Les aventures et mésaventures s’enchainent dans une vie. Hors, doucement, dans la vie de la jeune cheffe du clan des Ereshai, les aventures commencèrent à s’enchainer et prendre le pas sur les mésaventures qui survenait depuis sa nomination. Ça y est. Elle avait enfin trouvé sa place en tant que Cheffe au sein de son clan ou du moins, commençait à trouver sa place en tant que tel et ce grâce à sa chère Chemmen. Asheema avait finalement réussi à lui ouvrir les yeux sur le rôle qu’elle devait tenir et sa place dans le clan, ce qui était à l’origine loin d’être gagné.

Son travail prenait de moins en moins de temps et elle commençait à avoir le coup de main pour résoudre les problèmes. La plupart du temps, la parole suffisait. Mais, elle était encore loin d’avoir la langue tranchante d’Asheema. Alors, parfois, il lui arrivait d’en venir aux mains mais sans perdre patience. Elle donnait juste un seul coup dans une zone bien déterminée afin de paralyser temporairement l’adversaire et de parler à nouveau. Ça pouvait être un peu « brutale » comparé à Tsukey avant. Mais, il était trop sage et elle encore trop jeune. Un jour viendra où elle pourra résoudre tous les soucis par la parole… un jour.

Enfin, ceci-dit, elle avait à présent du temps libre pour voler sur le dos de Cherokee, son fidèle et jeune Griffo, beau et fière. Ce jour-là, les plumes dorées de la sublime créature brillaient aux rayons flamboyant du soleil. Kanaeko profitait de l’air pur des hauteurs et de la vue imprenable qu’elle avait sur l’ensemble du camp pour se détendre et, en même temps, surveiller les alentours au cas où un clan Okanaki s’installerait à proximité et être sûr que celui-ci ne veuille aucun mal aux Ereshais. C’est alors que…

« « ?... Cherokee, descendons un peu… J’ai cru voir quelque chose par-là ! »

Sa monture descendit doucement vers la silhouette qu’elle avait remarquée en bordure du campement. En approchant, elle vit alors qu’il s’agissait d’une jeune femme et que celle-ci semblait être tombée de fatigue. Aussitôt atterrie, la jeune Cheffe se précipita auprès de la jeune femme et vérifia déjà si elle allait bien. Elle respirait, difficilement, mais elle était encore en vie. Ce n’était pas une Ereshai et pourtant… que faisait une fille aussi jeune à des kilomètres de tout autre clan ? Mais Kanaeko aurait tout le loisir de lui demander une fois qu’elle serait réveillée. Pour l’heure, elle avait besoin de soin. La jeune cheffe prit alors la fille dans ses bras et couru en direction de sa yourte, suivit par son griffo. Elle croisa rapidement un enfant auquel elle demanda d’aller chercher Asheema afin qu’elle vienne la retrouvée dans sa yourte car, l’endroit où la jeune femme était tombée était proche du secteur où réside la jeune cheffe.

Doucement, elle déposa alors la jeune femme sur sa paillasse. C’était une belle adolescente aux cheveux argentés. Ses pieds étaient dans un état affolant… Elle avait dut courir durant des kilomètres et des kilomètres avant d’arriver ici. A présent, il fallait attendre Asheema.

La vie est un long fleuve tranquille. Il paraît qu'un Chemenn quelconque ou qu'un poète Mésorian aurait dit une telle chose. Je penche plutôt pour le Mésorian, en réalité, car leur langue de serpent leur fait dire les pires inepties au nom de la "licence littéraire". Parfois, je me demande comment je sais de telles choses. A croire que je les fréquente trop. Peu importe, en réalité, car aussi creuses que soient leurs paroles, c'est à peu près l'impression que j'ai à ce moment précis. Par la grâce d'Eliwha, Kanaeko a enfin commencé à se comporter en véritable Cheffe des Ereshaï. Quand je disais que j'étais un medium pour la Déesse... Je retiens un rire ironique à cette pensée. N'allons pas chercher trop loin malgré tout. J'ai été bien inspirée, lors de cette discussion. A croire qu'à moitié endormie, je suis de meilleur conseil que pleinement éveillée. En tous les cas, peu importe la raison, les effets s'en ressentent. Peut-être pas pour elle, en revanche. Mais les flux ne mentent pas. L'atmosphère du campement s'est allégé, comme s'ils n'étaient plus tourmentés entre leurs obligations envers moi, et leur fidélité nouvelle et déconcertante envers elle.

