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| Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] | |
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InvitéInvité
| Sujet: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 5/10/2014, 16:57 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Les rêves, encore et toujours… Malgré mes prières, malgré ma volonté, je ne parvenais pas à m’en débarrasser. J’avais finalement rattrapé mon retard de sommeil accumulé après la visite du Nôrin, et cette part obscure et malsaine de mon esprit en avait profité pour revenir me harceler de ces images contre-nature, qui avaient le don de tout à la fois me répugner de par leur essence, tout en embrasant bien malgré moi mon imagination autant que mon corps. Je m’étais éveillée au petit matin, haletante et en sueur, pourtant incapable de trouver la force de me lever et de faire face à la journée qui s’annonçait. Avec tout ce que devait endurer ma famille, je trouvais encore le moyen de me lamenter sur ma petite personne… Je me sentais ingrate et égoïste, en plus du reste, ce qui n’améliorait en rien mon humeur. Je finis néanmoins par rassembler la force de me lever, après plusieurs heures à renâcler au fond de mon lit. Avant toute chose, je me fis préparer un bain, espérant sans trop y croire que j’y trouverais de quoi laver les souillures de mon esprit autant que celles de mon corps, dans lequel je restais plus que de raisons, jusqu’à ce que je sentisse mes membres s’engourdir la froideur de l’eau. Après une hésitation, je décidai de me faire également monter mon petit-déjeuner afin de rester seule avec mes pensées. Ce ne serait pas la première fois, et je savais que personne ne s’en tourmenterait ni ne s’en offusquerait. Je n’avais tout simplement de faire face à ma famille ce matin-là et d’afficher mes sourires d’usage, de crainte que Lochlan ou Samaël ne remarquent que quelque chose n’allait pas et ne s’inquiétassent pour moi. Je ne voulais pas avoir à esquiver leurs questions, auxquelles je ne pourrais bien entendu par répondre, et je ne voulais surtout pas leur causer de souci supplémentaire alors qu’ils avaient déjà tant à penser. Une fois vêtue, d’une robe d’un bleu pastel des plus quelconque qu’il me fallut pourtant un temps considérable à choisir, je ne sus pas quoi faire de moi-même. Je n’avais toujours aucune envie de descendre faire la conversation, et je n’étais aucunement dans un état d’esprit propice à la lecture ou à l’étude, par lesquelles je me changeais pourtant les idées si souvent. Je passai voir Mitts, mais il semblait être parti se promener, puisque la pièce qui lui était attitrée était vide. Une promenade à cheval aurait sans nul doute permis de me vider l’esprit, mais il m’aurait alors fallu me changer, et surtout traverser la grande salle et me confronter à ceux que je voulais justement éviter, ce qui était donc proscrit. Finalement, je me décidai à aller jouer du piano. La musique avait toujours eu sur moi un effet apaisant, et une petite heure d’exercice suffirait probablement à me rendre enfin apte à affronter la journée qui m’attendait. Perdue dans les méandres de mon propre esprit, je me dirigeai donc vers la salle de musique sans remarquer le moins du monde le son pourtant de plus en plus net qui en émanait. Ce n’est qu’une fois entrée dans la pièce, et la porte refermée derrière moi, que je constatais la présence d’une silhouette précisément à la place que je comptais occuper.
« Oh, je vous prie de m’excuser. Je ne voulais pas vous interrompre, je n’avais pas réalisé qu’il y avait quelqu’un… »
Je me rendis compte en la proférant à quel point mon excuse pouvait sembler tout à fait idiote, puisque l’on entendait parfaitement depuis l’extérieur la musique provenant du piano. J’étais pourtant sincèrement contrite, et j’espérais que l’invité de mon frère, puisque c’était de lui qu’il s’agissait, ne penserait pas que j’étais en train de me moquer de lui. Je m’apprêtais à le laisser, ne voulant pas m’imposer, mais me retins à la dernière minute. Je n’avais toujours aucune envie de descendre, et la simple idée de retourner tourner en rond dans ma chambre me donnait une furieuse envie de m’arracher les cheveux. La compagnie d’un étranger, toutefois, à qui je n’aurais pas à m’inquiéter de dissimuler mon trouble ou de lui causer quelque souci superflu, me semblait plus supportable que celle de ma famille. D’autant que, comme je l’avais déjà remarqué, je sentais une certaine douceur émaner de lui, qui dans mon état pourrait peut-être m’être bénéfique. Lui adressant un sourire un peu timide, je rassemblai donc mon courage pour lui demander d’une voix hésitante, la main toujours posée sur la poignée de porte :
« J’espère que vous ne me trouverez pas trop cavalière mais… accepteriez-vous que je tienne compagnie un moment ? » COMMENTAIRE(S) HORS RP : |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 5/10/2014, 21:06 | |
| Les rêves, encore et toujours... Malgré la béatitude écœurante dans laquelle il évoluait depuis qu'il était arrivé ici, ils étaient revenus en force, à la faveur de l'inquiétude diffuse qui l'envahissait chaque fois qu'il imaginait ce qui arriverait peut-être, désormais que le Nôrin était parti et que Samaël était... destitué. Les cauchemars avaient toujours fait partie de son quotidien, mais c'était avec un véritable soulagement qu'il s'était rendu compte que la seule présence de l'homme qu'il aimait à ses côtés les chassait. Cette idée était à la fois excitante et révoltante, pour lui, bien trop, lorsqu'il prenait véritablement le risque d'y songer. Il avait été si naïf, dans trop de domaines, et pas assez dans d'autres où il aurait dû l'être. Il aurait tant voulu avoir la certitude que leur bonheur serait sans fin, et que ce qu'ils faisaient n'était pas aussi dégradant qu'il l'avait appris. Et pourtant, pourtant, la perspective même n'était pas réjouissante. Et le retour de ses cauchemars ne faisait rien pour le rassurer.
Il s'était éveillé haletant, le visage couvert de larmes, le corps poisseux et imbibé de l'âcre odeur de la peur, entre des draps froids, seul dans ce grand lit que Samaël avait déserté depuis quelques nuits déjà. C'était en soi une proclamation, qu'il ne recherchât pas son réconfort, même futile, même inutile, comme tout ce qu'il faisait par ailleurs. Et dans le même temps, il ne pouvait que se flageller d'avoir ces pensées, alors même que son amant traversait une si terrible épreuve. Quel genre de monstre perverti fallait-il être pour vouloir faire passer ses propres terreurs nocturnes enfantines avant l'avenir d'un grand homme, et celui de sa famille. C'était encore une chose qui le faisait se sentir plus seul encore. La sienne n'avait jamais été très... présente. Et à chaque fois qu'il les regardait ensemble, surtout avec les plus jeunes, il sentait comme une dague enfoncée profondément dans ses entrailles. Son cœur se serra et il quitta précipitamment le lit avant de se remettre à pleurer sur son sort. L'adage disait que les faibles n'étaient jamais seuls, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de vivre cette solitude comme un tourment ajouté à sa vie. Ou une partie prenante ordinaire, en réalité. L'avait-elle jamais quitté? Oui, bien sûr, lorsqu'il était avec son Doyen...
Il secoua la tête et essuya avec résignation les larmes qui avaient perlé à ses paupières. Il ne voulait même pas imaginer ce à quoi il ressemblait présentement. L'idée était bien trop... dérangeante. Il se dirigea à pas lourds, inhabituels, vers l'aiguière. L'eau était froide, mais au moins, il y avait de l'eau. Cela ne le changerait pas beaucoup. Il avait l'habitude du froid. Épieux était une île du Nord, et l'âtre ne parvenait pas toujours à briser le carcan du Fort glacé. Il profita de ses ablutions, avant d'attacher ses cheveux encore humide, un cran plus sombres que leur dorure habituelle, en un tressage complexe et décoratif qui avait l'immense avantage de dissimuler la fermeture du masque qu'il se voyait forcé de revêtir. Le cuir foncé formait un frappant contraste avec sa peau opaline. Intéressant et repoussant à la fois. Avec un soupir, il passa l'une de ses sempiternelles robes. Un tissu élégant d'une subtile teinte guède. La ceinture, le col montant, et les larges manches étaient rehaussés de broderies d'un gris plus tranché, de même que les chaussons souples qu'il enfila en passant la porte. Il faisait bien trop chaud pour porter sa cape, et pourtant il hésitait. Il n'était toujours pas à l'aise avec l'idée d'exposer son visage, même camouflé...
Il se mordit l'intérieur de la joue en jouant avec l'anneau passé à son doigt, et se demanda ce qu'il allait faire aujourd'hui. Son rôle de Secrétaire était pratiquement achevé. Depuis le départ du Nôrin, Samaël n'avait plus besoin de lui, et cela à de nombreux niveaux, de toute évidence. Son cœur se serra à la simple pensée de ce que cela pouvait signifier, et pourtant, il savait qu'il avait raison. L'envie d'aller explorer la bibliothèque le saisit, cherchant le réconfort qu'il ne prouvait trouver dans les armes, les bêtes ou le contact humain ailleurs. Il n'avait nulle envie de croiser les autres membres de la famille Delenol. Tous se demandaient ce qu'il pouvait bien là, et il était plus une gageure qu'un véritable atout, en ces circonstances, malgré l'accord "commercial" passé avec le Doyen Alemel.
Lorsqu'il releva la tête de ses réflexions, il s'aperçut qu'il n'avait aucune idée d'où il pouvait bien être. Perdu dans ses pensées, tentant de comprendre quel genre de cauchemar avait bien pu le troubler à ce point, il n'avait pas prêté attention au chemin qu'il suivait. Non pas qu'il ignorât où il se trouvait. Il était certes momentanément incapable de s'orienter, mais il n'en connaissait pas moins sur le bout de ses courts ongles incrustés d'encre le plan du Manoir. Même si c'était aller légèrement au-delà de ce qu'un vulgaire amant ou Secrétaire était censé faire... Cela, au moins, était encore son secret. Même s'il se demandait de plus en plus s'il n'aurait pas pu aider Samaël.
Il ne pouvait cependant risquer de compromettre sa propre île, sa propre famille, aussi dysfonctionnelle soit-elle. Il avait un devoir, même si celui-ci devait le laisser seul. Il secoua la tête et revint à ses rêves. Il n'avait pas eu l'impression de jouir de la plongée de ses mains dans le sang et les tripes, ni même d'avoir entendu les serpents siffler à ses oreilles, ou les hurlements d'agonie de sa famille, non... Un frisson glacé descendit son échine, le laissant tremblant alors qu'une impression, presque un souvenir, de son cauchemar le saisissait. Il n'avait rien entendu, n'avait rien vu, n'avait rien senti. Voilà ce qu'était son cauchemar. Les ténèbres, le vide, la solitude, absolus et sans fin. Il sentit son souffle et les battements de son cœur accélérer, en proie à une panique que rien ne saurait apaiser. Mais il ne pouvait s'effondrer ici et risquer d'être vu, non, jamais...
Fébrilement, il poussa la première porte qui se présenta à lui, et une sorte de soulagement le saisit. Il existait un moyen, peut-être. Avec révérence et émoi, il franchit le seuil et pénétra dans la salle de musique du Manoir. Contrairement au reste de la demeure, ce n'était pas une pièce terriblement fournie, mais sa sobriété ne faisait que mettre en exergue les lignes pures et parfaites de l'instrument qui s'offrait à ses yeux. Il avait rarement vu plus beau piano, même s'il se demandait quelle part de lui lui offrait d'inconnues vertus à la faveur de sa terreur froide.
Avec un soulagement confinant à la frénésie, il s'installa sur le tabouret et laissa ses doigts engourdis par la peur se délier et s'amuser, entités indépendantes de son esprit, en quelque sorte, créant le son qui l'emmenait loin de ce cauchemar et du carcan d'absence qui l'avait caractérisé.
Il n'avait jamais été très bon pour suivre une partition et jouer un morceau à la perfection. Il avait tendance à trop réfléchir, lorsqu'il essayait de déchiffrer en même temps, et perdait alors le rythme et la juste note, s'emmêlant les pinceaux comme un poulain nouveau-né. En revanche, lorsqu'il lâchait la bride à son instinct, celui qu'il ne contrôlait pas, avec lequel il ne pensait pas, il créait des mélodies qui n'avaient certes rien de géniales, car il était tout sauf un génie, mais qui possédaient leur propre cohérence parfois absurde. Il était d'ailleurs tellement absorbé par ce jeu cathartique qu'un véritable élan de panique le saisit lorsque la poignée tourné presque d'elle-même. Une fraction de seconde passa et, sans même qu'il eut fait un quelconque effort conscient, il se retrouva dos au mur opposé de la pièce, accompagné par le fracas du tabouret qui s'était renversé, le cœur en cavalcade et le souffle si court qu'il doutait même de savoir encore respirer.
Effrayé plus qu'il n'aurait pu l'admettre, il baissa la tête, plongeant en une révérence profonde et élégante née autant de l'habitude que de la certitude d'être inférieur à qui que ce fut. Un simple regard lui avait suffit à identifier la jeune femme qui avait pénétré dans le salon, cependant. Parce qu'il l'avait déjà vue, bien sûr, mais aussi et surtout parce qu'elle ressemblait tant à Samaël. A un point presque douloureux, d'ailleurs. Il ferma les yeux pour chasser de nouvelles larmes. Il lui manquait tellement, et d'autant plus parce qu'il savait qu'il était entre ces murs mais qu'il ne pouvait le voir...
La chamade retentissant à ses oreilles ne lui permit pas d'entendre les premiers mots de la Dame, mais le reste ne passa pas inaperçu pour lui. Son souffle était haché, bruyant et inconvenant, mais il s'efforça de s'éloigner très légèrement du mur. Il ne voulait pas qu'elle se sente mal à l'aise. Et pourtant, il se demandait bien ce qui pouvait pousser quelqu'un à rechercher sa compagnie, alors que sa propre famille était disponible et avait besoin de soutien. La compagnie d'un meuble aurait valu la sienne. Mais c'était peut-être ce qu'il était pour elle, un meuble curieux qu'elle souhaitait contempler le temps où il l'amuserait.
Il serra brièvement les mâchoires en se flagellant à nouveau. Il était injuste avec elle. Il ne la connaissait pas, mais elle n'avait pas eu cet air. Malgré tout, il n'était pas à l'aise. Elle était... Une femme, tout simplement. Il ignorait toujours comment parler avec elles, comment leur complaire alors qu'il était si... Il secoua la tête, comme en réponse à sa question, puis se décida finalement à répondre, plus par politesse que par véritable désir, sa voix à peine plus audible qu'un souffle.
"Ma Dame, je... Je vous en p-prie, je ne d-devrais probablement même p-pas être là... J-je vous cède la salle avec p-plaisir si vous le souhaitez. D'autant que vous j-jouez certainement bien mieux que moi..."
Il esquissa un mouvement pour se redresser légèrement, tout en gardant la tête basse et les yeux rivés au sol, simple habitude née d'années de servitude. En un sens, il voulait la laisser seule, car sa seule présence représentait comme une double souvenir doux-amer et douloureux de ce qu'il aurait pu avoir et ne possédait pas, Samaël et une famille. Ou le simple désir, parfois, d'être une femme, pour pouvoir être digne de cet homme, pour pouvoir être, tout simplement. Et d'un autre côté... Il n'avait pas plus envie d'être seul qu'elle semblait le souhaiter. Et il devait bien admettre qu'il était curieux, même s'il n'aurait osé le présenter ainsi.
D'un mouvement souple, il s'agenouilla pour relever le tabouret qu'il avait renversé, ne levant toujours pas la tête. Sa voix n'était plus qu'un souffle, bien que moins hachée, lorsqu'il reprit:
"Mais si vous le souhaitez, ma Dame, je peux accompagner votre solitude..."
