Les « amis » et connaissances proches d'Häagen sont limitées et s'il devait en relever quelques-unes, il n'en citerai pas plus d'une poignée à commencer par sa maîtresse et le père de celle-ci.

Habeth Hurlevent : Si Häagen devait nommer la personne avec laquelle il s'amuse le plus, c'est sûrement celle-ci qu'il nommerait... et il n'hésiterai pas une seconde. Assez étrange, compte tenu de leur relation maître à esclave, pourtant il la considère avant tout comme une amie pour qui il se plie en quatre plutôt que sa « maîtresse ». Il emploi le terme pour convenir aux exigences des Mésorians mais n'emploie jamais ce mot pour la désigner, en lui-même. Habeth est une amie, une amie casse-couille avec un caractère de merde et des exigences nombreuses et variées, mais une amie quand même. Et il prend plaisir à échanger des mots, à jouer la comédie, à la suivre tranquillement en lâchant quelques remarques assassines d'un ton innocent lorsqu'il peut se le permettre. Il sait lui appartenir aux yeux de la loi Mésorienne mais il sait également que s'il l'est, c'est uniquement parce qu'il le veut bien et qu'il a accepté ce bracelet qui trône à son poignet. Habeth est le genre d'amie qu'on adore détester, qu'on déteste en riant, qu'on insulte pour mieux la câliner, avec qui on peut discuter potin et prendre un malin plaisir à insulter quelques filles de la cour en critiquant méchamment son style et ses manières. Une compagnie agréable en somme, sans faux semblants. Elle ne lui cache pas sa condition d'esclave – lui rappelant même dès qu'un trou ose orner l'une de ses chaussettes – et se révèle parfois infecte mais il préfère cela. Ainsi, Habeth occupe la place d'amie et maîtresse... mais peut-être pas celle de confidente au risque de retrouver ses propres secrets au détour d'une conversation anodine qui deviendra rapidement un véritable piège à loup. Il connaît les limites, il connaît Habeth... et cela lui convient, il se sent à l'aise en sa compagnie.

Bravelin Hurlevent : Sujet intéressant s'il en est. Le père d'Habeth Hurlevent ou celui qui l'a découvert et ramené chez lui pour le présenter à sa protégée, celle qui deviendrait rapidement sa maîtresse, son bourreau et son amie. Gentil et intéressant bien qu'un peu trop naïf sur les bords, Bravelin fait parti de ces hommes qu'Häagen apprécie sincèrement et pour qui il tuerai sans hésiter si l'homme manifestait un jour le besoin de ses talents. La relation qu'il entretien avec Bravelin est aussi étonnante que celle qu'il a avec sa fille. Une espèce de complicité née de ce qu'ils savent tous les deux : vivre au service d'Habeth est une torture aussi bien physique que psychologique, mais c'est une blague entre eux qui ne cesse de les ravir, surtout lorsqu'ils peuvent en faire « profiter » la concernée. En dehors de ce sujet, ils entretiennent une amitié simple et sans fioriture, teintée d'une légère distance rendue obligatoire par le statut d'esclave d'Häagen.

Durant une bonne partie de sa vie, Häagen a vécu dans une de ces zones libres où vivent les Torkos ayant été libérés par leurs maîtres. Né d'une femme au caractère bien trempé et d'un homme de passage, Torkos désirant profiter de sa liberté pour découvrir le monde, Häagen n'eut que sa mère pour l'élever mais ce fut bien suffisant. Zorka était une femme dure au physique de lutteur, des épaules larges et des muscles qui révélaient une vie nécessitant des capacités physiques au-delà de ce qu'une femme commune aurait pu posséder. Même pour une Torkos, Zorka était forte... forte et respectée. Ce fut presque comme une mauvaise blague lorsque Häagen grandit, révélant un physique aussi gracile que celui de sa mère était massif. Là où elle pouvait soulever des montagnes sans sourciller, il peinait à exécuter les tâches les plus banales et bien qu'il possédait – comme tout un chacun – des capacités physiques plus importantes que les Mésorians ou les Okanakis, il ne sortait pas du lot. Pas de force extraordinaire pour lui, donc. En revanche il révéla un talent indubitable pour l'endurance travaillant toute la journée pour parvenir à un résultat qui lui conviendrait, acharné et déterminé, ne lésinant pas sur les efforts et se montrant bien plus volontaire qu'on aurai pu s'y attendre avec son caractère un peu particulier.
Si sa mère était dure et forte à la manière d'un roc sur lequel s'appuyer, Häagen fut une fois de plus son exact opposé ou presque. Il était digne de confiance, c'était indubitable, mais il était aussi sinueux et moqueur, des sourires sarcastiques aux lèvres, sa langue acérée lâchant des commentaires acides à ceux qui ne lui plaisaient pas. Se moquant pour mieux disparaître lorsque les insultés tentaient de s'en prendre à lui. Rapide et agile, il se faufilait là où personne n'aurait pu le suivre, gagnant du terrain sans s'essouffler pour retourner chez lui et reprendre les activités que sa mère voulait bien lui donner. En somme, il était... un garçon comme les autres, si ce n'était son physique de gringalet sous développé.