Par habitude, par tradition, ils viennent toujours me consulter pour des problèmes triviaux. Mais parfois, et de plus en plus, ils me disent qu'ils le font "pour ne pas la détourner de ses tâches importantes". Je me contente de hausser un sourcil et de tapoter le bout de mon bâton sur le sol, en entendant cela. Comme si mes propres tâches étaient mineures... Enfin, je reste la sagesse du Clan, mais j'ai beaucoup... un peu plus de temps pour travailler les flux et me consacrer à la taille du bois. Ces derniers temps, un jeune est même venu me demander conseil à ce sujet. Le souci, en revanche, avec l'oisiveté, c'est que je recommence à réfléchir, satisfaite et repue, en regardant mon petit monde évoluer selon Ses préceptes. En été, je me contente bien entendu de donner des ordres à droite à gauche pour que l'on aille me chercher les herbes que je fais sécher pour l'hiver. Mais j'imagine déjà la saison froide. Et je sais pertinemment que je ne rajeunis pas, que mes membres se font rigides, comme ceux de Telmo. Le manque de disciple se fait de plus en plus cruel, et l'avenir du Clan me turlupine. Peut-être devrais-je partir en retraite, quelques jours, afin de rentrer en contact avec la Déesse et tenter de déclencher une vision.

Je retiens un soupir. Je suis en public, en extérieur, en train de travailler, le dos au soleil, tannant ma peau déjà brunie, faisant ressortir plus brillamment encore les tatouages bleus et rouges qui ornent mes membres. Ma tenue de cuir, plus pratique qu'élégante, sobre et munie de dizaines de poches, ne me protège en rien de cette touffeur exaspérante. Ma main, sur le pilon de bois, est moite de transpiration. Dans quelques instants d'égarement, je regrette la neige. Un frisson remonte ma colonne vertébrale alors que des souvenirs, depuis longtemps enfouis, tentent de poindre. Je secoue la tête dans une tempête de tresses noires. Je les ai enfin coupés, et les nattes peinent désormais à atteindre mes omoplates. L'odeur douceâtre et âcre de la graisse en train de fondre et de s'infuser avec des herbes me titille les narines. Je plonge la spatule de bois dans le pot à cuire. Presque, presque. La confection des onguents n'est pas exactement ce que je préfère, mais peu importe, il le faut, puisque nous n'avons pas de guérisseur attitré.

Je coule le baume dans de petits pots qui seront ensuite scellés hermétiquement avec de la cire. Un bruit de pas me distrait de ma tâche, et je n'étouffe même pas le juron qui m'échappe quand je me brûle. Comme si j'avais besoin de ça. Je me redresse, le regard menaçant, et le petit me jette plus vite que s'il avait été celui en contact avec le feu que Kanaeko m'envoie chercher parce qu'elle a trouvé une blessée dans les bois. J'appelle une des femmes qui m'aide habituellement dans ces tâches pour qu'elle termine pour moi, prends mon "sac de guérisseuse", nom pompeux pour le baluchon contenant des paquets d'herbes et des boîtes d'onguent.

Je ne cours pas, mais ma marche rapide est tout aussi efficace pour m'amener rapidement à la yourte de la Cheffe du Clan. J'en profite pour envoyer l'un ou l'autre quérir de l'eau bouillie, de l'eau de source froide, des linges, et éventuellement des attelles, tout ce qui pourrait être nécessaire. Arrivée là, je m'agenouille à côté de la patiente, une jeune fille visiblement épuisée et grelottante, tout en parlant, donnant mon avis sage et éclairé. Ou pas. Mais j'ai l'habitude des situations d'urgence.

"Vu l'état de ses pieds, elle fuyait quelque chose, ou quelqu'un, il faut déployer les chasseurs au cas où elle ait échappé à une attaque, ou à une bête. Et envoyer quelqu'un pour rappeler les cueilleurs. On ne peut pas vraiment se permettre de subir des pertes. Et préviens Dhankin de rassembler les Griffos, on ne sait pas encore à quoi on a affaire."

