Aux grands maux, les grands remèdes

L'héritier parfait

Aux grands maux, les grands remèdes – 20eme jour d'Automne 1650

Une réception, un évènement mondain, organisé par des personnes de marques et destiné aux personnes de marques. Avoir été invité à un tel évènement, sur Ileval qui plus est, confirme le succès dont fait preuve la famille Celes. A vrai dire, ma présence n’est pas nécessaire, il ne s’agit généralement que d’une façon pour ces familles d’exhiber leurs richesses, ou d’annoncer un évènement quelconque. Pourtant, j’ai bien l’intention d’y assister, chaque occasion est bonne pour traiter avec les familles nobles et faire connaitre mon nom.

Seulement, il y a bien un petit problème…

« Et donc, ce que vous me dites… c’est qu’il y a une dame qui se montre trop insistante envers vous ? »

Mon cousin, Stephen, se remet à rire de plus belle. Il est bien la seule personne qui se permet d’être aussi ouvert face à moi, mais il sait que notre complicité n’est plus à prouver.

« Ne riez pas, la situation est plus délicate que cela. »

« Vous êtes bien la seule personne qui puisse se plaindre de trop de popularité auprès de la gente féminine. »

« Je ne m’en plains pas, non. Seulement cette dame est… disons que je suis peu réceptif à son charme. Mais je ne peux pas simplement la refuser, ce serait risquer de l’offenser et elle est une figure importante sur Ileval. »

Pourtant j’ai déjà bien essayé de lui faire comprendre mon désintérêt, mais elle n’a jamais cessé de m’écrire. Je peux difficilement faire plus clair sans être trop direct…

« Vous pourriez toujours vous faire accompagner, elle abandonnera certainement si elle vous pense… indisponible. »

Voilà une excellente idée… Je peux toujours compter sur ce garçon pour trouver des solutions peu conventionnelles. Cela dit, le problème reste entier. Où trouver une femme qui accepterait de prendre ce rôle l’espace d’une soirée ? Je ne peux pas demander à n’importe qui, il doit s’agir d’une personne capable de paraitre à sa place dans une telle réception, mais également inconnue de la petite-noblesse de la région…

« Je conn… On m’a parlé d’une femme sur Ileval qui pourrait convenir. Mais il faudra certainement y mettre le prix… »

Curieux… mais néanmoins intéressant. Si cela peut me permettre d’assister à cette réception l’esprit léger, je suis prêt à tenter ce que Stephen me propose.

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Quelques jours plus tard

Je pose enfin un pied sur la terre ferme, bien content de quitter le navire qui m’a emmené jusqu’ici. Le voyage s’est déroulé sans encombre, mais l’agitation de la mer ne me réussi aucunement, et même mes nombreux voyages d’affaires ne m’y ont pas habitué.

Mes escortes et moi arrivons rapidement à l’auberge où nous séjournerons, à proximité du port et du manoir où se déroulera la réception. Pourtant, le repos attendra, avant cela j’ai une course à effectuer… J’indique à mes esclaves de patienter ici, me vêtis d’une tunique cachant en partie mon visage, et quitte l’auberge sans écouter leurs protestations. Les indications de mon cousin sont clairs, et je retrouve rapidement l’endroit auquel il faisait allusion, à savoir…

Un bordel ?!

Ainsi donc cette femme qui pourrait convenir au rôle est une prostituée ? J’ai du faire fausse route, mal suivre ses directions… Non, je suis bien au bon endroit, il ne s’agit pas d’une erreur. Pourtant, je m’imagine mal me présenter à un tel évènement accompagné d’une fille de joie… Ceci explique l’embarras de Stephen à sa mention. Soit, il est trop tard pour rebrousser chemin, à présent je n’ai plus qu’à faire confiance à mon cousin, et espérer que ma compagne de circonstances soit capable de jouer son rôle un tant soit peu correctement.

Soulagé que mon visage soit couvert, je pénètre dans l’enceinte du bâtiment et me dirige directement vers le propriétaire, facilement reconnaissable par son air distingué comparé aux… employés, dirons-nous.

« Je viens de la part de Sieur Stephen. »

« Oh, je vous attendais. J’ai été averti par courrier. Suivez moi. »

Il m’emmène dans une pièce à l’arrière, vraisemblablement son bureau. Je le suis sans discuter, et il referme la porte derrière nous.

« Vous comprenez bien que Calliopée n’est pas donnée à tout le monde ? D’autant plus pour une soirée entière. »

Sans un mot, je dépose une bourse devant ses yeux ébahis. Il aurait du comprendre qu’une telle demande n’allait pas provenir de n’importe qui, mais apparemment la surprise est pleine. Il attrape la bourse et se met à compter pièce par pièce, avant de lever de nouveau le regard.