Une invitation, peut-être... *Mais qui aurait envie d'y répondre, Adriel?* Une excellente question, à n'en pas douter, par Hygérie, une excellente question... |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 6/10/2014, 18:49 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Je ne m’étais certes pas attendue à produire un tel effet par ma simple irruption. Le pauvre garçon en avait été si effrayé qu’il avait bondit jusqu’au mur opposé. Prise au dépourvu, je sursautai moi-même et laissai échapper un petit cri de surprise au fracas du siège tombant au sol. Quelle digne représentation de la noblesse nous offrions là, bondissant à tour de rôle tels des lapins effarouchés ! Je ne pouvais lui en tenir rigueur, ayant moi-même déjà été dans cette situation où je me laissais tellement prendre par le morceau que je jouais que le retour à la réalité en était parfois brutal. Je m’en voulais toutefois de lui avoir causé une telle panique, mais le ridicule de mes premières excuses me fit craindre de les décrédibiliser tout à fait si j’y ajoutai quoi que ce fût, aussi préférais-je m’abstenir. Il était manifeste que je l’avais dérangé, pourtant je redoutais tant le cours que pourraient prendre mes pensées si je retournais m’isoler dans ma chambre que je parvins à trouver, je ne sais où, l’audace de lui demander de rester en sa compagnie. Je l’observais, sans doute un peu nerveusement, tandis qu’il s’éloignait quelque peu du mur où il s’était retrouvé collé. À force de le croiser ponctuellement dans les couloirs, je commençais à m’habituer quelque peu à ce masque qui dissimulait si mystérieusement une partie de son visage, si bien que je parvenais sans trop de mal à me retenir de le fixer d’une façon qui aurait été inconvenante. Ce qui était heureux, je ne souhaitais pas le mettre mal à l’aise ; du moins encore plus mal à l’aise qu’il ne l’était déjà… De le voir secouer la tête, je déduisis qu’il refusait la requête que je lui avais adressé, aussi en étais-je à me résigner à retourner à mes appartements lorsque sa voix, discrète et légère, se fit entendre, bien que je dusse tendre l’oreille pour en saisir les propos. Loin de chercher à me congédier, voilà que c’était lui qui me présentait des excuses, allant jusqu’à me proposer de me céder la salle ! Ce qui était bien entendu hors de propos, il n’était pas question que je le laisse se mettre à la porte à cause de mes lubies de petite fille capricieuse. Sans que je n’eusse à répliquer, toutefois, il reprit la parole, d’une voix tout aussi douce mais qui semblait quelque peu plus assurée que précédemment, et sembla accéder à ma demande et offrir de me tenir compagnie. Ses paroles eurent un écho étrange en moi. Le choix de ses mots avait quelque chose d’étrange, mais je leur trouvais quelque chose de rassurant, comme une idée apaisante. Accompagner ma solitude… Peut-être était précisément cela que je recherchais, au fond. Une présence pour faire fuir les ombres qui tournoyaient dans mon esprit, mais qui ne chercherait pas à s’y immiscer… Je ne savais trop, et j’avais les pensées davantage occupées par une autre question : et lui ? Cherchait-il également quelqu’un pour accompagner sa solitude, était-ce là la raison de sa formulation si particulière, ou n’allais-je rien faire d’autre que déranger sa tranquillité ? Réalisant que j’étais toujours fort absurdement accrochée à ma poignée de porte, je me décidais à la lâcher pour faire entièrement face à mon interlocuteur. Quelque peu détendue par sa proposition, je hochais doucement la tête, affichant un sourire légèrement plus assuré lorsque je répondis d’une voix reconnaissante.
« Si ma présence ne vous incommode pas trop, cela me ferait très plaisir. »
Ce n’étaient pas tout à fait les mots que j’avais eu l’intention de prononcer, comptant le formuler de façon plus mesurée, mais je me rendis compte en le disant que ce n’était que la pure vérité. Mes tourments, à son contact, semblaient s’éloigner petit à petit, alors même que je n’étais ordinairement que gêne et réserve en compagnie d’un homme inconnu, a fortiori en tête-à-tête. C’est qu’il y avait, chez la plupart des hommes, quelque chose dans leur attitude et leur manière de me regarder ou de s’adresser à moi que je n’avais jamais bien réussi à définir mais que je trouvais, sans doute bien injustement de mon propre aveu, menaçant et inquiétant. C’était une impression diffuse et subtile, indistincte mais bien présente, quasi systématique. En y réfléchissant, il me semblait que c’était la première fois qu’un autre homme que mes frères ou mon père ne faisait pas cet effet désagréable. Lui en revanche semblait toujours aussi mal à l’aise, et je m’inquiétais de l’indisposer par ma présence, qu’il aurait pu au fond n’accepter que par pure politesse. Mais peut-être était-il simplement lui aussi nerveux en présence d’inconnus, ce que je pouvais fort bien comprendre. Je décidais donc d’attendre de voir comment se déroulerait notre échange, et de le rendre à sa tranquillité si les choses ne paraissaient pas s’arranger. Pour l’heure, il était un point que je souhaitais mettre au clair, et qui peut-être participerait à le mettre plus à l’aise, aussi repris-je d’une voix douce.
« Et pour vous répondre, vous êtes notre invité, et à ce titre avez tous les droits de vous trouver là. C’est agréable de constater que je ne suis pas la seule à trouver un intérêt à cette pièce. Sans mon insistance et le fait qu’il est bien vu pour les personnes de notre rang d’avoir quelque talent à exhiber, Mère se serait sans doute débarrassée de ce pauvre piano et aurait transformé cette pièce boudoir, en salon privé, ou que sais-je encore… »
Ce n’était sans aucun doute pas l’anecdote la plus palpitante qui fût, mais je n’avais jamais brillé par mes dons à converser de banalités. J’espérais simplement que cette amorce permettrait d’engager la discussion, peut-être sur la musique, qui semblait nous être un intérêt commun puisque nous étions là tous les deux, et que ma maigre tentative d’humour contribuerait à apaiser les tensions de mon interlocuteur. J’avais fini par m’appuyer sur la porte, n’osant guère m’avancer plus dans la salle par crainte d’envahir l’espace du jeune homme et de le mettre encore plus mal à l’aise qu’il ne l’était déjà. La position ne m’était pas inconfortable, toutefois, et je m’y sentais plutôt bien, aussi supposais-je qu’elle pouvait me sembler naturelle. Me remémorant soudainement d’un détail de ce qu’il avait dit, je lui lançais un regard curieux avant d’ajouter, sans lui avoir laissé le temps de chercher quoi répondre à ma pauvre tentative de bavardage précédente :
« Qu’est-ce qui vous fait penser que je jouerais mieux que vous ? Je ne crois pas que vous m’ayez jamais entendue… »
COMMENTAIRE(S) HORS RP : J'aurais pu arrêter le post plus tôt mais... Je ne sais pas, j'avais envie qu'elle pose la question ^.^ Si jamais cela te dérange, ou plus simplement si tu préfèrerais qu'il puisse réagir avant, n'hésite pas à me le dire et j'éditerai pour couper où cela te conviendra ! |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 8/10/2014, 10:37 | |
| Rien n'aurait pu à la fois plus et moins l'incommoder que la situation dans laquelle il se trouvait présentement. Il avait été si mal à l'aise avant d'entrer dans cette salle qu'il n'avait paradoxalement nulle envie de la quitter, s'y sentant à l'aise par ce qu'elle représentait en elle-même, par cette odeur de bois ancien, de renfermé léger, et de poussière inhérente aux pièces peu utilisées, autant que par le souvenir de la musique qu'il y avait jouée. Elle avait été, véritablement, plus cathartique que grandiose. Et pourtant, malgré ce réminiscence, la présence de Dame Delenol représentait une perturbation, une ridule à la surface des eaux sombres et silencieuses qui avaient menacé de l'engloutir. Ce qui était en soi surprenant, par ailleurs. La plupart des femmes faisaient naître en lui un plus grand sentiment encore de chute, alors qu'elle n'était qu'une... présence dont il était vaguement conscient. Pas véritablement incommodante, ni particulièrement confortable, mais d'une neutralité finalement bienvenue, lui qui n'avait jamais connu que l'indifférence blessante ou le rejet absolu.
Lentement, comme pour ne pas l'effrayer alors qu'il était probablement le plus terrorisé des deux, il se releva, comme pour répondre à son acceptation. Il en était, en quelque sorte, surpris. Qu'elle n'eut pas été repoussée par sa simple formulation, par sa présence, par le masque qui dissimulait son visage. Ou même par ce qu'il représentait simplement. Une autre Île, venue s'immiscer dans leurs affaires à un moment si critique. D'ailleurs, s'il voyait tout cela d'un point de vue purement politique, il était surpris. Surpris que la Doyenne temporaire Delenol ne fut pas venue le voir, le solliciter, pour tenter de conforter sa position. Il était de notoriété publique que l'étrange homme masqué avait l'oreille du Doyen Alemel et agissait comme son Sceau partout où celui-ci ne pouvait se déplacer en personne, de même que son Héritier. La question de savoir pourquoi elle n'avait pas daigné se rapprocher de lui pour négocier une alliance, éventuellement en l'entérinant par un mariage, puisque ce bon vieil Anselme n'avait pas de promise, et la famille d'Îleval une fille plus qu'en âge d'être jetée en pâture. Épieux avait toujours été en bons termes avec la plupart des Îles, malgré le caractère parfois très particulier de son Doyen, et la rigueur de ses hivers. Le Festival y ajoutait beaucoup, en terme de prestige notamment, et tout le beau monde souhaitait s'y voir et y être vu. La production des plus belles pierres de l'Archipel y était certainement pour quelque chose également.
Il n'enviait pas la position de son frère, en ce domaine. Et il enviait encore moins la jeune femme qui lui faisait face. Il dissimula un sourire en faisant mine de réajuster le col de ses robes. Il l'appelait jeune avec toute la politesse et la condescendance désuète et paternaliste d'un vieillard, alors qu'elle avait quelques années de plus que lui. Mais il lui était difficile de ne pas la considérer d'un œil bienveillant, alors même qu'il n'avait entendu parler d'elle qu'à travers le Réseau, terriblement neutre, et Samaël, qui la voyait comme sa petite sœur, une personne à protéger et à dissimuler aux regards du monde. Peut-être était-ce aussi cela qu'elle lui évoquait. Une personne qui avait eu à subir une prison d'un autre genre, peut-être contre son gré, et qui n'avait rien vu de l'extérieur et des douleurs de la vie. Il l'enviait et la détestait pour cela en un sens, bien qu'il ne la connût pas. Ce qui était fort injuste. Il n'était pas adepte des préjugés mais n'en était pas moins humain, et parfois, le poids de ce qu'il avait eu à subir lui pesait plus qu'il n'aurait voulu y songer.
Et pourtant, pourtant il ressentait une forme de joie malsaine à l'idée que cela lui fasse « plaisir » de partager sa compagnie. Il s'agissait d'un sentiment qu'il suscitait bien rarement, il en avait conscience, que ce fut à cause de sa personnalité effacée ou simplement de ce qu'il était. Son cœur était donc partagé, entre l'idée séduisante de simplement s'éclipser, malgré sa proposition, comme s'il n'avait pas pu supporter de simplement la voir. Ce qui aurait pu être justifié par la réaction qu'il avait eue avant, et par cette douleur sourde que son visage et son appartenance à la famille Delenol, cette ressemblance flagrante, faisait naître en lui. Et d'un autre côté, par l'idée presque douloureuse qu'il pourrait l'apprécier intellectuellement. Sa voix n'avait pas la note agressive et bravache, ou faussement sensuelle des autres femmes qui l'abordaient en général, soit pour négocier, soit pour le séduire afin de parvenir à leurs fins, soit simplement pour lui montrer à quel point il les dégoûtait. Il n'avait pas besoin d'elles pour cela, certainement pas...
Désormais debout, il la regarda avec un peu plus d'insistance, bien que tout autant de discrétion. Observer sans en avoir l'air était un art qu'il maîtrisait avec un certain degré de perfection. Elle n'avait pas l'air beaucoup plus à l'aise que lui, lorsqu'il y songeait, malgré sa nonchalance affichée. Les paroles qui lui échappèrent alors confirmèrent qu'elle voyait bel et bien qui il était, et il pensait bien qu'elle s'arrêterait là. Il ne put cependant s'empêcher de relever la tête en entendant cette critique à peine voilée de la nouvelle Doyenne, tant sa surprise était grande. Il n'avait pas pensé qu'il était possible pour un membre d'une famille de haut rang de, sans artifice aucun, ou tout du moins le semblait-il, exposer une opinion si tranchée à un inconnu notoire et de surcroît dignitaire (ou à tout le moins originaire) d'une autre Île. Il lui adressa un léger sourire attristé, sentiment qu'il ressentait à la simple perspective que cette pièce magnifique et de toute évidence amoureusement entretenue et accordée puisse disparaître au profit des frivolités d'une matrone en manque des ragots. Et pour une fois, l'idée le révolta tellement qu'il ne réfléchit même pas avant de répondre, une légère nuance de regret et de dégoût dans la voix:
« Ma Dame, c'eut été un crime sans commune mesure, mais cependant, je vous comprends. Celle d’Épieux a manqué subir le même sort, et le pianoforte a bien failli alimenter un quelconque bûcher plutôt que faire ce pour quoi il avait été conçu. Et si une personne de mon rang n'a rien à prouver en termes de compétences artistiques, l'instrument n'a été sauvé que parce qu'il est enfermé dans une tour loin de tout endroit que des Dames souhaiteraient fréquenter de leur plein gré, et que les sons qu'il produit ne dérangent personne. Même si, en définitive, à part les chats, peu l'entendent encore... »
Il n'avait jamais pu convaincre Anton Alemel de l'importance de faire jouer d'un instrument à son fils. Il préférait bien le voir manier l'épée avec brio, arguant que de telles occupations étaient bel et bien bonnes pour les femmes ou les oisifs. Adriel n'était probablement ni l'un ni l'autre, mais cela semblait avoir échappé à la vue du Doyen. Il n'avait pas envie de s'étendre plus sur le sujet et était un peu anxieux de voir sa réaction quant à sa sortie, bien qu'elle eut été faite d'une voix basse et murmurée, malgré les sentiments peu flatteurs qu'elle avait pu porter. Il secoua la tête, presque déprimé, finalement, à l'idée qu'elle s'en aille. Sa présence chassait le vide et les ténèbres de la nuit La sienne à défaut d'une autre qu'il aurait préférée, mais une présence malgré tout, et ce simple fait était déjà surprenant. Car il parvenait, pour la première fois de sa vie fort certainement, à faire abstraction de son sexe. Les femmes étaient tout à la fois un mauvais souvenir pour lui, celui de sa mère, de son rejet, de son horreur, de sa froideur, qui l'avaient marqué dans son âme d'enfant, à une époque où jamais il n'aurait dû ressentir pareil sentiment. Mais les femmes en général étaient aussi pour lui, comme pour tout bon Mésorian, l'image de la Déesse, une de ses incarnations, ses plus proches représentantes. Et parfois, il avait l'impression qu'Hygérie l'avait tant et tant trahi qu'il ne parvenait pas à fermer les yeux sur cet état de fait.
Cependant, il n'eut guère le temps de réfléchir à cela et à ce qu'il aurait bien pu dire pour poursuivre une conversation probablement bien creuse, puisqu'elle prit elle-même la parole. Il détourna le regard, tentant tant bien que mal de maîtriser la rougeur intense qu'il sentait naître sur son visage et qui le poussait à fixer le sol et le bout de ses chaussons de tissu que la pièce. C'était une excellente question en soi. Il n'avait fait qu'évoquer une pensée flatteuse, bien qu'elle eut quelques fondements dans ce qui lui avait été rapporté. Et le simple souvenir des circonstances dans lesquelles ils avaient pu en parler... Une chambre inoccupée durant le Festival, un rendez-vous donné dans le secret d'une alcôve, une nuit fort peu reposante mais pourtant riche, à la fois en émotions, en sensations, et en discussions échangées à voix basse, le souffle court, le visage posé sur un oreiller de fortune plus fait de chair que de tissu, entrecoupées de baisers tendres ou fougueux.
Il leva sans aucune discrétion la main à son visage pour simuler un toussotement et ne pas songer à la raison de son émoi. C'était proprement inconvenant, évidemment, et il n'aurait jamais dû être à ce point troublé par ce simple souvenir. Sa main se baissa d'ailleurs rapidement, non sans avoir auparavant pincé délicatement l'arête de son nez, la laissant reposer ensuite à son côté. Il se souvenait parce qu'il n'avait pas le choix, il était bien forcé de se souvenir alors que l'absence le brûlait douloureusement. Son visage, il n'en doutait pas, était toujours aussi cramoisi sous le masque, mais il laissa son regard se perdre sur un point invisible, dans le vague d'une imperfection dans la pierre, tache solitaire dans l'uniformité du mur. Sa voix n'était qu'un peu plus rauque qu'à l'ordinaire, et légèrement plus audible, quoique beaucoup plus blessée par ce manque, ce vide, qui le torturait et auquel il ne voyait pas de fin, à peine une conclusion plus tragique que joyeuse.
« Il m'a été dit par le D... Par Messire Delenol que vous jouiez particulièrement bien, malgré le peu d'occasions que vous pouviez avoir. Il m'a également confié qu'il avait toujours senti votre sensibilité s'exprimer dans votre musique, et qu'il vous comprenait mieux en ces moments-là que lorsque vous échangiez, même librement. A l'inverse, je connais mon propre manque de compétences. Aussi en ai-je conclu que, l'un dans l'autre, votre jeu était certainement plus plaisant à l'oreille et au cœur que le mien... »
Ce qui était en soi absolument vrai et partiellement faux. Samaël ne s'était jamais étendu de la sorte sur sa jeune sœur, mais Adriel savait qu'il s'inquiétait parfois de ne comprendre ce qu'elle voulait véritablement, tant l'attention qu'elle lui portait prédominait sur la sienne propre. Et il savait aussi que la musique ouvrait parfois des portes insoupçonnées. A partir de là, comment aurait-il pu se tromper ? Cependant, il reporta son attention sur la jeune femme un instant, avec un sourire très léger.