Je ne relève même pas la tête, toute occupée que je suis à la déshabiller pour chercher ses blessures. La seule lame que je possède est dans ce sac, d'ailleurs. Elle se semble pas gravement atteinte, simplement mal nourrie, épuisée et assoiffée. Seul l'état de ses pieds est préoccupant. Si je ne parviens pas à la purger rapidement et que cela s'infecte... Je préférerais ne pas avoir à lui couper les jambes, je dois admettre. Je la chasse d'un revers de main alors qu'une cuvette d'eau bouillante arrive. Je sors un bol du sac, et jette quelques herbes dedans. Une odeur acide, savonneuse, s'élève dans la yourte. J'ai recouvert l'enfant de couvertures pour qu'elle transpire, et m'attelle au nettoyage de ses blessures les plus évidentes. J'ai besoin qu'elle soit consciente pour avaler quoi que ce soit. Pas exactement, mais je n'ai pas besoin de le dire à tout le monde.

"Ne t'inquiète pas, je m'occupe d'elle. J'enverrai quelqu'un te quérir si elle se réveille, donc avertis quelques personnes d'où tu te rends. Et je sais que tu trouves ces mesures exagérées, mais..."

Je hausse une épaule, la tête toujours penchée sur mon ouvrage. Personne n'avait été préparé à la Marche de Zhäa, et le résultat a été plus sanglant que les jeunes pourraient l'imaginer. Aucune envie que cela se reproduise de mon vivant. Certainement pas...

Kanaeko aurait bien voulu prendre un peu d’avance avant l’arrivée d’Asheema, mais elle n’y avait jamais rien comprit aux techniques de guérisons… ou plutôt, elle n’y avait jamais vraiment prêter attention. La jeune cheffe était une femme d’action. Depuis toujours, son plaisir résidait dans le combat et la chasse. Bien sûr, lorsque son prédécesseur était malade, elle était toujours la première à seconder  la Chemmen et les guérisseurs d’une manière ou d’une autre. Elle aurait tout fait pour sauver cet homme qu’elle considérait un peu comme son père… Et encore plus aujourd’hui, elle le voyait ainsi.

Bref, Asheema arriva finalement sans dire un mot. Après tout, la situation n’était pas aux paroles de bienvenues et de salutations… et encore moins de la part de la Langue Tranchante. Kana en avait l’habitude et là, de toute manière, elle n’avait pas envie de discuter. Pour le moment, elle voulait se rendre utile à nouveau. Dans ses situations là, la Chemmen devenait maitresse de la situation et le sort de la jeune fille était désormais entre ses mains et celles d’Eliwah.

Accroupit à leur côté, la jeune cheffe attendit le verdict qui ne tarda pas à tomber. L’état des pieds de la jeune femme l’avait préoccupé aussi, mais, en effet, elle n’avait pas songé au faite qu’elle avait été probablement poursuivit. D’ailleurs, Kanaeko ne put se retenir de faire une légère grimace car elle aurait dut s’en douter. On ne court pas des kilomètres pour le plaisir. La Chemmen avait sans doute raison. Mais… les moyens qu’elle demandait étaient incroyablement lourd… A l’entendre, on devait se préparer à une attaque massive, comme-ci un clan tout entier ou un troupeau de ligor allait nous attaquer dans la minute !

La Chemmen s’occupait de la jeune inconnu tout en parlant et la cheffe l’observait faire… C’était quelque chose plutôt surprenant à voir. La femme la plus violente au niveau des paroles semblait, à la voir pratiquer la guérison, être la plus douce qu’il soit. Cela avait toujours fasciné Kana, même très jeune. C’était là que la gentillesse d’Asheema était la plus visible. Enfin… cela dépendait car, à force de revenir avec des coupures et des écorchures un peu partout, la Chemmen s’était souvent énervée sur Kanaeko lorsqu’elle était jeune.

Bref, la Chemmen semblait préoccupée et étrangement inquiète… Comme-ci elle redoutait quelque chose. En tout cas, les leçons d’Asheema ont toujours été bonnes à prendre en compte. Alors, Kana hocha la tête et se tourna vers l’entrée de la yourte.

« Je vois… Non, ne t’inquiète pas. Je préfère faire comme tu dis : prendre plus de précautions que pas assez. Qu’Eliwah soit avec toi. »

Sur-ce, elle sortit rapidement de la yourte et appela quelques enfants à la rescousse. Chacun avait sa responsabilité. Le premier, un préadolescent, sans doute l’un des plus vieux, devait aller prévenir les cueilleurs en bordure de camp. Une fillette de six ans environs se vit confier la tâche de demander à Dhankin de rassembler les griffos. Les derniers devaient courir à travers les allées que formaient les rues en criant que le clan était sur le point de subir une attaque. C’était rapide et efficace. Tout le monde savait désormais ce qu’il fallait faire.