« Très bien, marché conclu. Demain, au couché du soleil, venez la récupérer et elle est toute à vous. »

« Non, dites lui de me rejoindre à l’intersection de la rue. Et vous avez été averti quant à la tenue qu’elle doit porter, n’est-ce pas ? »

« Parfaitement. Sur ce, c'est un plaisir de faire affaire avec vous. »

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Le lendemain

Le soleil est presque couché, disparaissant lentement à l’horizon en projetant ses derniers rayons sur les nuages au loin, leur donnant une teinte rosée. Ma compagne ne devrait plus tarder à présent. Je me tiens à l’intersection de la rue comme convenu, là où la lumière ne m’atteint pas, assez bien dissimulé pour que nul ne puisse être témoin de notre rencontre. Si la mauvaise personne assiste à notre échange, cela pourrait compromettre bien des choses, dont mon honneur. Un soupire s’échappe d’entre mes lèvres… Tout ceci s’avère bien compliqué et risqué pour si peu.

Quelques minutes plus tard, une jeune femme quitte la maison close, que je reconnais immédiatement comme la personne que j’attendais. Un inconnu se méprendrait sans le moindre doute, et verrait là une dame tout ce qu’il y a de plus noble. Sa beauté quant à elle vaut chaque piécette dépensée, et certainement plus encore. Quant à son attitude, sa démarche, tout en elle inspire la noblesse. Stephen ne se moquait absolument pas de moi…

Je me ressaisi rapidement pourtant, soucieux de mon image comme d’habitude.

« Vous êtes Calliopée, n’est-ce pas ? Mon nom est Ethan, vous serez ma compagne pour la soirée. Hâtons nous, la réception a déjà commencé.»

Fille de joie

AUX GRANDS MAUX, LES GRANDS REMÈDES
20ème jour d'Automne 1650

Point de vue de Calliopée Kanpios

S'il y a bien quelque chose que Calliopée n'aimait pas du tout, c'était qu'Hélios prenne des contrat pour elle dans son dos. Oh, généralement elle n'avait finalement pas à se plaindre, mais quand il s'engageait auprès d'un client que sa plus jolie rose serait le temps d'une soirée sa dame de compagnie, cela l'agaçait au plus haut point. Elle avait eut beau lui dire plusieurs fois que son métier était fille de joie, il trouvait toujours le moyen de la confier à des hommes ayant la nécessité d'avoir une jolie fille à leur bras pour quelconque réception. En plus de cela, Calliopée avait en horreur les dites réceptions bourgeoises. Elle ne se sentait pas à sa place, dédaignant plus que tout les femme "comme-il-faut", parfait modèle de vertu et de perfection à l'image d'Hygérie.

Mais l'argent était l'argent, et lorsqu'une de ces sorties offrait à la jeune femme un très joli pactole à la fin de la journée, elle était bien obligée de ne rien dire et de se contenter d'accepter. C'était donc ce qu'elle avait été contrainte de faire après qu'Hélios lui ait bien fait comprendre qu'il s'agaçait de ses manières et que n'importe quelle autre fille de joie serait ravie de sortir un peu du bordel et faire autre chose que satisfaire des hommes à longueur de soirée. Mais Calliopée aimait son métier, et même s'il s'en rendait bien compte, la jeune femme se demandait de plus en plus si Hélios ne profitait tout simplement pas d'elle, de sa beauté, de ses charmes et de sa popularité. Une popularité qui pourrait pourtant porter préjudice aux hommes la demandant comme dame de compagnie, puisqu'elle était connue dans Îleval et que se présenter à son bras ne ferait pas forcément le meilleur effet. Du moins... En théorie, puisque admettre connaître la putain c'était admettre avoir recours aux services d'un bordel, et cela entachait la réputation. Alors ils ne disaient jamais rien, se contentant de reluquer d'un oeil inquiet le couple qui paradait dans les salles de bal et autres mondanités absolument ennuyeuses.

Elle espérait qu'il n'en serait pas de même ce soir là, bien qu'elle n'avait que peu d'espoir de passer une bonne soirée. Hélios lui avait transmit une robe magnifique, très habillée avec un corset soigné. Une fois habillée, elle ressemblait réellement à une demoiselle de bonne famille, seuls ses longs cheveux lisses et blancs lui donnaient toujours un air indomptable et sauvage. Heureusement, les domestiques de l'établissement s'étaient affairés à la coiffer. Désormais, elle était prête à sortir, elle ne se reconnaissait presque plus dans le miroir de sa chambre. Ses cheveux avaient été relevés, deux tresses partaient de ses tempes et venaient se joindre dans le superbe chignon qu'on lui avait fait. Elle se laissa aller un instant, appréciant à moitié l'allure de jeune femme de bonne famille qu'elle admirait dans son miroir. Mais le soleil commençait à entamer sa descente, et elle devait déjà partir, un retard à son rendez vous ne serait pas du meilleur effet.