Il grandit aux côtés de sa mère, l'aidant dans les tâches de tous les jours, participant à la vie de tous les jours avec une bonne volonté que les autres gamins de son âge n'étaient pas toujours enclins à offrir. Il ne rechignait pas à la tâche, appréciant le travail bien fait et d'être constamment occupé. Il n'était clairement pas quelqu'un pouvant rester sans rien faire, se reposant sur ses lauriers à attendre que tout lui tombe tout cuit dans la bouche et ce fut une des raisons pour lesquelles il sut être apprécié par les autres membres du village.
Malgré les capacités reconnues de son peuple pour le combat, Häagen ne se découvrit aucun talent pour le hache ou le marteau, il manipula avec un peu plus d'efficacité l'épée mais il devait se cantonner à une lame longue et fine destinée aux estocs et à la précision qu'aux frappes brutales et violentes. Même avec cela, il ne se révéla pas un élève exceptionnel, restant dans la moyenne. Néanmoins, s'étant découvert une discipline dans laquelle il s'était découvert quelques possibilités, il développa des trésors de patience et d'acharnement pour parvenir à un niveau de maîtrise assez élevé pour pouvoir prétendre à se défendre en dehors du village. Et en effet, sa lame effilée trouva plus d'une fois son chemin jusqu'à la gorge de ses adversaires lors des entraînements, son corps souple et agile se cantonnant hors de portée des attaques jusqu'à ce qu'il trouve l'opportunité parfaite pour passer à l'offensive.

Il lui fallu attendre ses dix neuf ans pour découvrir ce qu'il était destiné à tenir entre ses mains habiles aux longs doigts d'artiste. Un campement d'Okanakis s'était déplacé jusqu'à eux, il était assez éloigné pour ne pas être visible mais quelques heures de route d'une bonne marche suffisaient pour les rejoindre... et Häagen n'attendit pas longtemps pour satisfaire sa curiosité maladive. Il se posta aux abords du camp, se planquant avec cette habileté qu'il savait posséder, surveillant, observant, accumulant tout ce qu'il pouvait apprendre juste en regardant ces créatures étranges qui évoluaient sous ses yeux. Il s'était toujours vanté de pouvoir se faufiler n'importe où et de passer inaperçu, capable de surprendre jusqu'aux plus attentifs.

Tel est prit qui croyait prendre.

« - Je peux satisfaire ta curiosité ? »

Dire qu'il avait fait un bond en entendant ces mots serai un doux euphémisme. Il sursauta si fort qu'il dégringola de son perchoir, s'écrasant au sol avec l'élégance d'une charrette à deux roues, et pas les bonnes. Cette journée marqua le début de nombreuses escapades le menant jusqu'au campement où il apprit certaines coutumes Okanakis, apprit de nouveaux mots – après tout, il avait été limité par les connaissances des membres de son village – et engloutit tout ce qu'il pu apprendre. Il resta des journées entières, silencieux et attentif, observant ces gens évoluer entre eux et manipuler des outils dont il n'avait aucune connaissance. C'est ainsi qu'il apprit que les épées n'étaient pas les seules lames que l'on pouvait brandir pour blesser. Il fit la connaissance des Tolohoks, des lances, bâtons longs à la pointe effilées et... ce qui devint la seule arme par lequel il jurera.
Sa première rencontre avec un arc se fit du mauvais côté de celui-ci, lorsqu'une flèche manqua de lui arracher la moitié du visage, se plantant dans un son bref et définitif dans le bois d'un arbre, derrière lui. Le propriétaire n'était pas ravi d'être surveillé ainsi par un étranger. Après cela, Häagen n'eut de cesse que de questionner autour de lui, d'en apprendre davantage. Il finit par convaincre quelqu'un de lui apprendre à tirer... et celui-ci fut forcé d'admettre que si Häagen n'était pas né avec un arc entre les mains, c'était uniquement dû à l'infortune qui l'avait fait naître dans le mauvais peuple. Quelques minutes seulement lui furent nécessaire pour appréhender les bases, il n'écouta à aucun moment les recommandations de celui qui lui avait si gentiment prêté son arme. Parce qu'à l'instant où ses doigts effleurèrent le bois lisse de l'arc, au moment précis où son bras tendit la corde, ressentant la tension qui s'y nichait progressivement, il oublia tout. Il oublia sa mère qui allait probablement lui reprocher d'avoir disparu une fois de plus, les habitants de son village, les gamins de son âge qui se moquaient de lui et de sa nullité au maniement des armes communes Torkos, il oublia le bruit... et sentit intensément le vent, le bois, le nerf de bœuf sous ses doigts. À aucun moment son bras ne trembla sous la tension vibrante de la corde et la flèche qu'il avait encochée trouva naturellement le chemin de la cible prévue. Il n'en toucha pas le centre mais il n'en était pas bien loin et le sourire qui étirai ses lèvres était alors emprunt d'un joie si intense que celui qui s'était improvisé comme son « maître » fut incapable de le lui faire remarquer. Il éclata de rire, caressant le bois lisse dans un geste amoureux.