Kanaeko eut tout juste le temps d’arriver au centre du campement et de grimper au sommet d’un rocher afin de pouvoir être vue et entendue de toutes et tous.  Elle avait drôlement gagné en assurance et, même-ci elle bafouillait encore un peu, sa voix était devenue forte.

« Mes frères, mes sœurs. Je vous ais conviée en ce jour car la situation peut-être plus grave qu’on ne le pense… Une jeune femme vient d’être retrouvée aux abords du camp, épuisée et blessée. Tout nous porte à croire qu’elle a été poursuivie et il est possible que cette ou ces personnes viennent s’en prendre au clan. C’est pourquoi je demande à tous chasseurs et guerriers de se tenir aux abords du campement afin de surveiller quiconque approcherait. Les monteurs de griffos et moi-même surveilleront les airs. Seul Dhankin restera au sol pour me prévenir au cas où Asheema aurait un message à me faire passer. Que les personnes non-combattantes restent en sécurité ici même, au centre du camp. »

Surprise. Je relève la tête pour regarder Kana quitter la yourte. Si j'avais pu anticiper qu'elle se plierait à ces demandes exagérées sans même moufter, j'aurais proposé quelques petites autres mesures et améliorations à apporter... Là n'est pas le sujet, cependant. J'ai une patiente entre les mains, et beaucoup de travail à faire dessus. Malgré tout, je me concentre sur ses pieds, là où les infections sont si vites arrivées.

Je commence à peine à retirer les échardes et les petits cailloux qui ont pu s'incruster sous la peau, avant de laver avec une solution mousseuse obtenue après malaxage de saponine dans de l'eau froide qu'elle crie et s'agite. Elle bat des bras, des jambes... Elle risque certes de briser quelques objets, ou renverser les bols, mais ce ne sont que des choses matérielles, aisément remplaçables. En revanche, elle risque également de se blesser plus qu'elle ne l'est déjà, et ceci serait inexcusable. Je suis tentée d'appeler pour obtenir de l'aide mais, en tendant l'oreille, j'entends le discours de Kanaeko. Je ne distingue pas les mots, pourtant je sais qu'elle s'adresse à tout le clan. Qu'elle met en place, à sa façon, les conseils que j'ai pu lui donner. Un jour, peut-être, je lui raconterai vraiment comment cela s'est passé. Le point auquel nous étions mal préparés, les pertes et les massacres comme ils ne sont jamais contés dans les légendes.

Et voilà, je n'ai plus qu'à gérer la situation seule. Je me concentre sur l'immobilisation de ses jambes, les retenant sans les plaquer au sol, pour éviter d'appuyer sur ses plaies. Mes bras battent, dans un sens, dans l'autre, et elle continue à hurler. Quelques Ereshaï passent la tête dans l'entrebâillement de la yourte, se demandant quel genre de drame se déroule chez la Cheffe, curieux de savoir ce que la Chemenn a encore bien pu inventer pour faire crier quelqu'un comme un goret. Ma voix s'élève, quelques mots bien sentis pour chasser les gêneurs. M'échappe ensuite une étrange mélopée sans cohérence, pas même pour moi. Simplement un son rassurant. Il marche sur les enfants et sur les Griffos, pourquoi pas sur les jeunes perdus?

Elle finit par se calmer suffisamment pour que je puisse la lâcher. Ses halètements, alliés à la légère fièvre que j'avais sentie, à sa déshydratation et à sa malnutrition me font craindre qu'elle fuit un clan plutôt qu'un animal sauvage. Et un Clan fort cruel, qui plus est. Une idée me traverse l'esprit, mais c'est incohérent. Ils ne quittent jamais Opale. Je le sais. Et ils n'ont pas le monopole de la violence et de la torture, malheureusement. Sa voix, basse et faible, m'interrompt et me sort de mes réflexions. Ce qui n'est pas plus mal au demeurant.

Je me lève, la contourne pour aller m'installer à proximité de sa tête, le bol d'infusion tiède à côté de moi. Je remarque qu'elle a les yeux fermés. Je me souviens qu'ils étaient bandés, mais comme ils ne portaient aucun signe de blessure... Peut-être la luminosité est-elle trop forte, et les maux de tête dus à la fièvre la rendent-ils photosensible. Je secoue la tête, mes tresses voletant autour de mon visage marqué de bleu et de rouge, avant de lui répondre, d'une voix étonnamment douce, pour ceux qui me connaissent habituellement:

"C'est ce que j'aimerais bien savoir, jeune fille, ce qui se passe. Mais attendons déjà que tu te remettes un peu. Je vais te relever la tête et mettre un bol contre tes lèvres. C'est un remède qui t'aidera à avoir moins mal pendant que je m'occupe de tes pieds..."

