Quelle semaine ! Passer plusieurs jours avec la femme qui avait causé la mort de Khanxi avait été plus dur à supporter que la chasseresse l'avait imaginé. Plusieurs fois, la cheffe avait bien tenté d'entretenir la conversation mais Lëxi n'était pas réellement apte à parler avec elle comme de vieilles amies. Elles n'étaient pas amies, elles n'étaient rien. Et il était hors de question de faire semblant. Kanaeko avait surement dû mal prendre le silence de sa passagère, mais cette dernière n'en avait cure. Après tout, elle lui devait bien ce voyage, et les hypocrisies navrantes n'avaient pas lieu d'être. Bien sûr, le voyage était long, et il avait bien fallu que la jeune femme fasse des efforts lors des repas et de l'heure du coucher. Finalement, la cheffe des Ereshaï ne semblait pas méchante, elle avait le même caractère un peu vif et impulsif que Dräoxi, ce qui troublait quelque peu Lëxi. Pourtant, elle n'y prêtait que peu d'attention, après tout plus d'une personne était ainsi.

Cela faisait désormais presque deux journées entière que Kanaeko avait déposé Lëxi sur l'île d'Opale. Cette dernière avait pris soin d'offrir une pierre de feu à la chasseresse, s'excusant de ne pas pouvoir la conduire plus loin que les abords du mont englouti. La jeune femme avait été surprise de ce présent, mais elle l'avait accepté et remercié l'Ereshaï. Après tout, il restait encore plusieurs jours de marche avant d'arriver au désert Opalien, et une pierre de feu serait la bienvenue pour les fraîches soirées de l'île d'Opale. Le feu lui tiendrait compagnie, puisque Khanxi ne pouvait plus le faire. Pour être honnête, la première nuit seule fut la plus difficile. Son sommeil avait été des plus agités, des cauchemars plein l'esprit et aucun moyen de se rassurer. Au petit matin, elle en avait vomi son repas de la veille. La mort de sa ligor affectait physiquement la chasseresse plus qu'elle l'avait imaginé. Mais elle ne se laissa pas aller à pleurer. Elle le savait, écouter son chagrin et se laisser aller dans la nature, seule de surcroît, c'était dangereux. Elle devait de toute façon tourner la page. Une page lourde et difficile, mais elle devait se concentrer sur son objectif : réintégrer le clan Dräoxi. Elle se demandait comment son père réagirait à son retour, espérant toutefois qu'il ne serait pas trop sévère avec elle même si elle se doutait bien devoir répondre de sa fuite d'une manière ou d'une autre.

L'automne était arrivé, et Lëxi se demandait bien depuis combien de temps elle avait quitté le campement des Ereshaï. Ainsi seule à voyager, elle avait l'impression d'errer depuis des saisons et des saisons, et les orages secs de la fin de l'été ne faisait qu'accentuer cette impression d'errance. Ce soir là, l'orage était très violent, et la pluie ne tarda pas à venir. La jeune femme devait au plus vite trouver un endroit pour s'abriter, elle savait mieux que quiconque que les orages de l'île d'Opale étaient des plus dangereux, notamment dans la savane où il n'y avait que peu d'arbres hauts pouvant recevoir la foudre. Courant sous une averse chaude, Lëxi n'y voyait pas à trois mètres. Elle se maudissait d'avoir vendu sa boule de lumière pour financer ce voyage. La nuit n'était pas encore tombée mais les nuages noirs du déluge rendaient les alentours sombres et n'arrangeaient en rien la progression difficile de la jeune femme.

Après quelques minutes à courir sous la pluie, Lëxi finit par tomber sur un abri naturel de gros rochers formant une sorte de caverne de fortune qui ferait un refuge parfait pour la jeune femme. L'endroit n'était pas très vaste, mais il avait l'avantage de sembler étanche. Dans un coin, un reste de branches sèches intrigua la jeune femme. Elle ne devait probablement pas être la première à s'abriter dans cet endroit. Finalement, cela l'arrangeait, elle aurait le loisir d'allumer un feu et de faire sécher ses vêtements trempés. C'est d'ailleurs ce qu'elle entreprit de faire. Elle frotta la pierre de feu aux branches sèches qui s'embrasèrent immédiatement. Louée soit cette Demie-Lune, elle avait décidément été bien inspirée de lui offrir ce présent. La chaleur des flammes emplie toute la pièce et la lueur du brasier baignaient l'endroit d'une teinte orangée tamisée. C'était calme et chaleureux, et Lëxi resta quelques minutes à profiter de ce bien être ambiant. Un peu de répit après ces derniers jours pénibles. La chasseresse eut un frisson. Ses vêtements mouillés lui tenaient froid. Elle n'hésita pas à les ôter, après tout elle était seule et la chaleur du feu lui suffisait largement.