« Il est cependant vrai que je n'ai jamais eu l'heur de vous entendre jouer, ma Dame, bien que ce serait avec plaisir si vous vouliez vous en donner la peine... »
Dans un froissement de tissu il s'éloigna légèrement du tabouret, l'observant, la tête légèrement penchée sur le côté, comme une invitation. Il ne se rendit compte que lorsqu'il eut achevé son mouvement qu'il venait de lui demander, en définitive, de se mettre à nu, juste après lui avoir expliqué que son être était atteignable par la musique. Quel homme cruel il faisait parfois, sans même s'en rendre compte. Il aurait compris qu'elle refuse, finalement. Et en même temps, il en aurait été terriblement déçu... |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 8/10/2014, 17:33 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Loin de l’ennui désintéressé auquel je m’étais attendu en réponse à mon anecdote, le commentaire lui fit relever les yeux avec un air surpris, et je me rendis compte du même coup que j’avais peut-être effectivement dépassé les limites de la bienséance. Il n’était évidemment pas bienvenu de critiquer sa propre famille devant un étranger. Mais, s’il me fallait être honnête, je ne le percevais pas comme tel. Je le savais être un proche de mon frère, bien que j’ignorasse dans quelle mesure précisément, et sa présence m’était plus agréable que celle de n’importe quel homme que j’avais pu rencontrer au cours de ma vie, ce qui semblait suffire à ce que je ne me sentisse pas tenue aux artifices et faux-semblants habituellement de rigueur. Les apparences, toujours les apparences… Sans doute le fait que je n’eusse pas encore toute à fait recouvrer mes esprits n’était-il pas non plus tout à fait étranger à ce léger dérapage. Mais ce n’avait guère d’importance puisque, fort heureusement, il ne sembla pas s’en offusquer. Tout au contraire, ce fut l’occasion pour moi de le voir sourire pour la première fois. Un peu timidement peut-être, et un peu tristement, mais d’une manière qui me laissa entendre qu’il me comprenait. Ce que confirmèrent d’ailleurs immédiatement ses propos, autant que le ton de sa voix. Au moins semblais-je être parvenue, quoi que bien involontairement, à trouver un sujet qui le détendait quelque peu et le laissait plus ouvert à la discussion qu’il ne l’avait paru au premier abord. J’avais moi-même un ton plus compatissant que réellement triste lorsque je répondis.
« Il me semble toujours malheureux qu’un instrument quel qu’il soit se retrouve enfermé loin de toute oreille qui pourrait en profiter, mais c’est un sort de loin préférable au bûcher, surtout s’il reste quelqu’un pour en jouer, à défaut de l’entendre. Je dois reconnaître que j’ignorais parfaitement qu’Épieux eût un pianoforte. Je n’ai jamais eu l’occasion d’en jouer… »
Mes mots n’allèrent pas au bout de mon idée alors que je me demandais s’il me serait permis de m’y essayer, lors d’une de mes éventuelles futures visites. D’une part, je ne voulais pas me montrer trop audacieuse en réclamant cette faveur alors qu’il me semblait comprendre qu’il s’agissait de son instrument personnel. D’autre part, et sans nul doute dans une plus grande mesure, je préférais ne pas penser aux raisons qui pouvaient motiver une telle visite de ma part. Si nous entretenions de bonnes relations dans l’absolu, il y avait des années que je n’y avais mis les pieds. Certes, la présence de notre invité, à ce que j’avais cru comprendre, était officiellement justifiée par d’éventuels accords commerciaux qui auraient pu justifier un voyage de notre famille, mais il y avait également une autre raison qui aurait pu me pousser à m’y rendre, et à laquelle je redoutais ne serait-ce que de penser. Le fils du Doyen, Héritier au titre, représentait incontestablement un bon parti, et il ne faisait aucun doute que l’idée ferait son chemin dans l’esprit de Mère, dès que l’emploi du temps fort chargé induit par ses nouvelles responsabilités lui en laisserait le temps et l’occasion… Je préférai donc changer de sujet, l’interrogeant sur une remarque qu’il avait laissée échapper un peu plus tôt afin de ramener la discussion vers un sujet qui me semblait moins dangereux. Je m’inquiétai immédiatement d’avoir commis une nouvelle bévue en le voyant rougir et se racler la gorge, manifestement embarrassé. Si j’avais deviné que mon innocente question lui causerait un tel émoi, je me serais abstenue de la poser ! Il daigna néanmoins me répondre, bien que sa voix me parût différente, sans que je pusse définir exactement en quoi. Faisant mine de n’avoir rien remarqué que de son trouble, afin de ne pas l’embarrasser davantage, je répondis d’un ton un peu amusé, mais également quelque peu gênée de tant de compliments à mon endroit.
« À la vérité, j’ai davantage d’occasions de jouer que lui de m’entendre, je suis ici presque tous les jours. Mais peut-être devriez-vous vous méfier, je crains fort que mon frère ne soit pas toujours des plus objectifs à mon propos. Je ne le savais d’ailleurs pas si poète… »
J’avais lâché cette dernière phrase avant de m’en rendre compte, sur un peut-être légèrement trop complice pour sembler approprié envers un jeune homme avec qui je discutais pour la première fois. Loin de moi l’idée de le traiter de menteur, bien sûr, toutefois il fallait bien reconnaître que je le soupçonnais fortement d’avoir pour le moins extrapolé et enjolivé les paroles de Samaël, qui n’avait guère pour habitude de s’exprimer de la sorte. Tout comme je le soupçonnais, au demeurant, de mésestimer ses propres capacités, mais de cela je ne pouvais guère juger. Je me sentis rougir lorsqu’il me demanda de jouer pour lui. Ce n’était bien sûr pas la première fois que je jouais devant un public, d’ailleurs plus nombreux et sans doute moins complaisant qu’il ne le serait, mais j’avais encore fraîchement à l’esprit les paroles qu’il venait de prononcer, et l’idée me semblait déconcertante, quoi qu’étrangement pas réellement incommodante. Pourtant, je ne me sentais pas de décliner sa requête. Pour commencer, il était vrai que j’avais fort envie de jouer, puisque c’était la raison même de ma présence en ce lieu. Mais outre cela, je n’avais pas le cœur de le refuser, craignant que cela ne le pousse à se renfermer à nouveau alors que nous étions parvenu à établir une certaine communication. Pour finir, j’étais curieuse, je crois. J’avais l’impression diffuse d’une indéfinissable compréhension entre nous, et me demandais comment il réagirait à ma musique, bien que j’en ressentisse également une certaine appréhension. Je n’en montrais toutefois rien, du moins l’espérais-je, alors que je répondais complaisamment :
« Bien volontiers, si vous me promettez de vous montrer indulgent. Je crains de n’être pas au meilleur de ma forme ce matin, et après tout ce que mon frère semble vous avoir fait miroiter, je m’en voudrais de vous décevoir. »
Je m’avançai pour venir m’asseoir sur le petit banc, avec des gestes presque aussi doux que ceux dont il avait fait preuve en se relevant. Mes mains avaient déjà trouvé leur place, mes doigts effleurant à peine l’ivoire des touches, lorsque je me retournai pour l’interroger.
« Désirez-vous un morceau en particulier ? » COMMENTAIRE(S) HORS RP : |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 19/10/2014, 15:19 | |
| Les conversations diplomatiques avaient toujours eu, à ses yeux, les qualités d'une danse. Une danse étrangement guerrière et fascinante dans son étude, aussi dangereuse qu'un combat ou qu'un serpent venimeux, aussi gluant et glissant, aussi mortel également, en un sens. Pas nécessairement physiquement menaçant, bien entendu, mais la mort sociale, la mort commerciale, étaient la fin d'une existence en soi que beaucoup n'étaient pas prêts à accepter. Les parasites qui gravitaient autour des puissants avaient souvent cette crainte, qu'Adriel observait avec le détachement indifférent de celui qui n'avait pas de vie en-dehors de ce cercle et savait que, quoiqu'il fasse, il ne pouvait en sortir, même de son plein gré. L'arrogance d'un membre de la noblesse, en quelque sorte, bien qu'il ne l'eût jamais vu de la sorte, ne l'eût jamais compris ainsi. Et le jeune Secrétaire était conscient qu'il n'avait jamais été véritablement doué dans les jeux de l'esprit comme dans les danses plus physiques. Ou même les combats d'ailleurs...
Cependant, en cet instant précis, il ne ressentait rien de la pression habituelle qu'il ressentait à converser avec approximativement tout le monde. Elle ne s'évanouissait qu'avec Samaël, dans l'intimité de sa chambre, ou avec Valokra car elle... Il n'aimait pas songer qu'elle lui appartenait, et pourtant, en un sens, il lui faisait confiance en considérant sa loyauté non pas comme acquise, mais liée à sa conscience professionnelle, et donc un sentiment sur lequel il pouvait se reposer sans crainte. Il ne comprenait guère les sentiments, mais il comprenait la fierté du travail bien fait, et le sentiment de puissance que cela pouvait, en un sens, conférer.
Aussi, malgré les sentiments mitigés qu'il aurait dû ressentir à l'idée d'insulter si ouvertement sa famille devant cette personne inconnue, il se sentait comme partie prenante d'une confidence, d'une conversation détendue et intime. Sensation troublante s'il en était. La question l'avait effleuré, un instant, de savoir si c'était ce que les auteurs avaient décrit comme l'amitié. Ridicule, évidemment, mais malgré tout, il aurait aimé y croire, rien qu'un instant. Cette impression d'être si totalement à l'aise et de pouvoir simplement faire confiance, avec la certitude de n'être pas trahi. Nouvelle illusion née d'un mensonge. Si elle avait su ce qu'il était pour son frère, son cher et adoré frère, elle l'aurait rejeté et condamné au bûcher comme les autres, fort probablement... Il se demandait d'ailleurs encore comment il pouvait n'être toujours pas renié par Hygérie, malgré ses actes par ailleurs si répréhensibles...
Douce illusion pourtant, dans laquelle il avait envie de se prélasser pour quelques instants encore, tant elle remplissait le vide de son être après les cauchemars de la nuit. Et d'ailleurs, en l'entendant sincèrement compatir pour le sort du pauvre pianoforte d’Épieux, il ne put s'empêcher de lui adresser un véritable sourire, avant de finalement répondre à l'invitation qu'elle n'avait osé formuler, bien que d'une voix hésitante:
"Si vous le souhaitez, à l'occasion de votre prochaine visite, je vous montrerai à quel endroit il se niche. La façon de jouer n'est pas fort différente d'un piano classique, bien que les notes soient un peu plus difficiles à lui arracher, mais en revanche, le rendu est bien plus... puissant. Qui sait, le prochain Festival est l'année prochaine, mais vous pourriez être appelée à nous visiter plus tôt que cela..."
Ses paroles se teintèrent de mélancolie sur ces derniers mots. Il compatissait, en un sens, à ce sort. Cependant, malgré ce qu'il en avait pensé plus tôt, et ce que la Doyenne Delenol souhaiterait lui extorquer, une union entre Anselme et sa fille semblait impossible. En revanche, un accord entre Îleval et Épieux serait profitable... Il était triste de constater que les dix-neuf ans non révolus de l'Héritier le forceraient fort probablement à prendre épouse plus jeune que lui, ou à peine plus âgée, et que les années d'écart avec la Demoiselle Delenol ne seraient jamais acceptées par Anton. Cependant, s'il avait promis Shaï à Damoiselle Mylessie, il pourrait envisager de sacrifier un autre des ses "neveux"... Il ne l'avait jamais fait jusqu'à présent, car Adriel représentait une pièce de valeur sur l'échiquier tant qu'il restait dissimulé. Les circonstances pourraient pourtant changer. Il réprima un frisson à la simple idée de devenir une monnaie d'échange acceptable. L'idée était on ne pouvait plus ridicule et il la chassa rapidement pour se concentrer sur ce qu'elle disait. Elle évoquait le manque de discernement de son frère à son égard, mais aussi sa volonté de ne pas le décevoir, qui le surprenait plus qu'il ne l'aurait consciemment admis. Quel intérêt son avis pouvait-il bien avoir pour elle? Il se le demandait, mais n'avait pas véritablement envie de creuser la question, de peur de bien trop apprécier la réponse qu'il inventerait et qui serait aussi éloignée de la réalité que tout ce à quoi il avait cru jusqu'à présent.
Ses pensées se tournèrent donc vers Samaël, et les paroles qu'il aurait énoncées concernant son jeu. Il ne put retenir un petit rire étouffé et attendri, qui se transforma en un sourire qu'il peina à chasser, n'en ayant pas particulièrement envie, malgré le danger que cela représentait:
"Il est effectivement plus guerrier que poète, j'en ai peur, et je crains d'avoir quelque peu... changé la lettre, tout en conservant l'esprit, n'en doutez point. Il vous voit avec les yeux de l'amour filial et entend votre musique avec ce même sentiment, ce qui me fait penser que même s'il n'est pas objectif, il n'en a pas pour autant tort..."
Il haussa un discret sourcil dans sa direction, loin d'être certain de la clarté de son discours. Il esquissa un vague geste de ses longs doigts graciles avant de s'éloigner légèrement du tabouret après son invitation, lui laissant le loisir de s'installer, puisqu'elle avait, de façon surprenante, accepté son invitation. Il avait observé l'absence d'autre siège et se contenta donc de s'adosser au mur froid, séparé d'elle par l'impressionnante marqueterie du piano. Un très bref instant, il croisa son regard d'un vert trop intense et trop semblable à celui qu'il aimait tant, puis baissa la tête à nouveau sans parvenir à tout à fait dissimuler sa surprise. Décidément, le sentiment semblait fréquent alors qu'il échangeait avec elle. Il ne lui était jamais venu à l'esprit d'avoir à choisir le morceau. Il ne comprenait toujours pas qu'elle cherche à lui faire plaisir. Sa méfiance naturelle fit naître une insidieuse question dans son esprit. Avait-elle était envoyée par sa mère pour tâter le terrain, déjà? Il ne parvenait pas exactement à s'en convaincre, pourtant, et il se contenta de murmurer d'une voix hantée:
"Un air évoquant le grand air et la lumière, cela me siérait à merveille, je crois..."