Je lui soulève la tête, dégageant son front, pour la faire boire, avant de retourner m'occuper de ses pieds. Il y a encore beaucoup d'impuretés à enlever avant de pouvoir les bander. Je me remets à l'ouvrage, lentement, délicatement, reprenant la parole:

"Je sais que ce n'est pas agréable, petite, mais je n'ai pas le choix. Sinon, tes pieds s'infecteront et..."

Il faudra les couper. J'aperçois une ombre sous le tissu de la tente, et lance un appel pour aller chercher Kanaeko. "La jeune fille se réveille."

"Je m'appelle Asheema, et toi? Notre Cheffe, Kanaeko, va arriver. Tu es en sécurité ici."

es ordres étaient donné tous furent exécuté à merveille. Le clan n’est certes pas le plus offensif qu’il existe, mais il sait se battre et se défendre en cas d’attaque. Une fois que tout le monde était partit à ses occupations, Kanaeko convia son griffos qui avait déjà compris ce qu’il se passait. C’était difficile à expliquer, surtout à cet animal borné, mais elle devait essayer.

« Envoles toi ! Viens me cherché si tu aperçois un danger du ciel ! »

Ainsi, Cherokee prit de l’élan et s’envola aux cotés des chasseurs qui chassaient à dos de griffo. Celui de la chef était certes intelligent, il n’y avait que peu de chance qu’il ait déjà compris précisément sa tâche. Mais au moins, il aiderait en cas de souci et ça, à la vue de son caractère fougueux, c’était certain.

Alors qu’elle observait son précieux compagnon s’envolé, une voix surgit derrière elle : C’était son fidèle messager, un jeune garçon. Il lui fit part alors du message laissé par la Chemmen. Kana lui sourit alors et lui demanda de se mettre à l’abri. Elle se précipita ensuite dans la yourte d’Asheema où elle put juste entendre la dernière phrase qu’avait prononcée la jeune femme.

Kanaeko sourit en voyant que la jeune adolescente allait bien. Au moins, si elle était consciente, c’était bon signe.

« Bonjour. » Puis elle se tourna vers Asheema. « Merci de m’avoir prévenue. J’ai déployé tous les chasseurs et rassemblé toutes les personnes vulnérables au centre du clan. » Son regard se posa sur la jeune femme devant laquelle elle s’accroupit. « Je suis Kanaeko Demi-Lune, chef du clan Ereshai. Tu es en sécurité maintenant. »


La jeune chef posa sa main sur celle de la jeune inconnu de manière à lui montrer et à lui faire sentir l’esprit de son clan. Les chaines qui entouraient ses poignets pouvaient laisser penser qu’elle avait été enlevée. Kana ne demanda pas l’avis à Asheema et se permit de lui poser des questions car, dans l’immédiat, c’était le plus important.

« Excuses-moi si je suis aussi brusque, mais j’aimerais savoir qui t’a attaché ? Qui était à ta poursuite ? Nous souhaiterions te protéger et puis… accessoirement, de quoi parlais-tu quand tu disais que tu en avais besoin ? »

C’était pourtant un simple contact humain, le genre très chaleureux et plein de bonnes intentions. Pourtant, la petite Xiann avait sursautée comme-ci l’on avait dégainé un Tolohok juste devant son nez. Cette réaction avait quelque peu surpris la jeune chef, mais elle n’en montra rien. Ce fut que lorsque la jeune femme les mit au courant des raisons de sa course qu’elle montra vraiment sa surprise. Son père ?! Comment un père peut-il enchainé sa fille et la terrorisé au point qu’elle court jusqu’à ce que ses pieds soient tellement usés qu’elle en tombe ! A l’entendre, c’était une fille du Sanguinaire en personne ! Mais, c’était impossible. Toutes les personnes du clan de Draoxi possèdent le suffixe « xi » dans leur nom. Donc, ce n’était pas le cas. Alors qui ? Et à quel clan il appartient ? Car, cela ne faisait aucun doute sur les origines de Xiann. Son corps possède bien la signature des Okanakis quoi que son grain de peau est assez clair… ce fût peut-être une sang-mêlé, qui sait ?

