je ne peux pas le faire. Je dois d'abord prouver ma Force. Ne t'offusque pas sur ce que je vais dire ensuite, mon ami, car il n'y a vraiment aucune honte à avoir... dit-il, l'air un peu mystérieux. Il laissa bien planer cinq secondes de silence pour être certain d'avoir toute l'attention de Draöxi. Il existe un niveau entre toi et moi. Nos capacités à diriger nos groupes sont les mêmes, je ne t'attaque pas à ce sujet. Je parle de nos Forces, Draöxi.

La colère ne tarderait pas à atteindre un homme tel que Draöxi. Qu'est-ce que Thorolf était en train de faire ? Voulait-il que le Sanguinaire envoie l'ensemble des siens à leur poursuite pour mettre leurs têtes sur une pique ? Non, Kaliga, Roselda et Kräll savaient que le moment était venu de reculer dans l'ombre pour laisser uniquement Thorolf dans la lumière.

Toi tout seul ou vous trois en même temps. menaça-t-il. Il lança un regard sérieux à Lëxi. Les véritables Torkos ne font pas de différence entre un mâle ou une femelle. Je ne me retiendrai pas.

Thorolf leva les deux bras afin de saisir la poignée de son épée à deux mains et la décrocha ainsi de son dos. Les hostilités étaient lancées et il ne pouvait désormais plus reculer. Il se racla longuement la gorge et poussa un hurlement digne des plus grands guerriers.

JE SUIS PLUS FORT QUE TOI, DRÄOXI LE SANGUINAIRE !

Le Chef de Guerre des Terres de Sang ne tint aucune rigueur des plaintes de ses interlocuteurs. Lorsqu'il parlait, on l'écoutait ou alors on s'effondrait. Thorolf souhaitait mettre Draöxi dans des conditions mentales satisfaisantes. Il savait très bien qu'un homme tel que lui n'apprécierait pas autant de bavardages. Le Loup Gris ne laissait rarement aucune place au hasard et si ce devait être le cas, il était sûr de son coup la plupart du temps. Qui gagnerait pendant le duel entre Thorolf et Draöxi ? Il ne s'avançait pas encore. A vrai dire, le Chef de Guerre affronterait pour la première fois de sa vie un Okanakis. Il s'attendait à être malmené sur le plan de l'agilité et pensait que s'il parvenait à l'attraper dans ses paluches, il lui suffirait alors de le broyer. Seulement, il avait devant lui une âme de Torkos dans un corps d'Okanakis.

Tu passes encore une fois pour une bête de foire, vieux frère. lança Kräll Thorrog à Thorolf Grinar. Ne fais pas déshonneur aux Terres de Sang.

Kräll Thorrog s'était avancé sans complexe à hauteur de Thorolf Grinar. Il était un Second très discret et ne faisait jamais d'ombre à son plus vieux rival. Les compétences de Kräll n'étaient jamais remises en cause et Thorolf savait qu'il pourrait s'absenter un certain temps, il retrouverait les siens entre de bonnes mains. La vieille rivalité au Festival d'Epieux était devenu une véritable fraternité avec le temps. Le Chef de Guerre lança un regard un peu curieux à son Second. Était-ce là une forme d'avertissement ? Kräll devait être envieux de voir que Thorolf était sur le point de se battre sous le feu des projecteurs.

Une bête de foire, dis-tu ? Peut-être bien. Je suis un agitateur. Tu connais mon rôle dans le plan, vieux frère.

Le regard de Thorolf se dirigea ensuite vers Lëxi. Elle semblait subir les plaisanteries malsaines d'Apoxi, un Guerrier plus expérimenté qu'elle. Le Chef de Guerre releva une information tout à fait intéressante : Draöxi avait une fille en la personne de Lëxi. Elle faisait preuve d'un calme exemplaire et ne s'était pas laissée aller à un sentiment de colère ou d'amertume. Il y avait probablement une raison à cela : elle devait être effectivement plus faible que Draöxi et Apoxi. Et alors ? Cela n'intéressait pas Thorolf mais il regretta légèrement l'attitude moqueuse du père envers sa fille. Thorolf n'était le père de personne, parfois à son grand regret. Il pensait seulement qu'il n'agirait jamais envers ses enfants d'une telle façon et qu'il ferait tout son possible pour en faire sa fierté.

Ne te laisse pas faire, Lëxi. Il existe un jour où l'enfant s'élève au dessus des parents. Ton tour viendra. lui adressa-t-il, souriant d'un air bienveillant. Ils ont raison sur le fait que me battre contre toi serait déloyal mais ce n'est pas bien grave, n'est-ce pas ?

