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 Poignardée dans le dos [Attention PA]

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Fille d'Hygérie au coeur rebelle
Victoirine Revaurent
Victoirine Revaurent
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MessageSujet: Poignardée dans le dos [Attention PA]   Poignardée dans le dos [Attention PA] Icon_minitime28/6/2018, 20:29

Poignardée dans le dos - Hiver 1651 - Domaine d'Opale


C'était une belle journée d'hiver, comme Victoirine les aimait. Les températures étaient négatives, mais le soleil rayonnait dans un ciel parfaitement bleu. Le froid mordait ses joues, rosies par la marche, et des volutes de buées s'échappaient à travers ses lèvres. À quelques pas devant elle, sa chienne trottinait joyeusement, en remuant la queue et en flairant l'air de temps à autre. À ses côtés, Amaryllis pépiait comme le petit oiseau qu'elle était, exprimant ses pensées et ses émotions d'une voix légère et aiguë. Toujours de bonne humeur, la jeune fille ne semblait jamais pouvoir s'arrêter de parler. Elle s'exprimait sur tous les sujets, trouvait toujours une phrase aimable à adresser aux passants qu'elles croisaient, s'extasiait de tout ce qu'elle voyait. Sa joie de vivre était touchante et communicative. C'était cette qualité qui l'avait rendue si spéciale aux yeux de Victoirine, alors qu'elle cherchait à prendre sous son aile une novice du temple, pour l'accompagner dans ses premières marches à travers Archipel. Elle avait eu besoin de la fraîcheur d'Amaryllis pour sortir la tête de l'eau. Pour se concentrer sur les plus belles choses de la vie. Pour oublier la noirceur qui l'avait assaillie à Valgöor...

Victoirine et son apprentie revenaient d'une mission confiée par le temple qui les hébergeait depuis près d'une semaine. La jeune femme avait presque terminé l'apprentissage de sa novice : elle l'avait accompagnée dans tous les domaines d'Archipel, lui avait enseigné les principales coutumes propres à chaque grande ville, lui avait transmis son savoir, ses connaissances et ses conseils. Elle l'avait même emmenée jusqu'à la cité libre de Givregöor, où nombre de ses amis torkos résidaient depuis que Valgöor avait été détruite... Amaryllis ferait une excellente prêtresse, Victoirine en était persuadée. Le lendemain, elles partiraient pour la Capitale, prendraient un bateau pour rentrer au temple de Belhovre et Victoirine dirait aux supérieures que son apprentie était prête. Que son statut de marcheuse pourrait être officialisé. Un sentiment de fierté emplissait la jeune femme quand elle pensait à ce moment qu'Amaryllis attendait avec impatience...

Mais la vie est parfois une belle raclure.

Elles n'étaient pas rentrées depuis plus d'une demi-heure quand l'Impardonnable se produisit. Elles auraient pu être encore en chemin, si elles avaient pris un repas à l'auberge. Ou si l'accouchement n'avait pas été aussi facile et rapide. Des « si » qui lui auraient évité de vivre un cauchemar éveillé, Victoirine en trouverait des dizaines par la suite. Mais elles étaient là, toutes les deux, et elles riaient avec leurs soeurs quand la tranquillité de leur quotidien fut rompue. D'abord, elles entendirent les aboiements frénétiques de Baïka, restée à l'extérieur. Le temps de réaliser, elles ne les entendirent déjà plus. À la place, elles entendirent le cri d'une femme - une hyranne, comme elles le comprirent très rapidement. La panique submergea les prêtresses quand les cris se multiplièrent et que des Torkos armés s'introduisirent dans l'enceinte du temple.

Victoirine réagit au quart de tour. Elle empoigna Amaryllis par le bras et l'entraîna à travers les couloirs pour rejoindre la sortie la plus proche. Le cœur de la prêtresse battait à tout rompre, ses tempes explosant à chaque battement. Son rythme cardiaque martelait son cerveau, brouillait ses esprits... et en même temps, elle n'avait jamais eu l'esprit aussi clair qu'en cet instant. La terreur était totale. Elle savait qu'elles mourraient si elles ne sortaient pas d'ici.

Elle s'entendit hurler à Amaryllis de se sauver quand elles tombèrent nez à nez avec un homme barbu, les yeux déments et le sourire féroce. Elle la repoussa derrière elle, lui répéta de courir, puis fit volte-face. Elle allait mourir, ici et maintenant. Elle allait sans doute être violée avant. Mais elle pouvait donner du temps à Amaryllis, une poignée de secondes d'avance... Elle fonça sur le Torkos et le poussa violemment. La surprise, autant que la charge, le fit reculer de quelques pas. Bien. Victoirine se positionna et envoya son poing dans la figure du type - comme le lui avait appris son ancienne amie Artha. L'attaque, moins que la surprise, fit mouche. Victoirine fit à nouveau volte-face, et essaya de se sauver, mais fut violemment tirée en arrière par les cheveux.

Sale chienne, tu vas me le payer.