La peur était si forte qu’elle lui prenait la gorge et cela s’entendait dans sa voix. Sous le choc, terrorisée et blessée… Sa manière de parler et son comportement inspirait plus celui d’une enfant plutôt que d’une adolescente. Pourtant, aucun doute sur le faite qu’elle avait au moins quinze ans. D’ailleurs, même-ci ce n’était pas vraiment le moment, Kana a parfaitement notée que cette jeune femme était déjà bien belle… Enfin. La peur tiraillait tellement Xiann que l’on ne savait pas vraiment comment prendre ses paroles. Elle ne semblait vraiment pas sure d’elle. Ainsi, même-ci la jeune Okanaki pensait que son père n’était pas une menace face à tout un clan réuni sur le qui-vive, Kanaeko ne leva pas l’alerte. Le mieux était d’attendre un peu. Une heure, peut-être moins. En tout cas, même-ci elle levait l’alerte, personne ne devrait sortir du camp avant le prochain levé de soleil par mesure de précautions.

« Essayes de te détendre… J’ai encore pleins de questions à te poser mais pour cela, il faut que tu te calmes et, surtout, que tu te reposes. Nous nous occupons du restes. Ici, tu es en sécurité. »

Kana parlait avec un voix douce et charmante. Pleine de sentiments bienveillants. Étonnamment, Xiann ne semblait pas vouloir ouvrir les yeux. C’est vrai, la chef ne l’avait pas encore remarqué à ce moment-là, mais elle n’avait pas ouvert les yeux depuis qu’elle était rentrée dans la yourte. Elle tâtait le sol tout autour d’elle à la recherche de quelque chose. Un morceau de tissu à priori. Maintenant qu’elle y pense, Kana avait retrouvé cette jeune femme avec une espèce de bandeau lui tombant des yeux, mais n’y avait pas fait attention sur le coup… Par miracle, il n’était pas bien loin. Il s’était accroché sur le haut que portait Xiann. Kanaeko le prit alors et l’observa un instant avant de le porter à sa main.


« Est-ce que c’est cela que tu cherches ?... Tiens… Attends un instant, je vais parler avec Asheema avant de te retirer tes fers. »

Kana se leva alors et fit signe à Asheema de la rejoindre dans un coin de sa tente. Ça n’était pas arrivé depuis un moment, mais encore une fois, la jeune chef était indécise. Elle murmura donc à l’oreille de cette femme qui était non seulement sa Chemmen, mais aussi un peu sa mère :

« Je ne sais pas ce que tu en penses mais moi je n’aime pas ça… As-tu déjà entendu parler d’Okanaki traiter ainsi par leurs semblables ? Même les Torkos sont mieux traité que cela et en plus, il s’agit de son père. As-tu déjà entendu parler d’un clan sans scrupule qui serait capable de faire ce genre de chose ? Et ça ne semble pas s’arrêter à cela… Cette fille n’ose même pas ouvrir les yeux et ne se sent en sécurité que dans les ténèbres sans compter son retard mental. Elle a sans doute plus de quinze mais, quand on l’écoute… elle n’en fait pas plus de huit !...»

Cela faisait beaucoup d’inquiétudes et de soupçons d’un coup. Mais, la jeune chef voulait en savoir plus au sujet de cette fillette mais aussi être sure de ne pas devenir paranoïaque sur son sort. Par Eliwah… Que le travail de chef de clan est compliqué.

Le travail de Chef de Clan est bien compliqué... Telle est la réflexion que je me fais lorsque Kanaeko pénètre dans sa tente avec l'air aussi épuisé que si elle avait effectivement combattu Zhäa en personne. Pourtant, elle semble s'en sortir bien mieux qu'avant. Un changement en profondeur se serait-il opéré depuis la dernière fois que nous avons discuté ? Impossible que mes mots seuls aient réussi à faire cette fois-ci ce qu'ils n'étaient parvenu à accomplir tout au long de ces années, si ? Après tout, les voies de la Déesse sont impénétrables, et ce n'est pas aujourd'hui que j'essaierai de les percer.