Roselda fulminait intérieurement vis à vis des propos d'Apoxi. Il la démangeait de se ruer sur lui et d'ensanglanter son beau minois. Il avait un problème avec celles qui qui avaient des jupettes ? Si elle désapprouvait l'intérêt qu'était en train d'offrir Thorolf à Lëxi, elle avait du mal à se retenir une nouvelle fois. Il la titillait de venir défendre Lëxi et cela la surprenait. Néanmoins, Draöxi coupa court à toute forme de débat à venir car il donna à son tour son opinion sur tout cela. Thorolf devrait se battre à mains nues. Ce n'était pas là où il excellait le plus car il était beaucoup plus habitué à faire couler du sang avec une lame tranchante. Mais soit, il était en terrain extérieur et se plierait aux exigences de son hôte. Il sourit néanmoins à l'évocation des Kaasars de ses guerriers qui seraient lâchés sur eux s'il tentait une nouvelle tirade en cas de défaite. La tension ne redescendait toujours pas. Kaliga ne s'était pas encore exprimée et attendait le dénouement avec beaucoup d'appréhension. Elle voyait ce rapprochement avec le Clan Draöxi d'un bon œil car cela permettrait en cas de réussite un échange de cultures et de moyens très intéressants mais son Chef de Guerre était prêt à miser tout cela sur sa seule victoire ? Il était un agitateur comme il l'avait si bien dit auparavant.

Les Terres de Sang observèrent les Draöxi regagner leur campement. Le Loup Gris et le Sanguinaire se battraient au sein de leur campement, sous les yeux de l'ensemble de son Clan. Thorolf ne pouvait pas espérer meilleure chance de faire une bonne impression. Les portes étaient grandes ouvertes pour organiser un avenir radieux. Tout ce qu'il lui restait à faire, c'était de faire mordre la poussière à Draöxi. Son cœur reconnaitrait alors sa valeur et il serait prêt à l'entendre. C'était tout ce qu'il y avait à faire. Tout ce qu'il y avait à faire... Et s'il échouait ? C'était l'ensemble de ses plans à venir qui s'effondreraient. Les Draöxis ne pouvaient le savoir mais il préparait cette rencontre depuis longtemps.

C'est un vieil aigris. Son rejet des Torkos est similaire à celui que j'ai des Mésorians. Suivez-moi et observez le spectacle. Je serai victorieux, j'en fais le serment. dit-il, en détachant les lanières qui tenaient sa grande épée dans son dos. Kräll la ramassa derrière lui.

Thorolf et sa suite suivirent alors les membres du Clan Draöxi. Ils n'entraient pas dans leur campement tels des conquérants ni comme des invités. Un défi avait été lancé au Sanguinaire et il l'avait relevé comme prévu. Le Chef de Guerre des Terres de Sang pénétra sur le terrain d'entrainement. A ce moment précis, plus rien n'avait d'importance pour lui. Il savait qu'il serait hué par les fidèles du Sanguinaire et qu'il n'entendrait pas les encouragements de ses trois partenaires. Il faudrait alors s'enfermer dans une bulle sans jamais quitter sa cible du regard. Malgré l'assurance naturelle qui lui allait si bien, le cœur de Thorolf n'était pas certain de l'issu de ce combat-là. Pour une fois, celui qui prétendait être un loup devrait peut-être se battre comme un grizzly.

Nous serons victorieux, peu importe l'issu de cette bataille ! lança-t-il.

Le Torkos lança alors la première charge. Il se battrait telle une bête qui venait d'être libérée de ses chaines et ne laisserait aucun répit au Sanguinaire si cela était possible. Il viendrait tout de même une phase d'observation durant laquelle il analyserait le style de combat de son adversaire. Il n'avait à vrai dire pas la moindre idée comment allait se battre une âme de Torkos dans un corps d'Okanakis. Thorolf atteignit finalement la hauteur du Sanguinaire et tenta alors de le balayer d'un coup de bras grâce à la portée et la vitesse de sa charge dévastatrice.

La charge de Thorolf Grinar n'eut pas l'effet escompté. Le Chef de Guerre s'y était attendu. Il était trop lent pour rentrer dans le lard du Sanguinaire avec autant de facilité. Tel un boulet, le Torkos s'arrêta trois à quatre pas après avoir dépassé le niveau de Draöxi. Quelle serait sa réplique ? Un coup dans le plexus. Thorolf ne montra absolument aucune douleur sur son visage bien que l'ensemble de ses muscles se soient contractés à ce moment-là. Il avait mal mais ne montrerait aucun signe de faiblesse. Il faudrait bien plus de coups au même endroit que cela pour lui faire plier un genou à terre. La douleur disparaitrait telle une petite cicatrice qui ne durerait que quelques minutes. Ainsi, le Chef de Guerre des Terres de Sang n'avait pas bougé d'un seul pouce, encaissant cette vaine attaque. La nature de ce duel voulait que Thorolf ait des difficultés à toucher Draöxi et de la même façon, ce dernier ferait du mal à Thorolf après seulement de nombreux efforts.