Elle hurla en se tenant la tête, se débattit comme un animal déchaîné, avant de recevoir un coup de poing dans le ventre qui lui coupa le souffle. Le Torkos lui assena ensuite une gifle si violente qu'elle cracha du sang et tomba par terre. C'est là qu'elle réalisa qu'il y avait deux paires de bottes - et non une seule. On la releva presque aussi sec en la tirant par les cheveux et elle hurla une fois encore. Quelqu'un qu'elle n'avait pas vu la tenait par-derrière, tandis que l'homme barbu lui assenait une nouvelle gifle. Avec violence, il lui arracha son chemisier. L'hyranne vociféra de plus belle, rua dans les brancards comme un cheval possédé, ce qui lui valut un autre coup de poing au visage. Le Torkos pressa avec force l'un de ses seins nus et Victoirine gémit de douleur, à moitié sonnée. Elle reprit toutefois suffisamment ses esprits pour lui cracher au visage quand il approcha sa figure de la sienne. Ses réactions semblèrent amuser le Torkos, dont le sourire carnassier s'étira encore davantage. Il s'essuya le visage d'un revers de la main, avant de venir frapper l'hyranne dans l'estomac. Sous l'effet de la douleur, Victoirine fut pliée en deux, la respiration coupée. Elle haleta, sans parvenir à reprendre son souffle, et du coin de l'oeil, vit qu'un troisième Torkos ramenait Amaryllis vers eux. Elle sentit le désespoir l'envelopper toute entière. Elle essaya de prononcer le nom de son apprentie, mais ce ne fut qu'un son rauque coincé dans sa gorge. Amaryllis était terrorisée, le visage baignant de larmes. Son regard était ivre de peur et de désespoir...

Le Torkos derrière Victoirine l'empoigna par les cheveux et l'obligea à se redresser, afin de lui glisser quelques mots à l'oreille.

– T'as du cran pour une femelle de ton espèce... J'aime ça. Une femme. C'était une femme. Elle laissa volontairement un silence traîner. J'dirais à mes gars de pas t'sauter.

Une vague de répugnance vibra dans chaque parcelle de son être. Elle sentit avec dégoût la langue de la femme venir lui sucer le lobe, puis lui lécher toute l'oreille, avant de venir lui écraser la face contre un mur. Victoirine laissa s'échapper un nouveau cri de douleur. Les larmes commencèrent à ruisseler sur son visage quand elle vit Amaryllis étendue sur le sol, un homme souillant son corps avec ses va-et-vient. Elle cria, hurla, tenta de se soustraire à l'étreinte musclée de la Torkos... mais la guerrière l'éloigna du mur pour mieux venir l'écraser à nouveau contre la brique. Victoirine pleura, gémit... implora qu'on laisse son apprentie. Un deuxième homme prenait déjà la relève du premier.

– Ferme ta gueule ! ordonna la guerrière. J'pourrais encore changer d'avis.

Du sang coulait de son arcade sourcilière ou de sa pommette, elle ne savait pas vraiment, mais elle sentait le goût métallique et poisseux se répandre sur ses lèvres, se mélanger dans sa bouche au goût salé de ses larmes et de sa morve. La douleur physique était moins difficile à supporter que l'atroce spectacle auquel se livraient les Torkos sur le corps d'Amaryllis. Elle voulut fermer les yeux, mais les cris de ses soeurs continuaient de la harceler. La Torkos la secoua et l'obligea à regarder. Pendant un moment, l'esprit de l'hyranne sembla flotter au-dessus de la pièce et elle se sentit totalement absente, étrangère à la scène. Comme si elle la regardait de loin. Comme si elle n'était pas présente.

L'étreinte finit par se relâcher et Victoirine se sentit tomber. Ils avaient terminé ce qu'ils étaient venus faire. La jeune femme réalisa avec horreur qu'elle n'entendait presque plus rien, seulement quelques gémissements, seulement quelques pleurs. Malgré la peur qui lui liquéfiait les entrailles, elle avisa d'un coup d’œil les alentours. Pour la plupart, les autres prêtresses qu'elle apercevait depuis sa position gisaient dans des mares de sang. Mortes. Mutilées. Violées. Victoirine se fit violence pour ne pas vomir. Par réflexe, elle se retourna pour voir enfin le visage de la Torkos. Elle imprima chaque détail de son physique. La rage faisait trembler son corps.

– J'te retrouverai, s*lope. J'te retrouverai et j'te crèverai.

La femme lui répondit d'un rire moqueur, tonitruant. L'un de ses hommes s'approcha de Victoirine, qui se ramassa contre le mur, et la fit taire d'un coup de pied dans les hanches.

– J'en doute, ma jolie, conclut la Torkos. Brûlez-moi tout ça, ordonna-t-elle à ses hommes, en quittant les lieux.

La panique submergea à nouveau Victoirine. Pendant que les derniers Torkos s'activaient, elle rampa jusqu'à Amaryllis. La jeune fille était à peine vivante, couverte de sang - son propre sang, mais aussi celui d'autres religieuses - et d'ecchymoses, le visage tuméfié, les lèvres fendues. Victoirine la secoua avec prudence, caressa son visage en pleurant, puis se redressa en ignorant sa propre douleur. Les derniers Torkos avaient fui, et le feu commençait déjà à se répandre, à lécher les poutres du plafond et le bois de la toiture. Au prix d'un effort ultime, et d'une abnégation sans nom, Victoirine releva son apprentie sur les jambes, passa son bras autour de ses épaules, et la traîna jusqu'à la sortie. Le bâtiment ravagé par les flammes, la toiture s'effondra quelques minutes plus tard sous les yeux des cinq ou six survivantes qui avaient réussi à s'extraire à temps, sous le regard impuissant des élites qui arrivaient trop tard, sous l’œil blessé de la Déesse Hygérie.

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