Avec un certain amusement, toutefois teinté de l'inquiétude diffuse que je ressens pour ma patiente du jour, je poursuis mes soins en écoutant la jeune femme et l'enfant. Car c'est effectivement ce qu'elle a l'air d'être, une simple enfant. Physiquement, elle semble avoir atteint l'âge ingrat et instable de l'adolescence, mais elle s'exprime comme si son esprit avait cessé d'évoluer bien plus tôt que cela. Je réprime un soupir. C'est malheureusement quelque chose que j'ai déjà pu constater, quoique pas fréquemment dans les Clans Okanakis. J'ai entendu les histoires, pourtant. Celles sur ces Torkos battus en étant enfants et qui ne parvenaient jamais tout à fait à s'en remettre, ou de ces Mésorians qui avaient été si traumatisés, et notamment par la Marche, que leur esprit n'en était jamais sorti, tournant en boucle sur ces idées et ces terreurs nocturnes, incapable d'aller de l'avant et d'oublier, simplement.

Non qu'il soit facile d'oublier. Je pense qu'aucun de ceux qui ont véritablement vécu cet événement n'en soit capable. Malgré mon jeune âge à l'époque (je repense encore à ceux qui me traitent de vieillerie), ces images inoubliables au sens propre, ont marqué mon esprit. Ces éclairs fugitifs de rouge, leurs yeux brillant de soif de sang, le liquide carmin s'écoulant sur la neige, infinité blanche souillée à jamais par tant de vies perdues, tant de vies chères et tant de larmes, pour les morts, celles subies, celles infligées, la perte déchirante de ces gens qu'on s'était résigné à considérer comme perdus, et pourtant revenus d'entre les morts pour en entraîner toujours plus avec eux.

Un court frisson descend ma colonne vertébrale alors que je tente désespérément de me reconcentrer sur la discussion en cours. Décidément, les derniers événements en date ne m'ont pas aidée à me calmer un tant soit peu. L'enfant tente de s'exprimer, et tout ce que je comprends, c'est qu'elle fuit son père, qui est visiblement seul. Mon cerveau en ébullition renaît. Se pourrait-il, par le plus grand des hasards, qu'il s'agisse d'un Banni, qui se serait enfui avec une enfant ? Ou qui aurait fait ce que Draöxi a tenté ? Être banni, séquestrer une femme, la violer jusqu'à ce qu'elle enfante, puis meurt en couches, puis séquestrer l'enfant pour possiblement répéter le même schéma avec elle ?

Un doute me prend, mais impossible de vérifier celui-ci avant que la petite ne se soit calmée. Et puis, après tout, savoir si elle a été victime d'abus ne servira qu'à me permettre de mieux traiter son cas. Son état d'esprit ne dépend pas de moi, et n'a jamais dépendu de moi. La preuve, les seuls enfants que j'ai élevés sont absolument incapables de communiquer correctement et s'embourbent soit dans des mélodrames sentimentaux, soit dans un manque de confiance en eux absolument troublant et presque handicapant, voire les deux. Ou une inconscience destructrice. Dernière possibilité, ils finissent par avoir un caractère aussi doux et docile que le mien. Non, décidément, je suis loin d'être une référence.

Une fois encore, là n'est pas la question. L'âge, ma vieille, l'âge te pousse à laisser tes idées errer au vent comme autant de flux disparates et oubliés. Il suffit de les canaliser, et je fais cela très bien. Enfin, normalement... Presque inconsciemment, je poursuis les soins sur les pieds, qui semblent effectivement très abîmés. Je pense qu'elle n'a jamais porté de chaussures, et la qualité médiocre de ses vêtements, de même que les chaînes qu'elle porte me poussent à croire que j'ai raison. Le bandeau, en revanche, reste un mystère. Est-elle aveugle ? Dans le cas contraire, pourquoi en a-t-elle besoin ? Et surtout, pourquoi aussi désespérément. Elle a l'air de s'y raccrocher comme s'il était le dernier rempart entre elle et les atrocités du monde. Ce qu'il est peur-être au demeurant, cela dit. Impossible de le savoir tant qu'on ne lui aura pas posé la question, mais malgré les tentatives de Kanaeko, elle ne semble pas particulièrement à l'aise avec le langage. Mais si j'ai raison et qu'elle a bien été torturée ou abusée depuis son enfance, elle n'a pas dû avoir tant d'occasions que ça de s'exprimer, et c'est déjà presque un miracle qu'elle parle si bien. Ou qu'elle parle tout court, voire comprenne ce qu'on lui raconte.