L'effervescence était montée d'une seule traite et il y avait fort à parier que les membres du clan Draöxi seraient déçus que le titan ne pose pas un genou à terre. Cette ambiance rappelait à Thorolf de très belles années, celles où il participait chaque années au Festival d'Epieux. Quatorze participations et un titre de champion illégitime qui était finalement revenu à Kräll Thorrog. Thorolf était certain qu'il l'enviait de là où il regardait cette lutte se dérouler. Les Torkos demeuraient calmes et ne semblaient pas inquiets pour un sous vis à vis de leur Chef de Guerre. Légèrement distrait, Thorolf palpa un court instant son plexus pour estimer à quel degré d'intensité il avait été frappé. Il ne montra toujours aucun signe de faiblesse apparent.

Je vais te frapper, Draöxi le Sanguinaire. Je vais te frapper et tu vas souffrir comme tu n'as jamais souffert auparavant. Lorsque tu te relèveras, tu seras un autre homme.

L'invitation du Sanguinaire était quelque peu surprenante. Se laisserait-il vraiment faire ainsi ? Il ne devait pas mesurer avec quelle force Thorolf serait capable de le frapper de plein fouet. Il pourrait tout à fait lui briser un membre en procédant ainsi. Kaliga se demanda s'il n'était pas en train de chercher une ruse quelconque pour venir à bout de Thorolf. Cependant, le Sanguinaire n'avait pas la réputation d'être un menteur. S'il désirait être frappé de plein fouet, cela devait être vrai. En réfléchissant, ce comportement n'était pas très éloigné de celui de Thorolf car il était prêt à agir de la même façon pour se prouver quelque chose. La mentalité auto-destructrice du Sanguinaire ferait ainsi les affaires du Loup Gris. La frappe qui ne tarderait pas à venir scellerait une nouvelle rivalité tendant peut-être sur une amitié franche. C'était ainsi que cela devait se dérouler entre deux dominants comme eux.

Thorolf ferma à plusieurs reprises son poing jusqu'à en faire craquer les os de ses doigts. Il ne raterait pas cette opportunité de conquérir le cœur du Clan Draöxi. Ensemble, ils formeraient une Horde comme on en avait jamais vu auparavant sur Archipel. Ensemble, ils chambouleraient la géo-politique d'Opale. Ensemble, ils seraient victorieux ou tomberaient comme deux frères d'armes. Le poing de Thorolf renfermait suffisamment d'idéaux pour peut-être ne pas avoir la place de tous les contenir. Le Sanguinaire écarta les bras et releva le menton avec une once de fierté. Plus que jamais, Thorolf percevait une âme de Torkos dans le corps d'un Okanakis. Le hasard voulait qu'il ait le même âge. Ainsi, ils avaient une mission commune. Ils devraient montrer à la jeunesse comment chambouler un univers qu'ils désiraient voir changer à leur image. Thorolf en était désormais persuadé, le Sanguinaire avait le même grain de folie que lui.

JE VIENS VERS TOI, LE SANGUINAIRE ! cria-t-il. ARRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR !

La percée de Thorolf ne laisserait personne indifférent. Il ne pouvait pas manquer sa cible et son élan serait encore plus meurtrier que le précédent. Cette facilité ne le dérangeait pas et dans le fond, il ne faisait que de répondre à la demande de son futur frère d'armes. Il se demandait comment les membres du Clan Draöxi appréhendaient ce qui était à venir. Pensaient-ils que le Sanguinaire avait-il la moindre chance de tenir la charge de plein fouet d'un Torkos tel que Thorolf ? Il était l'un des plus massifs, des plus forts et expérimentés de sa génération.

TERRES DE SANG ! hurla-t-il, à portée du Sanguinaire.

SOYEZ VICTORIEUX ! cria Kräll Thorrog.
SOYEZ VICTORIEUX ! lança Roselda Azdora.
SOYEZ VICTORIEUX ! ajouta Kaliga Tekmiss.