Quelque chose de joyeux, oui, pour chasser une bonne fois pour toute ses cauchemars, jusqu'à la nuit prochaine au moins... Il hocha la tête pour lui-même, comme pour conforter son propre choix, puis la pencha légèrement sur le côté, les yeux clos, attendant la mélodie, aussi attentif et immobile qu'un oiseau craintif écoutant les trilles d'un congénère.... |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 21/10/2014, 19:16 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Sans doute mon allusion avait-elle manqué de subtilité, car il ne me semblait pas que ce jeune homme timide fût du genre à inviter ainsi inconsidérément la première venue dans son intimidé, toujours est-il qu’il répondit de lui-même à ma requête non-formulée en offrant de me montrer ce fameux pianoforte lors de ma prochaine visite. Mon visage s’éclaira d’un sourire, autant en réponse à celui qu’il m’offrait qu’à la perspective de découvrir un nouvel instrument. Mon sourire, pourtant, vacilla et perdit son éclat aux derniers mots qu’il prononça, d’une voix étrangement teintée de mélancolie. Je cherchais à me persuader qu’il ne voulait parler que de possibles accords commerciaux à venir, sans y parvenir. Le ton qu’il avait employé suffisait à écarter cette possibilité. Devais-je alors y voir un sous-entendu ? Savait-il quelque chose que j’ignorais ? Mère serait-elle parvenue, à travers le chaos de sa récente nomination, à trouver le temps de l’approcher, d’entamer des projets concernant l’Héritier d’Épieux ? Cette simple idée suffisait à me faire frissonner. Je me sentais tendue, inquiète. Je parvins toutefois à ne pas perdre tout à fait mon sourire et à lui répondre, d’une voix qui manquait toutefois cruellement d’entrain et d’assurance. « En effet, j’ai cru comprendre que votre présence ici laissait présager des accords commerciaux entre nos deux îles… » Je ne pouvais guère me montrer plus directe ; lui demander franchement eût été parfaitement inconvenant. Sans compter que je n’étais pas certaine d’être prête à entendre mes doutes confirmés, si ce devait être le cas… Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de le sonder du regard, interrogeant silencieusement et presque désespérément, guettant la moindre réaction qui pourrait me donner un indice, priant intérieurement pour qu’il acquiesçât à mes propos et infirmât mes craintes. Ce n’était, décidément, pas un sujet sur lequel nous étendre, je n’étais de toute évidence pas moralement en état d’y faire face. Je fus donc soulagée lorsque notre conversation revint sur celui de la musique, et parvins à me détendre petit à petit. Il n’avait pas à faire les frais de mes inquiétudes irrationnelles, et en me concentrant sur notre échange, je parvenais à mettre de côté, pour un temps, ces sombres considérations. Malgré ce que j’aurais pu craindre, il ne prit pas ombrage de mon insinuation, qui au contraire parvint même à le faire rire, ce qui me fit fort plaisir, quand bien même c’avait été tout à fait involontaire. Un petit sourire tendre flottait sur ses lèvres, auquel je me sentis répondre sans que fût délibéré. J’appréciais cette affection manifeste qu’il montrait pour mon frère, qui passait si souvent pour un monstre au cœur de pierre. Je ne savais toujours pas quel genre de lien avait pu s’établir entre eux, mais il était plus qu’évident qu’ils tenaient sincèrement l’un à l’autre et, si je ne connaissais pas assez mon interlocuteur pour en juger, je savais du moins que, du côté de Samaël, c’était pour le moins inhabituel. Je repensai à la conversation qu’ils allaient devoir avoir tous les deux, dont mon frère m’avait parlé la veille, et mon cœur se serra légèrement à cette idée. Je ne pouvais qu’espérer que ni l’un ni l’autre n’auraient trop à en souffrir. Toutefois, ce n’étaient pas là mes affaires, et sans doute mieux valait-il mieux pour Adriel que la nouvelle lui vînt de son ami plutôt que d’une étrangère avec qui il n’avait guère échangé plus de quelques phrases depuis son arrivée. Aussi gardais-je sagement pour moi mes pensées, me concentrant plutôt sur l’instant présent et sur les paroles qui m’étaient adressées. Qui, d’ailleurs, me firent rougir à nouveau. Sans doute n’était-ce pas un compliment à proprement parler, mais je le pris néanmoins comme tel. Ce jeune homme faisait décidément preuve d’une douceur et d’une sensibilité que j’avais rarement rencontrées chez des personnes de notre âge – ou de tout âge, en réalité – et je me prenais à apprécier sa compagnie bien plus que je ne l’avais escompté, bien loin du malaise qui me prenait habituellement en société. Je n’en étais pas moins gênée par ses propos si obligeants, quoi que d’une façon certes agréable, et ne sut pas quoi lui répondre pendant un moment. Fort heureusement, il dissipa mon embarras en reprenant la parole, m’invitant à jouer un morceau, ce que j’acceptai sans difficulté. La demande qu’il me fit lorsque je l’interrogeai à ce propos était fort peu ordinaire, et j’y réfléchis quelques instants, affichant une moue pensive quelque peu infantile, habitude que j’avais gardée du temps où j’étais petite fille, et que Mère me reprochait assez souvent mais dont je ne parvenais pas à me défaire. Il fallait admettre que ce n’était sans doute pas le genre de morceau que j’aurais intuitivement choisi à ce moment, étant donné mon état d’esprit de la matinée, toutefois en y réfléchissant il me sembla que c’était effectivement une bonne idée, peut-être justement ce qu’il me fallait pour chasser pour de bon les ombres de la nuit et enfin prendre cette journée du bon pied. Peut-être en était-il de même pour lui, d’ailleurs. Après quelques instants de silence, je trouvai enfin un morceau qui me semblait convenir à sa demande, ce que je lui annonçai en souriant. « Je crois avoir ce qu’il vous faut. » Je fermai les yeux pour me concentrer quelques instants, puis mes doigts se mirent à danser sur les touches d’ivoire, presque sans que j’eusse à y penser, et la musique emplit la pièce. C’était à l’origine une pièce pour orchestre, que mon maître de musique m’avait aidée à adapter pour le piano. La composition n’était sans doute pas parfaite, et je dus marquer une ou deux hésitations, mais le morceau me semblait le plus adapté aux circonstances. Il m’évoquait immanquablement la nature s’éveillant sous la caresse d’un lever le soleil, des rayons de lumière avançant sur de grandes étendues herbeuses dont ils chassaient les derniers filets d’ombres qui s’attardaient encore. Je m’étais laissée emportée par la musique tandis que je jouais, qui était effectivement parvenue à me rendre le cœur plus léger, si bien que j’en avais presque oublié mon invité. Il me revint toutefois à l’esprit, à peine quelques instants après que mes doigts se soient immobilisés, et je me tournai vers lui pour lui adresser un sourire un peu timide, n’osant reprendre la parole, embarrassée peut-être par la possibilité de n’avoir pas été à la hauteur de ses attentes. COMMENTAIRE(S) HORS-RP : Ce n’est pas particulièrement court, mais je n’ai malgré tout pas l‘impression de te donner énormément de matière à répondre… Si jamais cela te pose effectivement problème, n’hésite pas à me le signaler ! |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 25/10/2014, 13:07 | |
| Subtilité, tel est ton nom. En d'autres termes, Adriel n'avait jamais été un diplomate, ni particulièrement empathique, et il s'en voulait presque, à cet instant, d'avoir évoqué les accords "commerciaux" qui pourraient avoir lieu la concernant entre les deux îles. Car ce n'était jamais que cela, ces fameuses alliances maritales entre les grands de ce monde. De vulgaires accords commerciaux où les êtres humains étaient traités comme de la marchandise. Ou pire, comme des avatars de bons sentiments. Des victimes sacrificiels sur l'autel des relations Archipeliennes. La masse glacée au fond de son ventre se réchauffait peu à peu alors qu'il s'énervait seul sur les injustices de ce monde. C'était absurde et il savait qu'il n'y pouvait rien changer, mais la simple idée qu'une personne qu'il commençait à apprécier pût subir un tel sort lui retournait simplement le cœur. D'autant plus lorsque cela signifiait offrir quelqu'un en pâture à Anselme... Ce n'était jamais pour les bonnes raisons qu'il était désigné comme doublure, vraiment.
Il réprima un sursaut à cette simple idée. Pourquoi donc s'en inquiétait-il autant? Ce n'était pas comme s'il avait un intérêt quelconque pour cette jeune femme, aussi séduisante soit-elle aux yeux d'autres hommes. Il était, de façon dérangeante, bien trop honnête avec lui-même pour ne serait-ce qu'envisager chose pareille. Les femmes étaient un... passe-temps social obligatoire lorsqu'il était Anselme, et non pas un plaisir en elles-mêmes. Et une compagnie désagréable de façon générale. Sauf qu'elle mettait à mal cette théorie. Il était loin d'être aussi repoussé qu'il le devrait par l'idée de discuter avec elle. Et bien plus mal à l'aise à celle qu'elle souffre d'être mariée à quelqu'un comme son propre frère.
Il expira un "ah" mental à cette pensée. Voilà où était le problème, et probablement la solution. Son frère. A elle, pas le sien. Samaël adorait littéralement sa sœur, et Adriel avait plus d'une fois l'occasion de le constater, bien que cela lui fit mal de se rendre compte que sa propre famille n'était en rien le standard, mais plutôt une sorte d'anomalie dysfonctionnelle. Comme lui. Une monstruosité qui n'aurait même pas dû exister, et qui pourtant avait été acceptée par des êtres exceptionnels tels qu'il n'en rencontrerait probablement plus jamais. Car il était réaliste, un peu trop parfois, et au détriment de son propre bien-être peut-être. Si toute cette histoire finissait comme il était logique et normal qu'elle le fasse, il n'aurait plus aucune occasion de vivre cette mélasse rassurante dans laquelle il flottait gaiement pour l'instant. Il n'aimait pas l'idée, mais il ne referait pas le monde...
Et pourtant, il se disait qu'il avait peut-être la possibilité, rien qu'un espoir ténu et presque inexistant, de lui faciliter la vie d'une autre façon. Si -et il espérait avoir tort- s'il ne pouvait l'aider, il pourrait alléger sa charge en prenant sur lui le sort de cette jeune âme. Sa résolution prise, il continua à fermer les yeux et se laissa emporter par la musique, qui s'accordait en cet instant avec cette impression d'accomplissement qui contredisait tant celle de finitude qui avait accompagné son réveil. Son toucher sur le clavier du piano était délicat, et les émotions qu'elle véhiculait, qu'elle partageait avec lui étaient, lui semblait-il, sincères. Il n'avait pas eu tort, finalement, il était difficile de ne pas exposer son âme lorsque l'on jouait, à moins de n'être rien de plus qu'un mécanisme semblable à une horloge, pratique, parfois magnifique, mais jamais grandiose, et moins encore touchant. Un sourire naquit sur ses lèvres, conséquence directe de son jeu. Un sourire plus doux, plus innocent, qui lui aurait véritablement donné son âge, s'il n'avait porté ce contraignant carcan de cuir.
Il ne doutait pas que les images que cette mélodie évoquaient pour lui étaient bien différentes de ce qu'elles étaient pour elle, ou même qu'elles auraient pu ne pas paraître joyeuses à ses yeux, mais elles représentaient sa vie. Les rayons de soleil matinaux frappant la neige de leurs obliques rayons rosés un matin d'hiver, l'obstination implacable de la mer s'écrasant sur les parois d'une falaise, la vision magnifique d'une forêt en plein éveil, la caresse du vent dans les feuilles, le courage d'un bourgeon perçant la coquille glacée de la saison froide, promesse d'un printemps à venir, la sensation délicieuse de bras rassurants autour de lui, la vision sublime d'une terre défilant sous les ailes d'un Griffo. Un frisson le parcourut lorsque la musique s'interrompit, et il ne releva pas immédiatement la tête, les yeux toujours clos, savourant encore ces quelques instants de rêverie qui l'avaient enchanté. Le sourire n'avait pas quitté son visage lorsqu'il croisa le regard de la jeune femme, et il resta en place lorsqu'il s'avança vers elle, pour prendre délicatement une de ses mains entre les siennes, la portant à son front en une étrange révérence.
Il se releva ensuite, laissant s'échapper doucement l'instrument qui l'avait aidé à sortir de son cauchemar, et reprit d'une voix douce mais toujours si peu audible:
"Merci, Damoiselle Delenol, c'était un instant véritablement... magique. Votre frère n'avait pas menti, de cela vous pouvez être certaine."
Il plissa les yeux quelques instants, semblant en pleine réflexion, la tête légèrement penchée sur le côté, en cette mimique ridicule qu'il n'avait jamais su gommer, avant de finalement lui offrir un petit air gêné:
"J'ai peur que ne soyons pas sur un pied d'égalité. Non seulement sur le plan artistique, mais surtout conventionnel. Si je n'ai aucun doute sur votre identité, j'ai bien peur que la réciproque ne soit pas nécessairement vraie. Je suis la Secrétaire envoyé par Épieux pour seconder S... Messire Delenol le temps de sa blessure, en réparation du dommage qui lui fut causé pendant le Festival. Je me nomme Adriel Gaudar, mais je vous en prie, appelez-moi Adriel..."
Il s'en voulait, en quelque sorte, de devoir lui mentir sur son identité. Il n'était pas un Gaudar, et n'aurait pas voulu en être. La famille de sa mère... Il appréciait Shaï, mais il n'aurait pas pour autant désiré être son frère. Pourtant, cette parenté présumée, plus encore que celle véritable pourrait... Il lui jeta un regard légèrement calculateur, se demandant un instant à quel point il pouvait véritablement s'avancer. Il fronça les sourcils une fraction de seconde, avant de s'agenouiller à côté d'elle, plus décidé et moins diplomate qu'il l'avait jamais été, plus résolu qu'il n'aurait osé l'être si elle n'avait pas été si... sensiblement semblable, lui paraissait-il, dans sa délicatesse.
"Le sujet est délicat, Damoiselle Delenol, mais bien que je n'ai pas encore été abordé par votre Mère... par la Doyenne... à ce sujet, je ne doute pas de l'être bientôt. Et si je ne le suis pas, le Doyen Alemel le sera certainement. Elle cherchera, et cela est bien compréhensible, à renforcer sa position par tous les moyens. Cependant, si une alliance vous était impo... proposée avec Anselme Alemel... Je ne vous dirai pas de fuir, cela est impossible, j'en suis conscient. Mais si cette perspective vous rebute, parlez-m'en. Je n'ai peut-être pas grand pouvoir, mais je suis un membre de la famille, peut-être serais-je entendu..."
Il se redressa et, avec l'air probablement le moins chevaleresque qui eut jamais été porté, lui adressa la proposition finale à laquelle il se résolvait finalement, non seulement pour elle, mais aussi, et surtout, pour Samaël.
"Si Shaï Gaudar est assez bien pour l'héritière d'Îleglace, je pense pouvoir être une alternative acceptable pour la sœur, ou la fille, d'un Doyen..."
Il s'avançait, il en avait conscience, tout en n'étant pas aussi clair qu'il l'aurait pu. Et ce ne fut qu'à ce moment-là qu'il se dit que, peut-être, ses paroles pourraient être mal interprétées. Comme un intérêt pour sa personne, celui d'un homme pour une femme... Il entrouvrit la bouche, prêt à rétablir une vérité, avant de la refermer. Il n'était peut-être pas compréhensif, ou compatissant, mais il savait la douleur d'être repoussé, rejeté, nié dans son existence, et ne souhaitait pas lui faire cela, pas s'il y avait un autre moyen de se faire comprendre, et surtout, pas immédiatement. Et puis, après tout, il la connaissait depuis si peu de temps... Il ne devrait pas y avoir de souci, n'était-il pas? *Bienheureux les ignorants, et les stupides... Et pourtant, le bonheur semble si loin, parfois...* |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 26/10/2014, 19:06 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Le masque qu’il portait me dissimulait en bonne partie les expressions de son visage, mais je pouvais néanmoins aisément remarquer le sourire qui flottait sur ses lèvres, qui me fit plaisir autant qu’il me rassura quant à l’opinion qu’il avait pu former concernant ce que je venais de lui jouer. J’appréciais, tout comme lui me semblait-il, le silence qui flottait désormais, portant l’écho des dernières notes éteintes. Je me sentis rougir légèrement lorsqu’il prit ma main pour la porter à son front, ne m’attendant aucunement à un tel hommage, mais ce ne fut rien comparé à la chaleur qui envahit mon visage lorsqu’il brisa le silence et reprit la parole. Le compliment en lui-même me flattait bien plus que je n’aurais su le dire, mais au-delà de cela, j’étais surtout touchée par cette impression qu’il me donnait d’avoir fait une différence, d’avoir su, peut-être, éclairer par ma musique une humeur qui semblait aussi sombre que la mienne à mon arrivée, alléger ce fardeau dont j’ignorais tout mais que je devinais peser sur ses épaules. Embarrassée au-delà des mots, je restais muette, incapable de trouver que répondre à ses si charmantes paroles ou même de le remercier convenablement. À nouveau il vint à ma rescousse, enchaînant sur un sujet qui me serait plus aisé alors qu’il se présentait, avec force circonlocutions. Je sentis la chaleur refluer quelque peu de mes joues alors que je lui adressai un sourire bienveillant avant de répondre d’une voix douce, légèrement teintée d’amusement et sans doute pas tout à fait débarrassée de la gêne qui m’avait saisie. « Je sais que j’ai pour réputation de vivre recluse dans ma bibliothèque et ma salle de musique, mais tout de même pas au point d’ignorer l’identité des invités qui logent en ma demeure. Mais je ne vous en remercie pas moins d’avoir pris cette peine. Je vous aurais volontiers rendu la politesse, mais c’est de toute évidence inutile. Toutefois, si vous me permettez de vous appeler par votre prénom, il ne me semble que justice que puissiez en faire de même. »
De fait, j’avais toujours trouvé ces “Demoiselle Delenol” fort pompeux, et me satisfaisais fort bien que l’on m’appelât simplement Iliahys. Je doutais toutefois qu’il se le permettrait malgré mon invitation, ce qui me chagrinait quelque peu. Je ne m’estimais aucunement supérieure à lui, quoi que lui-même semblât convaincu du contraire, au prétexte que j’étais née fille de Doyen. Je ne lui fis bien sûr pas part de tout cela, ne souhaitant pas le mettre mal à l’aise, ou pire, le blesser. Lui-même semblait d’ailleurs pris dans des réflexions fort sérieuses, que je ne me serais pas permise d’interrompre, bien que je fusse fort curieuse de savoir ce qui pouvait lui occuper l’esprit ainsi. Je fronçai légèrement les sourcils lorsqu’il s’agenouilla à mon côté, sans nulle trace de réprobation mais simplement surprise et intriguée par ce geste. Je le fus que d’autant plus lorsqu’il reprit la parole, et mon appréhension grandit à chaque mot qu’il prononçait. Tout d’abord, ce ne fut que le sujet en lui-même, qui ne manquait jamais de me mettre mal à l’aise, mais bien vite mon angoisse se fit plus précise. Avais-je donc été si transparente dans le dégoût que m’inspirait l’idée d’épouser l’héritier d’Épieux ? Voilà qui était on ne peut plus inquiétant, non seulement pour moi et mes sombres secrets, mais surtout pour ma famille, à qui j’aurais fort bien pu faire courir le risque d’un incident diplomatique si j’avais témoigné de cet élan devant la mauvaise personne. N’était-ce pas le cas d’ailleurs ? Adriel n’était-il pas simplement en train de me tester pour me faire dire ce que je pensais réellement de son cousin ? Non, c’était parfaitement idiot. Je ne le connaissais certes que fort peu, mais il ne me faisait nullement l’effet d’un intrigant de la sorte. Et puis la réalité de ce qu’il était en train de me proposer me frappa comme une gifle, chassant toute autre considération de mon esprit. Avais-je bien compris ? Était-il réellement en train de suggérer ce que je croyais ? Mes pensées tournoyaient dans mon esprit, et je me retrouvais à le fixer d’un regard ébahi, sans pouvoir réagir. Pourquoi ? La possibilité qu’il s’agît d’un élan romantique ne m’effleura pas même l’esprit. Je ne me faisais guère d’illusions quant à ma personne : je n’étais sans doute pas laide, mais pas non plus le genre de femme à faire tourner la tête des hommes. Ce qui au demeurant me convenait fort bien. Je ne m’imaginais pas non plus l’avoir simplement séduit par mon talent au piano. Le désir d’élévation sociale, ou encore la jalousie envers le fiancé à l’Héritière d’Îleglace ne me semblaient pas des motifs plus plausibles. En d’autres circonstances, venant d’un autre, sans doute les eussé-je considérés, mais lui… Non, c’était tout bonnement trop éloigné de l’image qu’il m’avait donnée pendant les quelques minutes où je l’avais côtoyé. Alors quoi ? Avait-il simplement eu pitié de moi ? Lui avais-je semblé à ce point en détresse, pour qu’il me proposât cette folle alternative ? Mais après tout, quelle importance ? Deux jeunes gens discutant d’un éventuel mariage, sans même que leurs parents eussent été consultés, c’était parfaitement inconvenant. Mon éducation stricte revenait au galop alors que je retrouvais petit à petit mes esprits, aussi finis-je par reprendre la parole, hésitante, après de longues secondes de silence stupéfait.