Je continue donc à faire ce que je peux pour aider jusqu'à entendre mon nom prononcé par la jeune femme. Tiens donc, serait-elle retombée dans ses vieux travers, à me demander mon avis à qui mieux mieux ? Une ombre de sourire m'effleure. Le cas est délicat, et n'est-ce pas preuve de sagesse que de rechercher les avis de ceux que l'on sait plus sages que soi en enterrant sa fierté ? Je suis certainement celle qui n'est pas raisonnable, mais peu importe... Je me relève donc avec un soupir rentré pour mes articulations douloureuses d'être restées trop longtemps dans la même position et pour mes vieux os délicats. On ne vit pas vieux sur les routes, malgré tout, et les inutiles doivent être éliminés. Mon regard n'épargne pas la petite et les profondeurs marines qui me servent d'yeux l'effleurent sans aménité. En est-elle, de ces inutiles ?

Le flot de questions m'assaille dès que nous nous sommes éloignées suffisamment pour qu'elle ne nous entende probablement plus. Quoique... Difficile à dire. Si elle est aveugle, elle a certainement développé un meilleur sens de l'ouïe que la plupart des Okanakis. Je hausse une épaule qui passe pour du désintérêt pour la discussion en cours, à n'en pas douter. Et je laisse même le silence s'éterniser, comme si j'y réfléchissais vraiment. Oui et non, en réalité. Oui ou non, en définitive, cela se résume à ça. Même si je connais déjà la réponse. Elle est probablement l'enfant d'un Banni, mais jamais Kanaeko ne la laisserait dans la nature, seule et abandonnée, attardée ou non, danger ou non. Le choix de mes mots n'importe donc pas, puisque j'ai l'impression de n'être consultée que pour la forme, ce qui est une bonne chose, et me fait me sentir plus inutile que jamais. Encore une chose à laquelle réfléchir, d'ailleurs...

Toujours perdue dans mes pensées, ma voix n'est exactement aussi tranchante que d'ordinaire, bien qu'elle garde cette qualité désagréable à mes oreilles, lorsque je finis par répondre à ses interrogations, les yeux toujours fixés sur la forme prostrée à terre :

 « Je connais des Clans et je connais des pères qui seraient capables de faire une chose pareille, mais fort heureusement, ils ne polluent pas nos vents, ici. Et si d'autres en sont capables, je l'ignore. Je peux toujours essayer d'interroger d'autres Chemenns, mettre en place un réseau d'informations. Ses... particularités physiques laissent à penser qu'elle a peut-être des problèmes, ou alors qu'elle vient d'une famille ou d'un Clan qui en possèdent de similaires, même si, à mon avis, son père était un Banni. C'est l'idée la plus probable. Quant à son développement mental... J'ai déjà vu, ou entendu parler de ce genre de choses chez des enfants maltraités, ou potentiellement abusés... »

Je détourne le regard de l'enfant juste suffisamment pour accrocher l'oeil unique de ma Cheffe de Clan, que je considère comme une égale en devenir, aussi bien que comme une personne chérie car élevée par mes soins, juste le temps de lui lancer un regard sceptique et dur, puis de reprendre sur un ton qui m'est plus habituel et cassant :

« Je sais bien à quoi tu penses, et ce n'est pas un bébé Griffo. Cette fille a un sérieux problème et il lui faudra des années pour s'en remettre, si elle s'en remet, ce qui est loin d'être joué. On ne peut pas récupérer toutes les âmes errantes qui croisent notre chemin, et qui plus est, que peut-elle bien apporter au Clan, en l'état ? Non, vraiment, la nature est ainsi faite, les faibles doivent être laissés à leur sort, et il te faut penser au bien-être du Clan avant tout, Kanaeko, tu en la Cheffe ! »

Je n'aime pas l'attente, ce qui n'est un secret pour personne. Pourtant, je suis loin d'être sur des charbons ardents. Je me sais dans mon bon droit, pour la simple et bonne raison que je ne fais que lui exposer les arguments auxquels elle sera confrontée si elle fait effectivement ce à quoi je pense. D'autant que, si la Déesse n'avait pas voulu que nous la trouvions, nous ne l'aurions pas trouvé, et elle serait bel et bien morte, à l'heure qu'il est. Que cela ait été une bonne chose ou non, au demeurant. Je ne lui mens pas, elle est la Cheffe, et je veux qu'elle prenne ses propres décisions, quitte à la soutenir ou à lui faire entendre mon avis par quelques mots choisis par la suite. Il ne sera pas dit que je dirige les Ereshaï à sa place. Le rôle de Chemenn est déjà suffisamment difficile, je n'ai pas besoin du sien en plus...