Étrangement, la ferveur des Terres de Sang surpassa l'espace d'un très court instant les encouragements des membres du Clan Draöxi. Kräll, Roselda et Kaliga apportèrent leur soutien à Thorolf au moment où cela était nécessaire. Ce n'était pas seulement Thorolf qui s'apprêtait à frapper le Sanguinaire, il y avait derrière lui toute la volonté des Terres de Sang. A portée de Draöxi, Thorolf recula suffisamment son bras droit et libéra toute sa force disponible dans le plexus du Sanguinaire. Il lui ferait sans nul doute l'effet d'un boulet de canon et lui couperait le souffle comme jamais auparavant. La tension palpable s’apaisa enfin et un long silence s'ensuivit de la part des deux camps. Draöxi le Sanguinaire était à terre tandis que Thorolf Grinar reprenait son souffle.

Je ne peux pas rivaliser avec l'agilité de ta race mais tu n'auras jamais ma force. Terres de Sang, Clan Draöxi, ceci est la démonstration que le déclin de la suprématie des Mésorians ne peut être provoquée que par l'union solennelle des Torkos et des Okanakis.

Draöxi le Sanguinaire serait désormais prêt à écouter les mots du Chef de Guerre des Terres de Sang. Il n'afficha pas le moindre air arrogant contrairement à ce qu'on pourrait croire de lui. Il savourerait sa victoire avec humilité car pour lui, les choses intéressantes à venir commençaient maintenant. Il laissa donc le Sanguinaire remettre Apoxi à sa place pendant qu'il regarda par dessus son épaule droite, derrière lui. Il lança à ses compagnons un regard plus que serein et ils surent alors que la tension pouvait retomber. Pour Kaliga Tekmiss, ce n'était pas trop tôt. Ses yeux pétillaient à l'idée de voir son groupe de Torkos se rapprocher de ce Clan Okanakis. C'était un premier pas pour elle dans le rapprochement de civilisations différentes. Fidèle à elle-même, Roselda se contenta de lever un pouce pour féliciter son Chef de Guerre. Quant à Kräll, il ressentit un brin de jalousie envers son vieux frère d'arme car il vivait à nouveau l'un de ces moments gratifiants.

Draöxi évoqua ensuite qu'il avait une dette envers Thorolf. Ce dernier n'en espérait pas tant mais il y avait fort à parier qu'il accepterait ce besoin d'être redevable. Il serra donc la main du Sanguinaire d'une poigne très franche et entama ainsi le début d'une amitié à caractère durable. Il écouta ensuite les conditions de Draöxi pour rester plus longtemps au sein de leur Clan. Il pensa très fort à Roselda car il savait qu'elle aurait du mal à accepter de déposer leurs armes mais elle n'aurait pas le choix de toute manière. Sans donner de réponse, il se retourna et marcha vers son groupe avec un sourire au coin des lèvres. Il récupéra alors son épée des mains de Kaliga et retourna auprès du Sanguinaire sans jamais avoir l'air menaçant. Levant tout d'abord son épée, il la planta dans le sol de l'arène en guise d'acceptations des conditions de Draöxi.

Bien, mes compagnons donneront leurs armes à Apoxi et se joindront aux tiens pendant que nous discuterons.

Thorolf suivit alors Draöxi dans ses modestes appartements et s'assit et position de tailleur devant lui. Il ne s'intéressa pas à la décoration ou autres futilités sur l'endroit présent. Son esprit se concentrait sur chaque mot qu'il allait devoir prononcer avec le plus de justesse possible pour convaincre son vis à vis.

Très bien. Soyons franc. Je vais t'éviter un discours de longue halène car il me tarde que nous puissions rejoindre nos camarades communs pour leur faire part de nos accords à venir.

Ce ne serait ni plus ni moins un instant de politique mais Thorolf promettait déjà à son interlocuteur d'être le plus bref possible.

J'ai créé les Terres de Sang pour avoir une famille sur laquelle compter. Nos haut-faits ne sont pas nombreux mais une réputation nous précède déjà. Nous grandissons depuis des années déjà dans l'Ombre d'Opale. Je vais maintenant te citer quelques lignes de notre code.

Thorolf inspira très profondément, il serait peut-être finalement plus long que prévu à venir jusqu'au bout de sa proposition.