« Je ne… »
Réalisant que je bafouillais lamentablement, à peine capable d’aligner deux mots, je m’interrompis. Et le tourbillon de mes pensées en profita pour se remettre en route. Avais-je vraiment envie de le refuser ? De le renvoyer à Mère, pour qu’elle puisse décider de mon destin sans prendre la peine de me consulter ? Lui l’avait fait. Par sa demande, aussi peu orthodoxe fût-elle, il me consultait. Peut-être pour la première fois, quelqu’un se souciait de mon avis sur ce sujet. Plus encore, de mes sentiments… Allais-je donc refuser la proposition sans même la considérer, au prétexte fallacieux que “cela ne se faisait pas” ? Il lui avait indéniablement fallu rassembler un courage et une audace certains pour me faire cette offre, alors même qu’il osait à peine me regarder dans les yeux quelques minutes plus tôt. Ne lui devais-je pas d’en faire autant, pour une fois dans ma vie ? Il m’offrait une chance d’échapper à une vie que je ne pouvais imaginer que misérable, voulais-je vraiment la laisser passer ? Je ne me soustrairais pas un mariage, je l’avais toujours su. Mais ces quelques minutes passées en sa compagnie me rendaient la perspective bien moins terrifiante qu’elle n’avait pu l’être jusqu’alors… Je secouai légèrement la tête pour finir rassembler mes esprits et posai sur lui un regard plus doux, mais aussi plus déterminé. Je parvins même à lui ébaucher un sourire alors que je repris la parole pour exprimer des propos qui n’avaient plus rien à voir avec mon intention première. Je parlais lentement, cherchant encore mes mots, mais d’une voix presque assurée.
« Je ne voudrais bien sûr pas paraître ingrate, ni manquer d’aucune façon de respect à votre cousin… Mais je dois reconnaître que, si le choix m’était donné, vous me sembleriez effectivement une “alternative” plus qu’acceptable… »
Des précautions oratoires sans doute bien inutiles, devant lui qui avait si bien su lire en moi, mais dont je n’étais pas parvenue à me passer. Je découvrais qu’une éducation d’une vie entière ne s’envoyait pas aux orties si facilement. J’avais presque l’impression de l’insulter en le qualifiant “d’alternative acceptable”, mais ce n’étaient là que ses propres mots, et j’espérais qu’il saurait entendre que je voyais en lui bien plus que cela. Bien plus, oui, mais était-ce assez ? Je l’appréciais oui, peut-être plus que je ne pourrais jamais apprécier aucun homme… Mais je ne pourrais jamais lui offrir davantage que cela. Je le savais, mais lui non. Le fait que je ne désirasse pas me marier n’était un secret pour personne, et sans doute lui-même en avait-il entendu parler. Aux yeux de tout le monde, j’aimais davantage les livres que les gens. Ce qui n’était sans doute pas faux, mais était bien loin de la vérité. Cette excuse m’avait jusqu’alors semblé bien pratique pour dissimuler mes réelles raisons, celles que je tenais à ce que le monde ignore. Mais pouvais-je continuer à mentir à cet homme qui m’offrait rien moins que sa vie, sans avoir la moindre idée de ce dans quoi il s’engageait ? Je détournai les yeux avant de reprendre la parole, la voix à nouveau hésitante.
« Toutefois… C’est un grand sacrifice que vous me proposez là. Réalisant que mes paroles pouvaient porter à confusion, je précisai ma pensée avant de continuer. Pour vous, j’entends. Plus grand sans doute que vous ne l’imaginez… Et si je suis sincère, je ne crois pas le mériter. Je ne voudrais pas que vous ayez à regretter la charité dont vous faites preuve à mon égard en me faisant cette proposition… »
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 26/10/2014, 20:14 | |
| Il avait envie de s'enfoncer dans un trou de souris ou de se frapper la tête contre un mur jusqu'à ce que ce qui lui servait de cerveau ne s'en échappe. Il avait certainement songé à de multiples réactions possibles, mais absolument pas au choc qu'il lisait à présent dans ses yeux. Il connaissait ce regard, l'avait croisé une fois de trop sur le visage de sa mère. Celui qui signifiait "Quelle est cette abomination qui m'a approché?" et auquel succédait le dégoût pur et intense qui l'avait accompagné toute son enfance. Non qu'il fût terriblement vieux, marquant six années de moins que la jeune femme à qui il avait demandé la main avec tant de témérité et si peu de préparation. Et surtout, des sentiments plus qu'ambigus et malhonnêtes.
Il en était douloureusement conscient, désormais qu'il y réfléchissait. Il n'avait pensé ni à ses véritables motivations, ni aux conséquences de ses actes. Motifs inavouables s'il en était, par ailleurs... Même à lui-même, malgré sa franchise habituelle. Pourtant, les conséquences pouvaient être bien pires. Et si lui prenait l'envie d'aller parler de cela à Samaël? Qu'en penserait-il? Non, il peinait à imaginer chose pareille. Et pourtant, il ne la connaissait pas, en définitive, et surtout elle ignorait tout de ce qui le liait véritablement à son frère. Fort heureusement, ou le dégoût serait très certainement arrivé plus tôt qu'à la suite de cette demande incongrue. Quoiqu'il devait être sincère, il ne l'apercevait pas encore dans ses prunelles émeraudes caractéristiques de la famille, apparemment. Il n'en revenait toujours pas d'oser croiser ce regard. Et pourtant, il lui devait au moins cela, après cette sortie on ne pouvait moins triomphale.
Son choc devint incrédulité, et il dissimula une grimace. Le tact n'était pas de ses attributions, et il n'était qu'un bureaucrate. Il y aurait eu des centaines de façons d'aborder la situation avec plus de doigté, mais il se surprenait, ces derniers temps, à agir avec plus de spontanéité qu'il l'avait jamais fait, libéré d'une partie de ses chaînes dans la plénitude que lui offrait sa relation naissante avec Samaël. Il l'aimait, quelle que fut l'horreur que cette idée engendrait, et ce sentiment-même était une force qui le poussait à être plus que lui-même. Comme en cet instant, et quels qu'en soient les résultats, de toute évidence. Il aurait dû apporter ça plus en douceur, par des lettres, planifier son action, donner un glaçage officiel à cette mascarade... Au lieu de cela, il l'avait entraînée sur un terrain inconfortable et inconvenant. Aucun enfant bien né et élevé comme elle avait dû l'être n'aurait osé discuter de ces sujets hors de la surveillance étouffante de ses parents, évoquer cette idée seul et loin de tout imbroglio politique.
Il n'avait voulu que lui offrir une possibilité, une alternative, comme il s'était lui-même qualifié, mais ce qu'il sentit dans ses premiers mots fut un simple outrage. Il s'était senti baisser la tête et les yeux, se crisper comme en l'attente d'un coup en l'entendant. Il n'aurait pu lutter contre cet instinct qui, incidemment, lui soufflait qu'il n'aurait même pas été considéré, quand bien même elle aurait eu le choix. Pourtant, elle s'arrêta. Il ne releva pas la tête, trop effrayé, soudainement, par ce qu'il avait déchaîné sans y réfléchir, concentré qu'il avait été sur l'utopie d'un décision véritable qui aurait pu être offerte à Iliahys Delenol.
Il aperçut du coin de l’œil le mouvement négatif de sa tête, et il prit sur lui de dissimuler la misère profonde qui l'avait saisi. Il avait cru la comprendre, aussi étonnant que ce pût être. Il la souillait en la pensant semblable à lui, il en était conscient, et pourtant... La sensation rassurante qu'avait insinué en lui la beauté de son jeu avait disparu, laissant place à la froideur glacée de la certitude de son infériorité et de son inutilité. Il ne se satisfaisait pas d'avoir essayé, pas quand il savait ce qui adviendrait d'elle si ce qu'il craignait se réalisait véritablement.
Quand elle reprit la parole, pourtant, il sentit le choc s'inscrire sur son propre visage, et il la fixa avec intensité, incertain de son sérieux. Elle avait... accepté. Il n'avait fait que lancer un hameçon en espérant toucher une corde sensible, quelque part, lui faire comprendre qu'existait une alternative, et ne voulait en rien la contraindre à lui répondre dans l'immédiat. Bien que ses premières dénégations l'eurent blessé plus qu'il ne l'aurait admis, à elle ou à qui que ce fut d'autre. Il remua sous l'inconfort de la sensation d'un nid de serpent retombant en hibernation au plus profond de lui, leur sifflement disparaissant à ses oreilles, précurseurs d'un désastre annoncé. Il n'était pas d'ordinaire téméraire, mais il savait que pour une personne comme elle, il aurait été prêt à sacrifier beaucoup.
Il ne put d'ailleurs s'empêcher de rougir violemment sous son sourire. Il n'était pas gêné parce qu'elle le regardait, mais parce qu'elle le considérait effectivement comme "acceptable". C'était assez rare pour qu'il en fût honteusement heureux. Il baissa fugacement le regard, embarrassé, image vibrante de sa jeunesse, en cet instant. Lorsqu'elle détourna les yeux, il haussa un sourcil, surpris, et l'écouta avec d'autant plus d'attention. Il avait l'impression de la comprendre, véritablement. Et il n'aimait pas cela. Il n'aurait pas dû en être capable. Il n'était pas porté sur l'empathie et n'avait guère connu de moments joyeux dans sa vie. Cette simple réalisation le fit éclater de rire. Il semblait n'y avoir jamais eu son plus déchirant que ce rire-ci, pourtant. Nul humour ne le réchauffait, rien qu'une ironie brûlante et un désespoir profond.
Il se calma en quelques secondes à peine, s'approchant pour effleurer sa pommette du revers de la main, sa voix basse terrible dans sa tendresse et sa solitude:
"Vous lui ressemblez tellement, Iliahys... Dans votre honnêteté et votre dévouement, quitte à piétiner votre âme pour être ce qu'il faut lorsque d'autres en ont besoin..."
C'était véritablement douloureux, en un sens. D'imaginer qu'elle se sentît inférieure à un être comme lui, indigne d'un sacrifice qu'il n'avait même pas conscience d'accomplir. Il lui adressa un regard choqué en se rendant compte de son geste, refermant sa main et s'éloignant d'un pas précipité, la bouche entrouverte, prêt à se justifier sur ce geste qu'il n'aurait jamais dû se permettre. Il expira lentement, fixant le poing serré à s'en faire blanchir les jointures et qui conservait encore un peu de cette chaleur humaine. Elle avait beau lui avoir donné l'autorisation de l'appeler par son prénom, ce n'en était pas moins inconvenant, et il lui devait certainement une quantité considérable d'explications qu'il n'avait pas le courage de fournir. Quel intérêt de la blesser en lui disant qu'il faisait cela par amour pour son frère? S'il pouvait s'épargner le rejet, et l'empêcher de se sentir comme un ersatz de ce qu'il ne pouvait conserver...
Il se contenta donc de la regarder, de lui sourire. Il aurait pu être calculateur, être commerçant, lui offrir des explications plausibles. Il se contenta d'être Adriel, celui qui se sentait seul, terrifié et minable, incapable, incompétent. Il ne voulait pas lui mentir, si cette proposition devait se concrétiser un jour. Il n'était pas assez cruel pour cela, pas encore...
"J'aime parfois à penser qu'il est des gens comme moi, dans ce monde. Qui croient n'être pas à la hauteur et ne pas mériter l'attention qui leur est accordée. Puis je me dis que c'est une chose mesquine et cruelle à souhaiter... Je ne crois pas détenir la plus mauvaise partie de ce marché, et craint les surprises que vous rencontreriez si cela devait être. Ma famille est... loin d'être aussi aimante et harmonieuse que la vôtre, quand bien même vous vous disputeriez parfois. Et mon métier m'amène à bien souvent voyager, à travailler de longues heures, de jour comme de nuit."
Il glissa la main sur le bois chaud du piano, observant ses doigts fins et tachés à jamais d'encre, se demandant jusqu'où il devait s'avancer, ce qu'il pouvait réellement lui dire... Il soupira lourdement, comme vaincu, et sa voix était un murmure grave lorsqu'il reprit, sans oser toutefois la regarder, luttant sans y songer contre la rougeur que l'inconvenance de ses prochaines paroles faisait naître sous la cuir du masque, clairement visible dans la teinte cramoisie de ses oreilles:
"Je n'ai pas... d'exigences de cet ordre, et ne vous imposerai rien... Ce n'est pas... Je ne... Je... Pour autant que cela me concerne, une alliance a-ab-a... ch-chaste me c-convient pa-parfaitement..."