Nue, elle regardait les flammes, perdue dans ses pensées. Cette nuit là, elle ne dormirait probablement que peu. Les bêtes sauvages chercheraient également sans doute un abri, et lorsque le bois serait consumé, rien ne les empêcherait de se diriger vers ce caveau. Un bruit extérieur brisa le fil des pensées de la jeune femme. Avait-elle vu juste ? Elle se saisi avec discrétion de son arc et d'une de ses flèches, se maudissant de ne pas avoir de manteau pour couvrir son corps et le protéger d'une éventuelle attaque d'animal. En dernier recours, elle pourrait toujours le faire fuir en le menaçant d'une branche enflammée.

Rapidement, elle aperçue que l'intrus n'était pas une bête sauvage. Elle entendait des bruits de pas lourds là où les tigres et les lions restaient légers et peu audibles. Elle banda son arc en direction de l'entrée de la caverne, prête à tuer l'opportun s'il s'avérait hostile. Lorsqu'il fit son apparition dans la salle, la jeune femme écarquilla les yeux et ouvrit la bouche, baissant légèrement sa garde sous la surprise. Malgré l'éclairage imparfait que lui offrait le feu derrière elle, elle reconnaissait sans aucun doute le jeune homme qui venait d'entrer.

« Hira ..? »

Lëxi n'en croyait pas ses yeux. Elle n'avait pas revu le jeune homme depuis deux années, et le hasard d'une averse l'avait mis sur son chemin. Le hasard ou la déesse ? La chasseresse se le demandait bien, mais finalement peu importait... Elle était si émue de le revoir après tout ce temps. Il n'avait pas beaucoup changé, il restait toujours le bel homme qu'elle avait laissé derrière elle. Elle se mordit la lèvre, espérant qu'il ne lui en voudrait pas de s'être enfuie de la sorte. Rapidement, le naturel de son ami s'imposa dans la pièce, et elle ne put s'empêcher de sourire sincèrement. Il lui avait tellement manqué.

« Idiot, mes fripes sont trempées, je ne tiens pas à attraper la mort en pleine savane. Ne fais pas comme si tu ne m'avais jamais vu ainsi, nous nous connaissons depuis l'enfance et j'ai souvenir que plus d'une fois nous nous sommes lavés ensemble jadis. »

Malgré une certaine gêne, la jeune femme parvenait à faire en sorte de ne rien laisser paraître. Ils n'étaient plus des enfants, ils avaient tous les deux des corps adultes et leur relation aurait pu sembler ambiguë, elle se demandait d'ailleurs de quelle manière cette dernière aurait pu évoluer si elle était restée chez les Dräoxi tout ce temps. Elle voyait bien que lui aussi était troublé et elle fut ravie lorsqu'il lui transmis de quoi se couvrir. A peine eut-elle le temps de masquer sa nudité qu'elle se jeta dans les bras de son ami. Il lui avait tellement manqué, c'était tellement bon de le revoir. Elle enfoui son visage dans les cheveux clairs de Hirathxi et se retint de laisser son émotion avoir raison d'elle. Elle n'avait pas envie de se mettre à chialer aussi facilement. Se souvenant soudain de sa première phrase, elle s'écarta cependant et alla s’asseoir près du feu.

« Je ne suis pas étonnée qu'il t'ai demandé de courir après moi... Ni même que tu ai accepté, je me souviens comme tu l'admirais déjà à l'époque. Avec le recul, je m'en veux d'avoir agis de cette manière, d'être partie sur un coup de tête sans te prévenir que je ne comptais pas revenir. Vraiment, Hira, je suis navrée... J'espère que tu pourras me pardonner, mais j'avais tellement peur tu sais. »

Si elle continuait à parler ainsi, il ne ferait aucun doute qu'elle finirait par craquer. Plus de larme, s'était-elle jurée. Elle le regarda s'installer auprès d'elle et commencer à découper l'antilope qu'il avait chassée. Au moins, la jeune femme ne s'endormirait pas le ventre vide. Elle se rendit soudain compte qu'elle avait agis presque de la même manière avec Hirathxi qu'avec Dhankin. Mais au moins, elle ne partirait plus ensuite si son père voulait d'elle, et elle pourrait rester auprès de son ami comme elle l'avait toujours été durant son enfance. C'était tout ce qu'elle souhaitait aujourd'hui.