Être un membre des Terres de Sang est un privilège. Tu obéiras sans contester aux ordres de ton Chef de Guerre.
Les esclaves n’ont pas leur place au sein des Terres de Sang. Te libérer de tes chaines, embrasser ta liberté et devenir victorieux, tu ne devras jamais l’oublier.
Le Mâss est l’ennemi principal des Terres de Sang. Toute information à son sujet devra être rapportée à ton Chef de Guerre. De même, les Doyens représentent un danger considérable pour la survie des Terres de Sang.
Chercher à leur nuire est une de tes missions principales. Le vol, la trahison, le viol et autres supercheries sont interdites au sein du Clan. Seule la Mort attend celui qui oserait agir contre les Terres de Sang.
La libération des Torkos soumis aux vils Mésorians est une obligation. Convaincre de nous rejoindre est préférable, tuer est parfois une finalité. En effet, les Torkos faibles sont une entrave à notre gloire à venir.
Le Mâss et les Doyens se cachant derrière la Garde d’Elite, cela fait de ce corps l’ennemi secondaire des Terres de Sang. Tu n’auras aucune pitié pour ceux qui s’opposent à toi et épargnera ceux qui s’inclinent devant ta Force.
Les Okanakis ne doivent pas être dérangés dans leurs affaires et toute prise de contact avec eux doit être rapportée au Chef de Guerre.
Les pillages des bourgades d’Archipel sont vivement conseillés afin d’affaiblir les ressources de l’ennemi. Les revenus seront partagés entre les membres des Terres de Sang ayant participé à étendre notre influence.
Avec l’accord de ton Chef de Guerre, tu agiras. Les initiatives sont encouragées mais devront être assumées devant lui.
Il n’est pas conseillé de vouer un culte à Bersok, le Chef de Guerre y étant opposé. Cependant, cela n’est pas interdit et doit demeurer discret.
Tu n’emmèneras jamais personne au repaire des Terres de Sang sans avoir consulté au préalable le Chef de Guerre sauf s’il s’agit d’une mission donnée.

Cela faisait beaucoup de règles à ingurgiter d'un seul coup mais Thorolf considérait qu'il s'agissait du meilleur moyen pour faire comprendre à Draöxi qui les Terres de Sang étaient vraiment. Si le Sanguinaire voyait un quelconque problème à cela, il pourrait dorénavant réagir ou se taire à jamais sur les lois qui régissaient les Terres de Sang.

Bien entendu, il ne s'agit pas d'entrer dans une guerre ouverte avec le Mâss et ses Doyens. Nous n'avons pas les épaules assez solides pour cela. Je m'efforce depuis des années à trouver des contacts par ci par là qui me viendront en aide le jour où nous pourrons frapper un grand coup. Ma principale stratégie serait d'appliquer des coups de pression là où ces Mésorians ressentiraient de la douleur. Je suppose que malgré les apparences, tu serais détruit de perdre ta fille par exemple ? demanda-t-il. Il espérait en tout cas pour lui que ce soit bien le cas. Le problème principal vient du fait que personne aujourd'hui n'est assez fort pour contester l'autorité du Mâss. Les Torkos ont perdu la foi et la confiance en leur capacité et je compte bien leur prouver qu'une minorité peut provoquer des miracles. Attention, je ne suis pas un meneur. Je suis seulement qui provoquera un très grand remous lorsque l'heure sera venue. Toi et moi sommes des vieux morceaux, nôtre rôle n'est-il pas de montrer à la jeunesse comment on ne tombe jamais à genoux ? dit-il, essayant ni plus ni moins de prendre Draöxi par ses sentiments paternels. Je n'ai pas encore de grand plan dans ma tunique... Nous nous cachons quelque part dans le Mont Englouti mais cette position arrive à ses limites. J'irais bientôt à Opalgöor pour essayer de tester la popularité des Terres de Sang et pour trouver des soutiens.

Draöxi devait probablement se demander ce qu'il venait faire là-dedans. En effet, Thorolf n'avait toujours pas parlé de son clan ni de ses intérêts. Pas de panique, chaque chose venait avec son temps lorsqu'il s'agissait de Thorolf.

Je te disais tout à l'heure que je considère qu'une victoire sur les Mésorians repose sur l'union des Torkos et des Okanakis. Ton Clan est reconnu pour ses conquêtes et la crainte-même qu'il inspire au sein de votre société. Vous chevauchez des bêtes au combat et doublez par conséquent votre force de frappe. De plus, vous êtes doués pour la chasse. Nous, on se contente de voler nos provisions ou de les marchander avec quelques soutiens d'Opale. En revanche, je pense l'avoir prouvé, les Torkos font de meilleurs guerriers sur le terrain que les Okanakis. Vois-tu où je veux en venir ? Nos forces et nos faiblesses se compensent. Nous avons beaucoup à apprendre des uns des autres. acheva-t-il.

Thorolf ne prononça pas un seul mot de plus. Qu'attendait-il exactement du Clan Draöxi ? Le suspens continuerait de planer encore un peu. Il y avait déjà bien des choses sur lesquelles le Sanguinaire devait réagir dans un premier temps.