Il n'en revenait toujours pas d'avoir dit une chose pareille! Il n'avait pu s'empêcher de lui tourner le dos. Elle ne parlait probablement même pas de cela, alors pourquoi, par Hygérie, l'avait-il évoqué? Avait-il définitivement perdu l'esprit? Ce devait être cela. Il ne prit même pas conscience du léger tremblement qui le secouait alors que l'horreur de ses dernières déclarations s'imprimait véritablement dans son esprit, et qu'il plongeait son visage déjà dissimulé dans ses mains, comme s'il avait pu disparaître en cet instant. Il n'osait même pas imaginé la façon dont elle pourrait prendre pareille déclaration... Quoiqu'il fut de notoriété publique que le Secrétaire d’Épieux portât un masque suite à un accident l'ayant défiguré... Crispé dans l'attente incertaine d'un mot ou d'une violence à son encontre, il demeura figé là, les yeux écarquillés, fixés sur le sol qu'il entrevoyait entre ses doigts écartés. *Par Hygérie, Adriel, tu as définitivement basculé dans un monde de folie! L'abîme n'a jamais été aussi proche...* Ses paupières se fermèrent brutalement au son du rire extatique qui retentit sous son crâne... |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 27/10/2014, 18:25 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Je ne saurais dire à quel genre de réaction je m’attendais après cet aveu à mots couverts, mais certainement pas à ce qu’il se mît à rire, me prenant parfaitement au dépourvu. Il n’avait rien de joyeux pourtant, tout au contraire, c’était un son amer, désespéré, presque hystérique, et mon cœur se serra face à cette peine que je devinais sans en connaître rien. Le geste qu’il eut ensuite me surprit, sans toutefois me faire sursauter comme j’en avais pourtant la pénible habitude. Déconcertant sans nul doute, et pourtant je m’étonnais à ne rien trouver de désagréable à ce contact, qui au contraire me semblait apaisant, rassurant. Les paroles qu’il prononça ensuite l’étaient également, bien que je ne pusse les accepter comme vraies. Sincères, je n’en doutais pas une seule seconde, et pourtant bien plus mensongères qu’il n’aurait pu l’imaginer. Il parlait de mon frère c’était manifeste, je le reconnaissais dans ses mots, et ne pouvais que sourire doucement devant cette tendresse inattendue, et pourtant bienvenue, qu’il manifestait à son égard, et rougir doucement à cette comparaison ô combien flatteuse, mais dont je me savais n’être pas digne. Il voyait en Samaël des choses si vraies, et que pourtant le reste du monde ignorait, et j’en étais heureuse, mais il se trompait en pensant que je lui ressemblais. Je n’avais ni sa force ni son courage, ni même cette noblesse d’âme qu’il évoquait. Je n’étais qu’une pauvre petite chose terrifiée, blessée uniquement par ses propres fautes et faiblesses, qui se contentait de faire de son mieux pour dissimuler au monde ses failles… Mais comment le lui faire comprendre ? Je ne sus si ce fut mon silence qui l’induisit en erreur ou même le blessa, ou simplement la réalisation du geste qu’il avait eu à mon égard qui le choqua, toujours est-il qu’il retira vivement sa main, comme s’il avait été soudainement mordu par un serpent. J’aurais voulu le retenir, mais le courage me manqua une seconde, comme il le faisait toujours, et l’instant d’après il était trop tard. Je ne pouvais plus que le regarder se fustiger moralement, essayant de lui faire comprendre d’un regard et d’un maigre sourire qu’il n’y avait pas lieu, qu’aucune offense n’avait été commise, que je ne valais pas la peine de se mettre dans de tels états… Ses paroles suivantes, en revanche, trouvèrent un écho en moi. L’impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas mériter d’attention… Était-ce de là que venait cette sensation de compréhension, de ressemblance et de proximité que je croyais sentir entre nous ? Je savais ce que j’avais fait, moi, pour me sentir de la sorte. Mais lui ? Quelle pouvait être cette si grande faute qui semblait lui faire croire que le reste du monde valait mieux que lui ? Je ne pouvais le lui demander bien sûr, et pourtant j’aurais aimé savoir. Pour le rassurer, trouver les mots pour lui dire qu’il méritait mieux que ce qu’il pensait. Peut-être aussi, plus égoïstement, pour me sentir moins seule dans mon imperfection, aussi cruel que cela pût être… La suite de ses propos, toutefois, me tira un haussement de sourcils dubitatif. Aimante et harmonieuse ? Quels étranges qualificatifs pour désigner ma famille, et je me surpris à penser que Samaël ne s’était peut-être pas confié à lui autant que je l’avais cru. Il y avait de l’amour et de l’harmonie bien sûr… Parfois. En partie. Mais n’avait-il donc pas entendu parler de cette guerre larvée entre Samaël et Lestat, de la virulence des désaccords constants entre Mère et son aîné, de ce Père qui ne fut pour ses trois plus jeunes enfants guère plus qu’une figure distante et lointaine, et pour son Héritier…Je préférais ne pas même y penser. Je laissai échapper quelques notes d’un rire triste tout en plantant mon regard dans le sien, et répondis d’une voix désabusée, et pourtant étrangement sincère. « Je pense pouvoir surmonter cela… »
Après tout, même si sa famille était effectivement aussi terrible qu’il semblait le sous-entendre, je doutais fort qu’elle me serait plus pénible en tant que son épouse que si j’étais celle de son cousin, d’autant que j’avais pour habitude de m’isoler dans mes livres et ma musique. Et, pour une femme qui n’en souhaitait de toute façon pas, un mari souvent absent ou occupé n’était-il pas le meilleur qu’elle pût souhaiter ? Quoi que dans son cas particulier, unique sans doute, sa compagnie ne faisait pas partie des choses que je redoutais. Il me surprit d’ailleurs à nouveau en évoquant l’objet même de mes craintes, ce qui me fit rougir furieusement. Je n’étais pas choquée pourtant, à mon propre étonnement, simplement… gênée par ce sujet que je n’avais à peu près jamais abordé. Lui-même paraissait d’ailleurs tout aussi incommodé, à en croire les nombreux bégaiements qui ponctuèrent sa tirade. À nouveau, il se mettait dans l’embarras par prévenance à mon égard. Et encore une fois d’une façon qui s’avérait honteusement rassurante et tout à fait effrayante. Avais-je été, une fois de plus, à ce point transparente ? Avait-il su deviner dans mes propos sibyllins le trouble qui m’agitait ? Non impossible. Si tel avait été, il n’aurait pas eu ce geste à mon égard un peu plus tôt, cette douceur dans son regard, cette tendresse dans sa voix. Au mieux aurait-il purement et simplement fui la pièce aussi rapidement que possible, au pire… Mieux valait ne pas y penser. Peut-être avait-il compris mes craintes, mais à tout le moins pas leur raison. Je laissai échapper, bien malgré moi, un soupir de soulagement et murmurai à mi-voix, avant de m’en rendre compte :
« Je n’en espérais pas tant… »
Je fus presque horrifiée de réaliser que ces mots avaient quitté mes lèvres, au lieu de rester sagement enfermés à leur place au fond de mon esprit insane. Ils en disaient bien plus que je ne l’aurais voulu à mon propos, mais je craignais également qu’Adriel n’en fût blessé, qu’il ne les prît pour lui, croyant que c’était sa personne qui me répugnait. Il n’en était rien bien sûr, mais il m’était tout autant impossible de le lui expliquer sans dévoiler mes perversions… Ce qui était tout à fait au-dessus de mes forces. Je ne pouvais donc rien faire de mieux que laisser filer, espérant qu’il n’ait tout simplement pas entendu de là où il se tenait. Encore que… Une impulsion me prit, bien étrange et fort contraire à mon tempérament timide et effacé, mais qui me parut susceptible d’effacer l’impression que mes dernières paroles lui avaient peut-être laissée, et la distance gênée qui s’était installée entre nous depuis son éloignement horrifié. En tous les cas c’était, me semblait-il, quelque chose que je devais faire. Aussi évitais-je pour une fois d’y réfléchir et me contentai-je de me lever et m’approcher doucement pour venir effleurer de mes lèvres la joue que son masque de cuir laissait libre, en un baiser chaste mais tendre dont j’espérais qu’il ne s’offusquerait pas, ni ne se méprendrait à son propos, avant de lui glisser dans un souffle un simple mot :
« Merci. »
C’était bien peu, en regard de tout ce qu’il venait de m’offrir et de faire pour moi, peut-être sans tout à fait s’en rendre compte, mais je n’étais guère en état d’exprimer toute la gratitude que je ressentais pour lui de façon plus appropriée. Je n’étais d’ailleurs pas certaine qu’il existât des mots aptes à en rendre compte… Je m’étais reculée de deux pas, afin de ne pas donner l’impression d’envahir son espace, et de lui laisser l’occasion de s’écarter si mon geste l’avait dérangé. Cette conversation nous avait de toute évidence mis tous deux les nerfs à fleur de peau, et il me semblait prudent de, peut-être, la laisser de côté pour l’instant, afin de nous permettre de nous remettre de nos émotions. Ce fut la musique qui me vint tout naturellement à l’esprit pour offrir une diversion. J’affichai un petit sourire timide et lançait d’une voix douce mais qui manquait d’assurance, quelque peu embarrassée par ma propre audace, à la fois celle dont je venais de faire preuve, et celle de la requête que je formulai :
« Je n’ai toujours pas eu l’heur d’entendre ce talent que vous décriez si volontiers. Accepteriez-vous de me laisser en juger par moi-même ? Si toutefois vous vous sentez… d’humeur, bien entendu. Je ne voudrais pas que vous vous sentiez contraint à quoi que ce soit. »
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 29/10/2014, 11:49 | |
| Il n'avait pas flanché à son petit rire. Triste il était, comme le sien, peut-être, un peu moins hystérique, peut-être, un peu moins... détruit. Il était conscient d'avoir légèrement exagéré en parlant de famille harmonieuse, non dans un souci de la flatter, car il avait, semblait-il, dépassé ce stade depuis longtemps. Non, plutôt pour lui faire prendre conscience, avec une licence poétique qu'il ne se connaissait pas, qu'à ses yeux, leur famille était tout cela. Les secrets sournoisement exposés, les pressions psychologiques, l'abandon total, la violence à peine rentrée, la guerre larvée née d'une jalousie qui n'aurait jamais dû exister entre deux êtres si semblables et si différents... Nulle trace d'amour, nulle trace d'intérêt. Peut-être de fierté, entre Anton et Anselme, quoique ce fut difficile d'en être certain. Et plus qu'un peu de débauche également. Quoiqu'à son grand regret, il y en ait eu plus que sa part dans la vie de Samaël également.
Il comprenait, cependant, qu'elle ne vit pas le point qu'il souhaitait révéler. Obscur et incompréhensible. Mystérieux, lui avait-on dit une fois. Cela l'aurait fait rire, pour un peu qu'il l'ait pu à l'époque. Mais il était des gens qu'il n'osait pas vexer. La question étant plutôt de savoir s'il y avait des gens à qui il aurait osé répondre... Alors qu'il avait parfois le plus grand mal à regarder dans les yeux sa propre Escorte... Pathétique petit homme qu'il était. Il ne répondit donc pas à sa remarque, car elle ignorait évidemment qu'elle aurait eu une vie bien plus aisée aux côtés d'Anselme qu'aux siens. Raison pour laquelle il avait ri. Le sacrifice ne serait pas pour lui. Oh, bien entendu, il paierait d'avoir fait ce coup à son Doyen de père, sans doute aucun. Mais il avait l'habitude. Alors que la violence et la perfidie inhérente à certains membres de sa famille, et notamment à elle était sans fin, et sans commune mesure. Et elle ne manquerait pas d'en entendre pour s'être unie à lui. Pourtant, par malhonnêteté ou par découragement, il n'avait pas à cœur de le lui expliquer. Si elle en parlait à Samaël, peut-être le lui dirait-il... Il eut un pincement à cette seule idée, sentant sa gorge se comprimer à l'étouffer. Non, il faudrait que cela aille, qu'il retienne un peu de lui dans cette personne qu'il aimait, quand bien même il ne pourrait plus être sien par la force des choses.
Puis s'en était suivie cette infructueuse tentative pour expliquer que cette alliance n'en était une que pour l'esprit, et qu'il portait bien peu d'intérêt au corps. Il s'était ridiculisé et attendait, honteux, mais n'aurait jamais anticipé sa réponse, non pas outrée, mais soulagée. Profondément soulagée... Il baissa les mains, les croisant devant lui comme à son habitude, partagé entre sa propre part de soulagement et une certaine déception. Non, bien entendu, il n'aurait pas voulu qu'elle se vexe, se drapant dans sa dignité bafouée et le chassant de la pièce d'un orgueilleux geste de la main, non qu'il la vît agir de la sorte, mais il avait déjà suscité ce genre de réaction. Il n'en voulait certes pas à son corps, bien loin de là, n'en déplaise à sa propre morale. Pourtant, il aurait voulu... il ne savait pas. Autre chose que ce rejet pur et simple. Il savait qu'il était réputé pour être horriblement défiguré ce qui, en un sens, n'était pas véritablement faux, puisqu'il portait un visage qui n'était pas le sien, mais il l'avait crue au-dessus de cela. Un sourire lui échappa. Il n'avait pas cherché à se montrer chevaleresque par sa proposition, rien moins qu'honnête et sincère, mais il prenait malgré tout note du manque de reconnaissance que cela entraînait. Il saurait s'en souvenir, certainement...
Lui tournant toujours le dos, il l'entendit approcher, se figeant un peu plus à chaque bruissement de sa simple robe, à chaque effleurement de ses chaussons sur le sol. Il la sentait toute proche, et un souvenir en chassant un autre, il se demanda si, comme tous les autres, elle chercherait avec une curiosité malsaine à savoir ce qu'il y avait sous le masque. Cela, pourtant devrait attendre. Le voile ne se levait que le jour de la cérémonie, après tout. Elle s'approchait encore, et il ne savait plus vraiment à quoi s'attendre, paralysé par son absence d'attente et, en définitive, la frayeur qui ne le gagnait pas. Cela le surprenait finalement plus que l'inverse. Il y avait bien peu de gens dont il n'avait pas peur, non pas à cause de leur présence physique mais de leur pouvoir, de leur charisme, ou de la simple inégalité entre eux. La caresse de ses lèvres sur sa joue nue le surprit plus encore, et il réprima à grand-peine son sursaut, mais pas la crispation certaine qui le saisit. Et qui disparut aussi soudainement que neige au soleil à ce simple mot de remerciement. Il n'estimait pas avoir fait quoi que ce fut qui le méritât, et pourtant, elle était allée au-delà de la réserve polie qui lui avait été inculquée pour faire simplement cela. Il n'en était pas choqué, il était le premier à l'avoir touchée sans son accord. Il ne comprenait juste pas quel désir elle avait pu avoir de faire cela après son exclamation initiale. Pour se faire pardonner? Elle n'avait à s'excuser de rien en ce qui le concernait, mais il n'en était pas moins touché par l'attention...
Pareillement lorsqu'elle s'éloigna, certainement consciente d'envahir son espace intime. Il lui adressa un demi-sourire reconnaissant, sans qu'il sût véritablement s'il était en remerciement de ce mot, de ce geste, ou de cet espace dont elle le laissait jouir. Ou même des paroles suivantes. Il lui semblait qu'ils avaient tous deux forcé leur nature lors de cette discussion, et le seul sujet qu'ils avaient eu en commun avant cela avait été la musique. Elle était intelligente, il n'en avait jamais douté, mais elle avait également beaucoup plus de tact et de diplomatie que lui-même, et cela, il n'en aurait pas mis sa main à couper. Quel besoin avait-elle, en effet, de prendre des pincettes, quand elle avait un nom, une famille, et une île pour l'appuyer? Il ne l'en appréciait que plus, cependant, et il se tourna vers elle avec un sourire quelque peu timide, répondant d'une voix timide et basse, mais enthousiaste:"Je ne joue que rarement devant public, et plus rarement encore sur un piano, donc veuillez excuser mon manque de tact parfois... Cependant, ce serait avec plaisir que je le ferais pour vous, bien que je doute que cela en soit un de m'écouter. D'autant plus que j'ai l'habitude de n'en faire qu'à ma tête et de ne pas suivre les partitions..."Un plissement des yeux appuya un instant son sourire, faisant étinceler leur étrangeté, avant qu'il ne se tourne respectueusement vers l'instrument, l'effleurant amoureusement du bout des doigts, exposant ses mains calleuses, couvertes d'encre et de cicatrices, alors qu'il se dirigeait vers le tabouret dans un froissement de tissus. Ses pieds, pourtant, ne faisaient aucun bruit sur le sol, dans leurs chaussons de brocard. Il s'installa, le regard dans le vague, sans prêter attention à son audience, concentré sur sa posture, droite et fière, et sur le placement délicat sur les touches d'ivoire. La mélodie s'éleva dans l'air immobile, lente, d'abord, évoquant en lui des images délicates de compréhension, d'amitié, d'un homme admirable rencontré dans une clairière, la lutte ensuite, le déchirement, tenter de sortir la tête de l'eau, d'exister malgré les difficultés, les tourments, la beauté à trouver dans chaque instant, dans un bourgeon, dans un lever de soleil, dans une rencontre, parfois. Surmonter la peur, la douleur, l'incertitude, le doute envers soi-même, envers autrui, et vivre, simplement, comme l'attend la Déesse et dans l'attente, surtout, de jours meilleurs peut-être à venir.