Elle quitta l'établissement accompagnée d'un escorte des Roses. Elle ne l'appréciait pas, mais ce n'était pas de sa faute : le seul escorte qu'elle désirait, c'était Irvhin. Kaldrok était bien aimable, elle n'avait rien à redire là dessus, mais il n'était pas Irvhin. Après une dizaine de mètres de marche, elle se retourna vers le torkos.

« Ca suffit Kaldrok, rentre aux Roses je n'ai pas besoin de tes services.
- Le maître a dit que...
- Je me fiche de ce que Hélios a demandé, je t'ordonne de me laisser seule, est ce suffisement clair ?
- Oui mademoiselle. »

Le regardant s'éloigner, la jeune femme soupira. Elle n'avait pas été aimable, mais il était suffisamment pénible pour elle de devoir aller dans une réception bourgeoise sans en plus se sentir épiée à chaque moment de la soirée.

Il ne fallut que quelques minutes à Calliopée pour apercevoir celui qui serait son compagnon pour la soirée. Sa fière allure et son charme mirent la fille de joie un peu plus à l'aise et elle se sentait déjà moins réticente, après tout peut être qu'elle pourrait gagner un client de plus ce soir là. Tachant de ne pas être désagréable, elle adressa un large sourire au dénommé Ethan.

« Ravie de vous rencontrer, Ethan. J'espère ne pas vous avoir fait trop attendre, je vous suis. »

L'héritier parfait

Le trajet se fait dans le plus grand silence, si ce n’est le son des talons de Calliopée qui heurtent les pavés. A plusieurs reprises, je me surprends à observer la jeune femme qui se tient à mes côtés, avant de détourner le regard de crainte qu’elle ne le remarque. Il est difficile de croire que cette femme soit une fille de joie, tant elle semble à l’aise dans son rôle de noble dame… Soit elle est une actrice hors pairs, soit elle n’est pas une prostituée comme les autres. Quoi qu’il en soit, Stephen ne m’aura pas déçu, même si l’idée qu’on me voit dans une réception en compagnie d’une telle personne m’inquiète quelque peu.

Nous arrivons rapidement face à la demeure qui accueille l’évènement, un manoir dont la taille impressionnante reflète le statut de son propriétaire. Il fut un temps où une telle vue m’aurait intimidé, mais c’est devenu une chose presque banale, le quotidien de n’importe quel noble qui se respecte. A l’entrée, devant un portail dont la taille fait écho à celle du manoir, deux hommes se tiennent tels des gardes, ne laissant pénétrer dans l’enceinte du domaine que ceux qui possèdent une invitation. Avant de me présenter à eux, je laisse Calliopée agripper mon bras pour compléter l’image du couple que nous devrons jouer tout au long de cette soirée.

A l’intérieur, ce qui se présente à nous est une réception tout à fait classique. Au fond de la salle, un orchestre fournit un fond musical des plus agréables, tandis que des mets de toutes sortes sont présentés sur des tables disposées un peu partout dans la pièce. Les convives quant à eux sont engagés dans des conversations plus ou moins importantes, certains se contentent de sociabiliser, d’autres profitent de l’occasion pour gagner des partenaires et autres alliés commerciaux ou politiques. A vrai dire, sous des airs de fêtes mondaines, ces événements peuvent se révéler être de véritables champs de bataille. Ici chaque mot à son importance, comme chaque sourire ou regard. Pourtant j’ai appris à vivre dans ce monde, j’ai même été élevé dans ce but… mais cette fois je dois prendre un compte un facteur incertain : Calliopée.

« Restez près de moi et faites vous discrète, je vous prie. »

Calliopée s’est comportée en parfaite noble jusqu’à présent, jouant son rôle à la perfection, et ce jusque dans sa façon de s’exprimer. Mais il m’est difficile de lui accorder mon entière confiance, surtout que nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur. Moins elle se fait remarquer, moins il y a aura de risque que nous soyons percés à jour.

« Sieur Celes ! Bienvenue. Je suis ravi de pouvoir vous compter parmi nous ce soir. »

Reid Lemieux, le propriétaire du domaine et organisateur de la réception, s’approche de nous un grand sourire sur le visage. Un homme riche et puissant sur Ileval, un personnage dont j’ai tout intérêt à gagner les faveurs. Une des raisons pour lesquels je suis venu aujourd’hui à vrai dire. Je lui retourne un sourire et nous partageons une poignée de main. Il se retourne ensuite pour saluer la dame qui m’accompagne, mais je remarque une soudaine hésitation et la surprise passe sur son visage l’espace d’un instant. Mais tout professionnel qu’il est, il se ressaisit rapidement, à tel point que peu de gens auraient pu déceler quoi que ce soit. Finalement, nous échangeons rapidement quelques mots et politesses avant qu’il ne nous quitte pour aller voir d’autres convives.

« … Vous connaissez cet homme n’est-ce pas ? »

Je détaille ma compagne d’un air calme tandis qu’intérieurement, l’inquiétude commence à s’emparer de mon esprit…

» Entre flux et grands lacs [Manaki]

Aux grands maux, les grands remèdes

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