« J'ai décidé d'arrêter de m'enfuir. Ces deux dernières années n'ont servi à rien, plus je fuyais, plus j'avais peur que l'un de ses sbires me retrouve. Plus je me prenais à rêver à une vie simple dans un autre clan, plus j'avais l'impression que si je me posais quelque part je finirais par apporter le malheur sur ce clan. Finalement je me suis apperçue que j'en avais assez d'être lache et de ne pas affronter tout bêtement la situation. Tout ce que j'y ai gagné c'est de perdre ma Khanxi... - elle ravala une larme - Je suis une Dräoxi. Je l'ai toujours été et je le serais toujours, peu importe que je ne sois peut être pas aussi vaillante qu'Apoxi ou aussi courageuse que toi. C'est là bas que je suis née, et c'est là bas que je mourrais. J'espère simplement qu'il acceptera de me redonner une chance... J'ai envie de l'affronter, lui faire face. Je n'ai plus envie d'avoir peur de lui. Et je veux qu'il m'aime à nouveau. »

Elle se tut pendant quelques instants ensuite, ressassent silencieusement tout ce qu'elle venait de dire. Elle s'était étonnée elle même de la détermination qui avait animé ses paroles, s'appercevant qu'à cet instant qu'elle avait déjà intérieuresment changé d'état d'esprit en quelques jours à peine. Mais c'était facile de dire tout cela, de faire des plans sur la comette, d'avoir des jolis discours de pseudo bravour. Les choses seraient surement bien différente lorsqu'elle croiserait le regard assassin de son père après toutes ces saisons.

« J'espère seulement qu'il ne sera pas trop dur, même si je suis prête à recevoir la juste punition de ma lacheté. Après tout, ce ne serait pas la première cicatrice que je porterais. »

Elle baissa son écharpe. Ce morceau de passé qu'elle en avait assez de porter comme un fardeau. Elle l'ota et la jeta dans les flammes devant elle. Depuis que son père lui avait laissé cette marque, elle ne l'avait jamais enlevée réellement. Elle se tourna vers Hirathxi et embêli son visage d'un large sourire innocent.

« C'est pas trop vilain ou je suis obligée de me retrouver un tissu pour me faire une nouvelle écharpe ? »

Lëxi ne put s'empêcher de rire devant la remarque de Hirathxi. C'est vrai qu'elle avait toujours trouvé le terme sbire ridicule, et bien pompeux pour qualifier les petits chiens-chiens de son père. Cela ne l'embêtait pas vraiment que son frère en fasse partie, après tout il avait toujours vénéré Dräoxi le Sanguinaire, et cette promotion était une marque de confiance de la part du chef. Elle détestait simplement l'idée de le qualifier de "sbire".

« Ne m'en parle pas Hira, il ne te manquerait presque que les oreilles et la queue pour que tu sois un parfait petit toutou à son maîmaître. »

Elle riait, sachant pertinemment qu'il saisirait l'ironie. Ils se taquinaient souvent par le passé, et la chasseresse était tellement soulagée de constater que le temps n'avait pas terni leur complicité. Il faut dire qu'elle était parti si précipitamment que n'importe qui aurait été offusqué, ou même déçu lorsqu'une relation aussi forte était née. Mais Hirathxi restait fidèle à lui même, et elle en était tellement heureuse. Elle tiqua cependant : avait-il réellement, comme elle, passé les deux dernières années dans la nature ? N'avait-il jamais fait de rapport à Dräoxi ? Avait-il reçu l'ordre de ne revenir qu'avec elle ? Tant de questions qui se bousculaient non sans raison : durant tout ce temps, rien n'aurait empêché les deux amis de se croiser par hasard sur le territoire de l'île d'Opale. Après tout, Lëxi n'avait atteint les îles jumelles que récemment, et elle était réellement étonnée de ne jamais avoir croisé le chemin de son frère. Eliwha souhaitait-elle d'avantage qu'elle puisse retrouver Dhankin ? Peut être était-il nécessaire à la jeune femme de terminer une fois pour toute cette histoire afin d'être totalement prête à côtoyer de nouveau tous les membres du clan Dräoxi ? Peut être... Elle n'en saurait de toute manière jamais rien, mais ne pu s'empêcher de s'interroger.

« Tu es réellement parti pendant tout ce temps à ma recherche sans même retourner au clan une fois ? Ta loyauté envers mon père force le respect, et j'espère qu'il saura te récompenser comme il se doit lorsque nous rentreront les jours prochains. Tu m'as trouvée, finalement, tu as réussi. Quant à Alanaxi... J'imagine sans mal que la revoir ne t'enchantera pas, moi même je redoute mes retrouvailles avec Apoxi, mais à partir de maintenant je me dois de faire honneur à mes origines, et si cet imbécile vient me chercher des noises, il tâtera de mes tolohoks. Je pense que tu devrais penser de la même manière pour ta soeur. »

Lëxi n'aimait pas utiliser ce terme pour qualifier Alanaxi. Elle n'avait jamais été une soeur pour Hira, elle se fichait pas mal de lui et la chasseresse se souvenait très bien de la manière dont elle le traitait avec mépris au campement. C'était d'ailleurs sans aucun doute grâce à cela que les deux jeunes gens avaient pu devenir aussi proches dans leur enfance. Ils savaient qu'ils pouvaient avoir toute confiance en l'autre, et qu'ils ne se laisseraient jamais tomber en cas de besoin. C'était peut être pour ça, d'ailleurs, que Lëxi redoutait déjà un peu moins son retour : elle savait que Hirathxi serait là, prêt à la protéger si Dräoxi venait à devenir un peu trop menaçant.