Il expira un souffle qu'il n'avait pas conscience d'avoir retenu, perdu qu'il avait été dans les sentiments qui l'avaient transpercé, et c'est la tête basse, comme un cheval épuisé après une course trop intense, qu'il resta, dans l'expectative d'un verdict à venir... |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 31/10/2014, 19:56 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Je le sentis se crisper à mon contact, aussi bref fut-il, et je craignis d’avoir commis un nouvel impair. Venais-je de l’offenser par mon geste ? Ou l’avais-je fait plus tôt ? Avait-il entendu les paroles que mon inconséquence avait laissées échapper et m’en voulait-il désormais ? Cela aurait été bien sûr fort compréhensible… Que ce fût par mon geste ou par mes mots, je m’en voulus à cet instant de l’avoir pu heurter, d’autant que je ne pouvais aucunement jauger de ses émotions dans son expression ou son regard, puisqu’il me tournait toujours le dos. Cela ne dura qu’un instant toutefois, car il se détendit dès que ma voix eut à nouveau franchi mes lèvres dans un nouveau souffle, cette fois entièrement volontaire, et il me sembla que quelque chose, dans l’air ou entre nous, venait de s’apaiser. Je décelai, alors que je m’écartais à nouveau de lui, l’ébauche d’un sourire se dessiner sur ses lèvres qui me fit l’effet d’une acceptation, d’un pardon peut-être de mes maladresses, d’une trêve en quelque sorte. Lorsqu’il se retourna enfin tout à fait vers moi, il semblait aussi soulagé que moi de quitter cette épineuse discussion pour revenir en un terrain plus familier, et moins inquiétant. Le malaise et la tension paraissaient avoir disparu, ne laissant place qu’à cette étrange compréhension qui m’avait réchauffée un peu plus tôt. Je ne saurais dire si je fus davantage surprise par son acceptation de ma requête, ou par l’enthousiasme que je sentis dans sa voix alors qu’il répondait, mais je fus heureuse de l’une comme de l’autre. Je n’avais pas oublié ce qu’il avait dit sur la musique, et le fait qu’il voulût bien jouer pour moi, se dévoiler de cette façon, me parut une concession certaine. Peut-être ne s’agissait-il que d’un retour de politesse, puisque j’avais moi-même accédé à sa requête un peu plus tôt, mais je n’avais pas l’impression qu’il s’y contraignît. Et quand bien même eut-ce été le cas, rien ne l’y obligeait après le comportement dont je venais de faire preuve. Je laissai échapper un petit rire sur ses derniers mots, retrouvant ce sourire qui m’était habituel, que l’on disait doux et bienveillant, mais qui à mes yeux n’était que sincère et naturel. Je lui répliquai avec franchise, en même temps que je m’effaçai pour le laisser accéder au piano : « Il arrive que les doigts sachent mieux que les partitions quelle note a sa place après celle qui vient d’être jouée… »
Je ne cherchai bien évidemment pas à rabaisser la valeur des partitions, ni le talent de leurs auteurs, dont beaucoup étaient des artistes que jamais je n’aurais même rêvé d’égaler. Mais si l’art, désormais figé, de ces compositeurs était sans nul doute inégalable, tout comme la qualité de leurs œuvres, il y avait dans l’improvisation un cœur, une âme, qui manquait parfois à ceux qui se contentaient de suivre des lignes inscrites sur le parchemin. Je m’étais adossée contre le mur, retrouvant plus ou moins la position que j’avais arborée à mon arrivée, entremêlant les doigts de mes mains rassemblées dans mon dos. J’observais un silence respectueux, lui laissant le loisir de se mettre en condition et veillant à ne pas troubler sa concentration. Je fermai les yeux lorsque les premières notes résonnèrent, afin de mieux savourer la musique. Je la trouvais belle, emplie de douceur, et pendant quelques minutes, je ne pensai plus à rien d’autre qu’à ce qu’elle me suggérait. J’y sentais comme un combat. Dénué de violence pourtant, plutôt une sorte de détermination, une volonté d’avancer malgré les obstacles, un espoir, peut-être… Il m’était difficile d’y apposer des mots, en fin de compte, comme si tous n’auraient été que trop réducteurs, incapables de définir précisément ce que les notes évoquaient. J’avais l’impression de la comprendre, toutefois, ou peut-être que c’était elle qui me comprenait… Lorsque le piano se fut, je laissai à mon tour flotter quelques instants de silence, comme Adriel l’avait fait lorsque j’avais joué pour lui, avant de me décider à rouvrir les yeux, humides d’une émotion qui n’avait plus rien de triste ou de sombre, malgré la manière dont la matinée avait commencé, mon sourire toujours ancré sur mes lèvres. Maintenant que mon esprit quittait la musique pour revenir à la réalité, je m’étonnais quelque peu qu’il eût choisi de jouer quelque chose de si doux et de si joli, après le chaos de notre conversation. Cela me semblait approprié pourtant, comme la requête qu’il avait formulée lorsque c’était moi qui avais joué, un moyen de chasser les ombres. Indubitablement, il était plus judicieux que moi dans son choix de mélodies. Lorsque je brisai le silence, je sentis ma voix distante, comme sortie d’un rêve.
« Vous parliez de magie tout à l’heure. Au risque de vous contredire, sur cela au moins, nous voilà sur un pied d’égalité. Encore que je me permette de trouver cette affirmation prétentieuse de ma part. »
Il avait certes, et encore je ne m’en rendais compte qu’après coup, quelques imperfections d’un point de vue technique, un doigté parfois un peu trop lourd, que j’imputais pourtant davantage à un manque de pratique de l’instrument qu’à une réelle faiblesse de son jeu. Mais même celles-ci contribuaient en fin de compte à renforcer l’émotion qu’il transmettait par sa musique. Je n’avais pas reconnu le morceau, ignorant s’il était de son invention ou s’il s’agissait d’une de ces partitions qu’il ne suivait pas, mais cela n’avait guère d’importance. Je m’étais avancée de quelques pas, les mains toujours dans le dos, et attendis de pouvoir plonger mon regard dans le sien avant d’ajouter, avec dans la voix une douceur qui démentait la prétendue autorité de mes mots :
« Si je me prétendais le moindre ascendant sur vous, sans doute vous interdirais-je de dénigrer à nouveau vos talents comme vous l’avez fait tout à l’heure. »
Ce que, bien entendu, il ne me viendrait aucunement à l’idée de me permettre. Mon ton, d’ailleurs, montrait assez bien qu’il ne s’agissait que d’une plaisanterie innocente. Elle contenait un fond de vérité pourtant, en ce qu’il m’attristait de constater la triste image qu’il avait de lui-même, qu’il s’agît de musique aussi bien que du reste, quand les quelques minutes que j’avais passées en sa compagnie me laissaient déjà entrevoir quelle personne admirable et digne d’égards il était. Peut-être est-ce à cause de cela que je me permis d’ajouter, d’un ton légèrement plus sérieux mais toujours quelque peu badin, sans pour autant dissimuler la sincérité de mes propos :
« Et vous le demander comme une faveur me semblerait déloyal. Si bien que je ne puis plus qu’espérer que mon appréciation suffira à vous convaincre de votre erreur de jugement. »
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 2/11/2014, 20:34 | |
| Il s'était attendu à quelque réprimande, éventuellement à un éclat de rire moqueur qui lui aurait confirmé que son talent était, sinon nul, au moins ridicule. Bien entendu, c'était sans prendre en compte la personnalité de la jeune femme, qui n'avait eu de cesse de le surprendre depuis qu'ils avaient commencé à échanger, dans cette rencontre hautement improbable et clairement surréaliste. Le silence qu'elle laissa s'étendre pour lui fut une reconnaissance plus grande encore que si elle avait applaudi des deux mains, comme quelque péronnelle à l'esprit si vide qu'une troupe de saltimbanques y danserait à sa guise. Ses doigts ne quittèrent pas la sécurité réconfortante du clavier bicolore, symphonie d'ivoire et de noir qui se mariaient en une alliance inédite et inattendue, têtes blonde et brunes mélangées… Ses yeux s'écarquillèrent alors qu'il se demandait comment donc son esprit avait bien pu s'engager sur ce chemin alors même qu'il songeait à autre chose entièrement. L'amour était une chose bien complexe, à faire parcourir à l'esprit des chemins fort tortueux dont il n'aurait pas soupçonné l'existence. Il dissimula un soupir et un froncement de sourcil et leva la tête vers la sœur de quelques-uns de ses péchés, fort enclin à passer à autre chose. Ce qu'il fit sans autre forme de procès, bénissant pour une fois son esprit mono-tâche. Il se méprit un instant sur ses yeux brillants, se demandant s'il l'avait fait pleurer par sa piètre performance, jusqu'à ce qu'elle exprime son… admiration ? Il lui offrit un mélange surprenant d'air à la fois sceptique, incrédule, gêné et reconnaissant. Il bafouilla un instant avant de souffler, embarrassé:
« Vos oreilles indulgentes voient en cet écho à vos attentes une magie que je n'oserais y trouver… Cependant, je pense que l'on ne peut être décemment jugé que par autrui, et ce en toute subjectivité, car tel est le caractère de la musique, répondant à nos sentiments du moment et à nos attentes. Tant que vous êtes transportée et qu'elle vous parle, même si elle est imparfaite, vous y sentez le doigté de la Déesse, si mon maigre orgueil peut présenter cela ainsi. Et Elle est en chacun de nous à travers les Arts… En moi, si vous l'y sentez, et en vous, à n'en pas douter. »
Il lui adressa un sourire doux mais timide, comme s'il redoutait de s'être trop engagé sur ses paroles. Puis elle recommença à parler, d'un ton certes badin, mais avec plus de sévérité et de dureté qu'il ne s' était attendu. Un ascendant sur lui ? Elle en avait un, bien entendu, mais elle semblait parfois si certaine de son infériorité alors même qu'elle ne le connaissait pas… A cette seule pensée il serra les dents, sans pour autant parvenir entièrement à refouler la douleur qui naissait en lui. Ces mots n'auraient jamais dû avoir à sortir de s bouche, et il aurait dû les entendre bien avant, d'autres personnes qui avaient effectivement, par les droits du sang notamment, un véritable pouvoir sur lui. Ils l'avaient, bien sûr, et Adriel ne le niait pas, ne l'avait jamais nié, d'ailleurs, malgré la volonté qu'il aurait eu à les laisser loin derrière, tout en étant prêt à se sacrifier pour leur bien-être et celui de sa chère île. Là était tout le paradoxe, parfois. Il ne pouvait décemment pas les abandonner. Samaël le comprenait sans le comprendre, car cela lui apparaissait naturel, en tant que Doyen, et il ne lui était probablement jamais venu à l'esprit qu'un « simple » Secrétaire, Intendant, put avoir le même niveau de responsabilité. Bien entendu, il ne savait pas non plus qu'il n'était pas que cela, mais aussi une sorte d'éminence grise du Réseau d'espionnage probablement le plus complet et étendu de l'Archipel. Probablement à l'exception de celui du Mâss, et encore… chacun avait très certainement vérolé et noyauté l'autre, à bien y songer.
Il ignorait si elle le comprendrait si, et il insistait bien sur ce si, leur discussion en venait à se concrétiser. Si elle comprendrait que son devoir allait bien au-delà de ce qu'il pouvait montrer, tant intellectuellement que physiquement. Ce qu'Anton exigeait de lui en tant que doublure d'Anselme, ce qui lui était véritablement possible de révéler. Elle ignorait dans quel nid de guêpes elle mettait les pieds, et lui l'y entraînait presque avec enthousiasme, en considérant qu'il pourrait ainsi la prévenir d'un sort pire encore. Son frère aurait probablement sa peau pour cela. Et un instant, il ne sut pas s'il parlait d'Anselme ou de Samaël, et ce qu'il aurait probablement préféré. Il avait, en quelque sorte, les moyens de la protéger de beaucoup de choses, mais pas de lui-même et ce qu'elle subirait à cause de ce qu'il était et représentait aux yeux de nombreuses personnes. Pourtant, la perspective ne parvenait pas tout à fait à le faire renâcler. Quel égoïste il faisait, prêt à la sacrifier pour ce qu'il croyait être un bien. Mais qui était-il pour en juger. Et surtout, quel droit avait-il, finalement de lui proposer cela, alors qu'elle avait été mieux encore que correcte avec lui ? S'il y réfléchissait, difficile de croire qu'elle lui avait véritablement parlé avec tant de gentillesse, qu'elle avait joué pour lui, qu'elle lui avait ouvert son cœur, qu'elle avait même accepté de le toucher alors qu'il était lui-même… En plus de cela, il y avait eu cette compréhension entre eux. Cette douloureuse prise de conscience qu'elle ne se considérait pas comme un être de valeur. C'était cela qui le dérangeait le plus. Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi. Et malgré tous ses défauts, toutes les erreurs qu'il pouvait commettre, tous ses manquements, il était une chose qui ne pouvait lui être opposée. Il était d'une obstination sans borne. Il avait décidé, probablement fort stupidement, que si cette femme devait devenir un membre à part entière de sa vie et de celle de sa très chère île, il se devait de découvrir la raison de son tourment. Non pas par simple curiosité morbide, malsaine, même s'il éprouvait la satisfaction coupable de rencontrer enfin quelqu'un qui n'était pas juste un parangon de confiance en soi et un modèle admiré par ses pairs, pour les bonnes raisons ou non.
Malheureusement pour Iliahys Delenol, également, il avait tout un Réseau derrière lui, sur lequel il n'hésiterait pas à s'appuyer, pour que cet effrayant sentiment la quitte et qu'elle se sente en sécurité. Et appréciée à sa juste valeur, bien plus grande qu'elle ne pouvait l'imaginer. Elle était non seulement une jeune femme d'une culture indéniable, mais aussi versée dans la musique, et d'une bonté qu'il n'avait que rarement constatée. En plus d'être d'une intelligence plus grande que les précédents rapports reçus avaient pu laisser soupçonner. Plus fine politicienne, peut-être pas, mais quelque chose dans sa sincérité, dans sa sincérité, poussaient les gens à ne pas lui en vouloir pour ses propos. Adriel n'était jamais parvenu à atteindre ce genre de compromis. Raison pour laquelle il parlait peu et exprimait moins encore son opinion, de crainte de froisser une personne qui n'aurait pas dû l'être et qui aurait pu exercer de sombres représailles contre lui. Ou tout simplement qu'on pût se rire de son opinion et le traiter à nouveau comme le sombre imbécile qu'il était indubitablement. Il retint un soupir et affermit sa résolution. Il ignorait encore quel destin la famille Delenol accorderait à sa proposition non officielle à ce jour, mais il espérait, car là était bien le mot, qu'il pourrait être, peut-être, un allié pour la jeune femme. Il rougit de se montrer si présomptueux, même en pensées, mais n'en manqua pas moins de relever la tête et de la fixer, plus sûr de n'être pas moqué pour son regard si étrange et décrié, bien qu'il doutât qu'elle en ait vraiment pris conscience jusque-là, avant de répondre de son habituelle voix douce, pourtant plus ferme qu'à l'ordinaire, et dépourvue de tout le tendre humour qu'elle-même y avait mis:
« Je n'ai pas l'orgueil de me donner une valeur que je n'ai pas, et je n'ai pas non plus la présomption de m'octroyer des droits qui ne m'appartiennent pas, et pourtant, je suis prêt à accéder à cette requête, quelle que soit l'indulgente appréciation que vous ayez à mon égard, si vous consentez vous-même à ne vous plus déprécier… Vous êtes bien plus précieuse aux yeux de vos frères, notamment, que vous ne semblez vous créditer, ce que je déplore. Mais peut-être pourrions-nous essayer, en semble, de faire cet effort ? »
Comme à l'ordinaire, son discours était confus et loin d'être compréhensible pour qui n'était pas dans sa tête, ce qu'il n'aurait souhaité à personne. Cependant, il n'en était pas moins sincère et c'était, au départ, ce qu'il avait voulu lui transmettre dans ce morceau qu'il avait improvisé. Que la lutte serait peut-être dure, qu'ils perdraient certainement des batailles, mais qu'ensemble, ils arriveraient, à la grâce d'Hygérie, à gagner la guerre et, si elle le voulait bien, à devenir amis... |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 5/11/2014, 18:34 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Malgré le masque de cuir qui le dissimulait, je pouvais voir assez de son visage pour y discerner en partie son expression, et y déchiffrer les diverses émotions qui s’enchaînaient et s’entremêlaient suite à mon compliment. Je ne pourrais dire que c’était inattendu, à vrai dire sa réaction était en tout point semblable à ce que j’avais présumé. Je trouvais quelque chose d’attendrissant dans cette douceur et cette modestie, cette timidité aussi peut-être, dont il faisait preuve. Ses paroles en revanche me furent bien plus surprenantes. Je me sentis froncer très légèrement les sourcils, méditant ses propos sans être certaine de les saisir tout à fait, bien que j’en comprisse l’essentiel de la substance. Il m’était assez étonnant, et admirable d’une certaine façon, qu’il pût tirer de telles réflexions des phrases si simples que j’avais prononcées. Sa conclusion, pour sa part, me prit tout à fait au dépourvu, et je rougis de nouveau, répondant toutefois chaleureusement au sourire qu’il m’adressait. J’aurais dû sans doute m’attendre à ce qu’il me retournât le compliment, cela semblait après tout parfaitement dans son tempérament, mais je n’en étais pas moins touchée, quand bien même je ne pouvais me persuader qu’il eût raison. La Déesse n’était pas en moi, ne le pouvait être, j’avais trop cruellement conscience de n’en être pas digne. Mais là encore, ce n’était pas un sujet sur lequel il eût été bon de s’attarder, aussi changeais-je plutôt le cours de la conversation. Peut-être était-ce là une nouvelle erreur de ma part. Il m’était cette fois plus difficile de décrypter son expression, mais elle ne me sembla tout d’abord pas de très bon augure. J’ignorais bien quelle maladresse j’avais pu encore commettre, mais j’espérais ne pas l’avoir à nouveau blessé ou offensé par inadvertance. En tous les cas, il était de toute évidence perdu dans des pensées que je n’osais interrompre, intriguée sans doute par le genre de réflexions que ma remarque avait pu lui apporter, mais patiente. Lorsqu’il finit par reprendre la parole, sa voix me semblait plus assurée, plus décidée peut-être, et je me demandais ce qui avait pu lui causer cette détermination nouvelle. Sa réponse me tira un sourire mitigé. Encore une fois, il semblait vouloir s’inquiéter de moi avant lui-même. Il était bien le premier à me faire une remarque de cet ordre, mais bien sûr, il était également certainement le premier à qui je me laissais aller à montrer cette facette de ma personne… Mais, encore une fois, il était en partie dans l’erreur, ce que je ne pus m’empêcher de souligner, quoi que davantage en manière de plaisanterie que dans le but de réellement le contredire.