« Espèce de feignant. Dit elle en souriant. On jurerait que tu n'es pas pressé de rentrer au campement, me voudrais tu pour toi tout seul encore quelque temps ? Espèce d'idiot. »

Encore une fois, elle ne put retenir un rire attendrissant devant le naturel et les taquineries qu'il pouvait lui adresser. Elle devait cependant bien admettre être plutôt d'accord avec lui : traverser la savane avec ce temps là, c'était même pas la peine, et dormir était la meilleure chose à faire. Elle le regarda s'installer dans un coin de la grotte et leva les yeux au ciel.

« Tu devrais te mettre plus loin encore, essayerais tu de me faire passer un message à propos de mon odeur corporelle ? Allez ne sois pas bête, on aura plus chaud si on dort cote à cote, d'autant plus que le feu ne tiendra surement pas toute la nuit, gros malin. »

Elle devait bien admettre que la chaleur n'était qu'une excuse -du moins... à moitié-, elle voulait simplement être contre lui. Elle se sentait un peu mièvre, mais elle avait grandi avec cet homme, et elle ne pouvait que constater qu'il lui avait réellement manqué durant son errance. Et puis elle ne savait pas de quelle manière la suite allait se dérouler, et elle préférait garder un petit peu de ce qui les unissait avant de se jeter dans la fosse aux lions. Le sommeil la gagna vite, et cette nuit là fut la première depuis longtemps où elle dormi paisiblement. La chaleur du feu et du souffle de Hira sur sa peau l'avait bercée, et c'est entièrement reposée qu'elle se réveilla le lendemain matin. Le soleil perçait à travers les rochers de leur abri. C'était comme si le déluge de la veille n'avait jamais existé. Et oui, c'était comme ça, la savane. Un gros orage le soir, et le lendemain un soleil de plomb.

Lëxi se leva et enfila rapidement ses habits qui avaient eu le temps de sécher près du feu. Elle s'empara ensuite de son arc et les deux amis sortirent ensuite de leur abris. La chasseresse ferma brièvement les yeux et inspira une grande bouffée d'air.

« On rentre à la maison. »

Les deux jeunes gens avançaient plutôt vite, ils seraient bientôt de retour au campement des Dräoxi. Lëxi devait bien avouer que la route était bien plus agréable auprès de Hirathxi. Leur complicité était tellement bienfaitrice, même si ses blagues étaient parfois un peu agaçantes. Comme lorsqu'il lui avait fait peur alors qu'ils s'étaient arrêtés le temps de se restaurés.

« Espèce d'idiot, tu mérites un châtiment exemplaire. »

La chasseresse se jeta alors sur lui et se mis à le chatouiller. Tordu par terre sous le rire, Hirathxi était décidément trop mignon. Elle, sadique, s'amusait de le voir ainsi vulnérable à ses chatouilles.

« Ah, on fait moins le malin là, hein ? Dis que tu regrettes ! »

Lorsqu'il se décida à prononcer ces mots, Lëxi cessa son petit jeu mais ne se releva pas tout de suite. A quatre patte sur Hirathxi, elle le regardait dans les yeux, sans trop comprendre comment ils en étaient arrivés là. Elle sentait son coeur battre un peu plus vite, mais tentait de ne pas y faire attention. Elle connaissait cette sensation, et cela lui faisait un peu peur. Elle approcha doucement son visage de celui d'Hirathxi et déposa un baiser furtif sur ses lèvres avant de se relever rapidement, l'air de rien et de lui tendre la main pour qu'il se relève à son tour.

« Allez c'est pas tout ça, mais on a encore de la route à faire et j'aimerais bien arriver avant la nuit. »

Ils reprirent alors la route, sans évoquer un seul instant le moment furtif qu'ils avaient vécus. Peut être que cela ne donnerait finalement rien, ou peut être que non. La relation entre les deux jeunes gens étaient tellement naturelle qu'elle ne se posait aucune question. Enfin, les rochers pointus servant de rempares au campement entrèrent dans leur champ de vision. Le coeur de la jeune femme commença à battre à tout rompre, elle mentirait si elle disait que cet entretient ne l'angoissait pas un peu. Instinctivement, elle pris la main de Hirathxi pour se rassurer.

« J'ai peur. Ne me lâche pas. »

Et ils pénétrèrent sur les terres Dräoxi...