« Je ne remets aucunement en question l’opinion de mes frères à mon égard, ni même l’affection qu’ils peuvent me porter, simplement leur objectivité. »
Réplique qui, sans doute, pouvait sembler en directe opposition avec ce qu’il venait de me demander, mais ce n’était nullement mon but, et j’espérais que mon ton suffirait à le lui faire comprendre. Au demeurant, il n’avait pas tort, d’une certaine manière. Il n’aurait été guère juste que je me refusasse à cet effort alors que je venais tout juste de le demander de lui. Même si, quoi que j’ignorasse tout des fautes qu’il semblait se reprocher si durement, je peinais à les imaginer sur un pied d’égalité avec mes propres errements. Mais cela même ne me semblait plus si important à cet instant. Car, contrairement à moi quelques instants plus tôt, il ne se contentait pas de me demander, ou de chercher à me convaincre, de cesser de me dénigrer, mais il proposait que nous fissions cet effort ensemble, il avait décidé de s’associer à moi, d’une façon si naturelle et spontanée que je ne pouvais que hocher docilement la tête en lui adressant un sourire reconnaissant.
« Mais vous avez sans doute raison. Et ce marché me semble plus qu’équitable. »
Une fois encore, mes paroles me semblaient bien légères pour exprimer ce que je ressentais, mais les mots me manquaient simplement pour me montrer plus explicite. Je ne pouvais qu’espérer que mon regard parlerait pour moi, alors que je soutenais celui de mon interlocuteur. Je fus frappée à cet instant par le point auquel il me semblait rassurant, alors pourtant que ce n’était pas la première fois que j’avais l’occasion de le contempler. Il y avait sa douceur et sa bienveillance naturelle, qui ne m’avaient pas échappées, mais pour la première fois je réalisai que ces yeux si singuliers m’évoquaient également autre chose. Le vert, quoi que d’une teinte plus douce, ressemblait d’une certain façon à ceux de mon frère, lorsque nous étions seuls tous les deux et qu’il me couvait du regard, se permettant de laisser pour un temps tomber les barrières qu’il érigeait entre lui et le reste du monde. Quant à l’autre, il faisait remonter le souvenir presque oublié d’un regard d’azur qui avait fait naître des frissons sur ma peau malgré la douceur d’un soleil d’été à Épieux… Je fus tirée de ma contemplation aussi bien que de mes souvenirs, un peu brusquement, lorsque des coups discrets furent frappés à la porte en même temps qu’une voix timide lançait un « Mademoiselle ? » un peu embarrassé. Reconnaissant la voix d’une domestique, je m’excusai brièvement auprès de mon interlocuteur puis me dirigeai vers la porte, que j’entrouvris pour voir ce que l’on pouvait bien me vouloir.
« Je m’excuse de vous déranger Mademoiselle, c’est Monsieur Lochlan qui m’envoie vous chercher en urgence… Un incident a éclaté au salon, et Messieurs… »
Je l’interrompis d’un geste doux, n’ayant pas besoin d’en entendre davantage pour deviner de quoi il pouvait bien s’agir. Samaël et Lestat avaient trouvé un nouveau prétexte pour se disputer, et il fallait que quelqu’un les empêchât de se sauter proprement à la gorge… La jeune Torkos, apparemment soulagée de ne pas avoir eu à prolonger ses explications, jeta par l’entrebâillement un regard à Adriel, mi-gênée mi-curieuse. Je me raclai légèrement la gorge afin de retrouver son intervention, puis la renvoyai.
« Merci Reirna, allez le prévenir que j’arrive immédiatement. »
Elle hocha la tête et s’éclipsa en même temps que je refermai doucement la porte pour me retourner vers Adriel, lui adressant un petit sourire contrit.
« Je suis navrée de devoir interrompre cet entretien, mais il semble que je doive vous abandonner… »
COMMENTAIRE(S) HORS-RP : Le moment me semblait venu de les interrompre, j’espère que cela te conviendra. J’avais dans l’idée de te laisser répondre, puis de conclure par le départ d’Iliahys (et peut-être un dernier post de ta part si tu le souhaites, selon ce qu’il restera ou pas à dire à ce moment). Si tu préfères couper plus court, je peux éditer pour la faire quitter la pièce dès maintenant. |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 9/11/2014, 22:39 | |
| Il ne faisait aucun doute dans l'esprit d'Adriel qu'à l'issue de cet échange, fructueux ou non, porteur ou non de projets futurs concernant leur avenir à chacun et notamment de possibles épousailles, un lien aurait été tissé entre eux deux. Quelle était sa nature exacte, il n'aurait su l'affirmer, n'aurait osé le faire en réalité. Il ne se sentait pas le droit de s'imposer et craignait d'extrapoler ces moments passés ensemble. Pourtant, il la sentait comme une âme-sœur. Certes pas dans le sens romantique, non, il n'en avait ni l'audace ni l'envie, comme énoncé précédemment. Il ne lui trouvait guère d'attrait que celui que Samaël lui avait décrit. Elle était belle femme, évidemment, comme le reste de la famille, et l'aîné en tête. Cependant, son intérêt était tout autre. Il appréciait son esprit, sa sensibilité, sa modestie, et aussi, bien qu'il en ait profondément honte s'il songeait à y regarder d'un peu plus près, il appréciait le fait qu'elle l'appréciât. Il ne pouvait même véritablement considérer que cela constituât un critère et pourtant, il ne pouvait nier que cela avait également eu son importance dans sa prise de décision. Depuis si longtemps, terriblement longtemps, même, il arrivait à voir une représentante d'Hygérie comme autre chose qu'une source de terreur et d'indifférence glacée.
Les femmes n'avaient jamais été que cela pour lui. Des parangons non pas de vertus, mais d'ignorance et de mépris, d'un désir intéressé, plus souvent qu'à leur tour et dont il avait été la victime. Mais Iliahys Delenol lui avait offert une vision autre, grâce à ce qu'elle était et à travers la musique, qu'ils appréciaient tous deux et avaient en commun. Son cœur souffrait encore, parfois, malgré la chaleur qui avait chassé son cauchemar nocturne. Il ne se croyait ni ne se savait prophète, et pourtant, il ne doutait pas de la véracité de cette solitude, de cette noirceur, de cet abandon qui se profilait.
C'était, en vérité, la seule solution qu'il envisageait à la situation. C'était encore une question d'obligations. Samaël avait toujours souffert de devoir porter un masque, celui de Doyen sans concession, celui de fils modèle, malgré ses errements, celui d'homme dur et inaccessible, qui ne saurait souffrir quels que puissent être les coups durs. Il avait su faire tomber une partie de ce masque, et la réciproque était, paradoxalement, vraie. C'était à la faveur d'un hasard tragique que le sien propre avait été enlevé, et qu'il avait pu entrapercevoir ce qui était derrière celui du Doyen. Et à nouveau, un hasard tragique voulait qu'il assiste à la fin de tout cela. Car il n'avait non seulement plus le droit à l'erreur, mais il devrait également mener de front une enquête, plaire au Mâss, mais aussi et surtout, faire avec l'idée qu'il lui faudrait laisser le bien-être de sa famille entre les mains indélicates de sa mère. Et notamment la protection incertaine d'une jeune femme à marier alors que se devait d'être gérée la position inconfortable d'une île en sursis.
Il ne pouvait évidemment pas déconsidérer ce genre d'obligations, et il les comprenait. Pourtant rien de tout cela ne lui avait même effleuré l'esprit au moment de lui faire son indécente proposition. Qu'il ne regrettait aucunement. Pourtant, tant et tant d'idées et d'émotions contradictoires tournoyaient dans son cœur, dans son esprit. Il devait y réfléchir, songer déjà à la façon dont il pourrait aborder l'idée avec Anton. Non, la façon dont il lui fallait aborder l'idée avec Anton. Car si elle se concrétisait, si la jeune femme venait le voir, il ne pouvait se permettre de se voir opposer un refus de la part du Doyen Alemel.
Plus il la regardait, plus il avait conscience qu'il y avait autre chose entre eux. Une connexion, peut-être, difficile à dire, dans cette façon dont ils refusaient chacun d'accepter les compliments des autres, de se convaincre de leur propre valeur. A tous les moins la sienne, car Adriel n'en avait aucune. Il n'avait jamais eu que celle que son père lui donnait, même s'il en avait, à un moment donné, douté. Grâce ou à cause de personnes qu'il avait rencontrées, et qui l'avaient aimé, compris, envers et contre tout ou presque. Mais jamais jusqu'au bout, car il ne valait pas le sacrifice, ne l'avait jamais valu et ne le vaudrait jamais. Là était toute la tristesse de son existence, en un sens. Espérer et ne se jamais voir récompensé pour cela. Il ne put donc que retenir un soupir défait d'avance et acquiescer. Ce serait un défi intéressant de voir si, ensemble, ils pouvaient arriver à atteindre un point où l'appréciation de l'autre comblerait en un sens le manque qu'ils ressentaient au fond d'eux.
Il sursauta violemment au coup frappé à la porte et se leva précipitamment, bien qu'avec moins de conséquences que la première fois. Il ne renversa rien, fort heureusement, et s'efforça de ne pas écouter les demandes et explications et la jeune Torkos. Il baissa la tête en entendant qu'une escarmouche avait éclaté au salon, probablement entre plusieurs membres de la famille, bien qu'il n'en fût pas certain. Il releva les yeux pour voir son sourire contrit, et lui répondit par un autre compatissant. Il ne comprenait pas ce qui la poussait à y aller, ce qui la poussait à vouloir faire régner une harmonie qu'il ne connaissait pas au sein de sa famille, et pourtant, il n'en était pas moins admiratif de son courage et de sa force de caractère. Elle était finalement l'équilibre indispensable au chaos dans lequel ils auraient sombré en son absence.
Il s'approcha et la salua d'une gracieuse révérence, effleurant délicatement ses mains des deux siennes, respectueux de ces instruments dont il avait approché la beauté:
"Ne vous en excusez pas, il me semble bien au contraire que nous ayons de toutes les façons atteint la fin de cet entretien qui fut pour moi autant une découverte qu'un enchantement. J'ignore encore combien de temps je resterai à Îleval, et moins encore au Manoir, mais sachez que je ne peux que vous remercier de ces instants que nous avons partagés, et de la lumière que vous avez apporté sur les ombres qui peuplaient mon esprit avant que vous ne jouiez pour moi. Mille mercis et surtout, n'hésitez pas, si vous deviez avoir un quelconque besoin, une quelconque demande, ma tour à Épieux vous est grande ouverte..."
Il rougit légèrement, puis sourit, avant d'ajouter, un peu plus timidement:
"Ou, plus modestement, je me ferais une joie de recevoir des lettres dont vous seriez l'auteure. Ou des partitions que vous souhaiteriez me transmettre. Et si vous deviez d'aventures venir chez moi, rappelez-moi de vous montrer notre pianoforte."
Il relâcha ses mains et la fixa une nouvelle fois, plus incertain que jamais, et pourtant ressentant une dernière nécessité de s'exprimer bien contraire à ses habitudes:
"J'ignore... J'ignore véritablement ce qu'il adviendra de ma position d'ici à quelques jours, ou même quelques heures, et plus encore ce que vous pourriez apprendre sur moi mais, je vous en conjure, gardez toujours l'amour de votre frère..."
*...comme je n'ai su le faire* Il n'avait pas osé le dire, mais l'avait pensé, et toute sa tristesse avait teinté de mélancolie son ton pourtant si doux, avant qu'il ne pose ses fins doigts tachés d'encre sur la poignée de la porte. Il devait désormais partir, n'avait plus le choix, de peur qu'elle comprenne ce qu'il voulait dire. Et d'un pas de deux, pourtant, il retira sa main et recula jusqu'au piano, s'asseyant à nouveau au tabouret. Finalement, la musique l'aiderait peut-être à faire le tri dans ses pensées confuses. Peut-être, peut-être, à défaut de tout résoudre... |
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| Sujet: Re: Mélodie en sourdine de deux coeurs harmonieux [Adriel] 13/11/2014, 19:57 | |
| Demeure Delenol – Soixante-septième jour d'été 1650 Comme depuis le début de cette rencontre, il se montra positivement charmant à mon endroit. Le contact de ses mains venant effleurer les mienne fut inattendu, mais je ne cherchai pas à m’y dérober. C’était sans nul doute le premier homme à pouvoir me toucher de la sorte sans que je m’en sentisse le moins du monde gênée, à l’exception bien sûr de mes frères. Je hochai légèrement la tête de gauche à droite alors qu’il me remerciait, cherchant à lui signifier qu’il n’avait aucunement à le faire, sans toutefois vouloir l’interrompre. J’étais heureuse d’avoir pu lui être de quelque réconfort, mais n’estimai pas mériter le moindre remerciement pour cela, considérant qu’il en avait fait autant, et bien plus, pour moi. Désormais, l’évocation d’une éventuelle visite à Épieux me paraissait bien moins inquiétante, et lorsqu’il mentionna de nouveau le fameux pianoforte, je répondis joyeusement, avec un sourire sincère. « Soyez sûr que je n’y manquerai pas ! »
Ses paroles suivantes, en revanche, me furent parfaitement cryptiques et mystérieuses, et je ne pus que rester plantée où j’étais à le fixer silencieusement tandis qu’il s’écartait, me demandant ce qu’il pouvait bien vouloir dire par là. Je ne voyais ni pourquoi sa position aurait risqué d’être compromise, ni ce que j’aurais éventuellement pu apprendre à son propos, et moins encore ce que l’amour de mon frère venait faire au milieu de tout cela. Je retrouvai mes esprits alors que je le vis la main sur la poignée de porte, semblant prêt à quitter la pièce, et je m’apprêtais à l’inviter à rester s’il le souhaitait, mais je n’eus pas à le faire, puisqu’il s’écarta de lui-même pour revenir au piano. Je décidai de laisser pour l’instant de côté ses propos nébuleux, gageant que s’il m’appartenait de les comprendre, cela finirait par arriver en temps et en heure. Sans doute aurais-je dû me presser de sortir pour me rendre où j’étais attendue, mais je ne voulais pas le laisser si abruptement, et il me semblait important d’au moins commencer à lui exprimer la gratitude que je ressentais pour tout ce qu’il avait fait pour moi au cours de cet entretien pourtant si bref, si bien que je repris d’une voix douce :
« C’est à moi de vous remercier pour…Je marquai une hésitation, cherchant mes mots, puis finis par renoncer et simplement énoncer, avec un semblant de rire : tout, vraiment. Vous avez su éclairer une journée qui s’annonçait pourtant bien sombre, et les mots me manquent pour vous exprimer à quel point je vous suis reconnaissante. »
Ce n’était certes pas ce pour quoi je lui étais le plus reconnaissante, mais je ne doutais pas qu’il en fût conscient, et le temps commençait à me manquer. Plus tard, espérais-je, je trouverais la façon de le remercier comme il le méritait. À l’occasion d’une lettre, peut-être, puisqu’il m’avait si galamment invitée à lui écrire, et que poser les mots sur le papier était toujours plus facile que de les exprimer à voix haute, à tout le moins pour moi. Pour l’heure, je préférai en rester là, et me décidai à me diriger vers la porte, devant laquelle je m’arrêtai, me tournant une dernière fois vers mon interlocuteur pour lui adresser une révérence moins guindée qu’à mon habitude.
« Je vous souhaite une bonne journée. N’hésitez pas à user de cette salle autant qu’il vous plaira, vous y serez toujours le bienvenu, que je m’y trouve ou non. J’apprécierais grandement d’avoir à nouveau le plaisir de m’entretenir avec vous. »
Sur ces mots, je sortis enfin, refermant doucement la porte derrière moi. La matinée avait décidément été riche en émotion, et sans doute aurais-je à y revenir plus tard, afin de réfléchir plus posément à tout ce qui avait été dit, mais je me sentais paradoxalement désormais prête à affronter la journée qui m’attendait, et un sourire flottait sur mes lèvres tandis que je me dirigeai d’un pas décidé vers le salon pour empêcher mes aînés de s’entretuer.
COMMENTAIRE(S) HORS-RP : Mille mercis à toi pour ce RP qui fut très agréable *.* J’espère qu’il t’a plu autant qu’à moi, et j’ai hâte de voir comment leur relation va évoluer ^.^ |
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