« - J'en aurai un, déclara-t-il avec assurance, son regard rivé à l'arme. Et il sera fait selon vos coutumes. »

Dire qu'aucun Okanaki n'apprendrai à un étranger l'art de créer un arc selon leurs procédés était inutile. Häagen était déjà connu au sein du campement et même si ça n'avait pas été le cas, sa détermination et son acharnement était déjà devenu célèbre. Personne n'aurai sut l'en empêcher à moins de le tuer.

À vingt ans il posséda son premier arc. Il le nomma Vol d'Argent et tailla ses premières flèches sous les conseils avisés de celui qui l'aida à créer son arc.
L'arc « Argent » ne fit pas long feu. Il accompagna Häagen durant une année où il resta à son village, continuant d'aider aux travaux du jour ou de la nuit. Il s'éloignait souvent lorsque le besoin s'en faisait ressentir, s'aventurant toujours plus loin, les paysages vides de présence humaine apaisant son esprit et le tir à l'arc lui permettant de se vider la tête lorsqu'il commençait à trop réfléchir. Rester au village était une nécessité mais à mesure que le temps passait, il avait de moins en moins envie de s'y attarder. Sa mère vint le rejoindre une nuit où il s'était installé sur un rocher surélevé par rapport au reste de la zone, s'installant derrière lui, ses jambes aux cuisses musclées passant de part et d'autres de son corps. Chaque fois qu'elle faisait cela, collant sa poitrine contre son dos, ses bras noueux aux muscles épais s'enroulant autour de son torse, il se sentait redevenir un gamin de quelques années. Pourtant il se laissa aller contre elle en souriant tranquillement, apaisé, le regard rivé sur l'horizon. Contrairement à ce que tout le monde pensait, Zorka était une mère affectueuse et plus câline qu'on l'aurai cru. Elle posa son menton sur son épaule, regardant elle aussi ce qui s'étendait loin devant elle et appuya sa tempe contre la sienne en soupirant.

« - J'ai toujours su que ta curiosité t'emmènerai loin de moi.
- J'ai toujours cru que ma curiosité te pousserai à m'assommer, lâcha-t-il avec moquerie. »

Elle éclata de ce rire si particulier, rauque et grave, indéniablement féminin mais emprunt de cette rugosité qui la rendait terrifiante même aux yeux des hommes.

« - Tu lui ressembles de plus en plus, lâcha-t-elle après quelques minutes d'un silence confortable.
- Lui aussi ressemblait à une crevette ?
- Tu m'irrites, gronda-t-elle. Mais oui. Une grande crevette. Il ressemblait à une lame courte, il était aussi inflexible et dur que l'acier, aussi tranchant et inévitable que la mort. Son regard pénétrant était du même gris que les tiens et parfois j'ai l'impression qu'il me regarde lui aussi. Tu as ses yeux et sa mâchoire, sa curiosité et son esprit. »

Elle se tut, fermant les yeux en appuyant plus fort sa tête contre la sienne, ses bras forts se resserrant autour de lui, le tenant plus fort contre elle.

« - Tu devrais partir. Voir le monde comme lui, tu n'es pas fait pour l'immobilité. Tu as besoin de voir le monde, d'apprendre. T'enchaîner ici serai un crime, acheva-t-elle dans un souffle grave. »

Ils restèrent ainsi, en silence, jusqu'à ce que Zorka ne se lève, ébouriffant ses cheveux comme elle avait l'habitude de le faire depuis toujours.

Le lendemain, il quitta son village, un sac de voyage sur l'épaule, son arc et ses flèches. Il n'avait pas grand chose mais c'était bien suffisant, il partit, sans un regard en arrière, impatient de découvrir et de parcourir le monde. C'est au court d'une partie de chasse que Vol d'Argent se brisa entre ses doigts. Le bois, imparfait et mal taillé était voué à se rompre, il l'avait toujours sut. Mais même si c'était le cas, voir son précieux arc voler en éclat lui fit mal.
Il en tailla un autre. Cela lui prit plus d'un mois pour réunir les éléments parfaits, il choisit le bois avec minutie, rejetant branche après branche jusqu'à trouver le morceau idéal. Il prépara la corde lui-même, la traitant avec tout ce qu'il avait apprit aux côtés des Okanakis jusqu'à parvenir au résultat qu'il attendait.

L'Arc se nommera Heimsgard et accompagnera ses pas depuis ce jour-là, entretenu soigneusement jour après jour, avec patience et attention constante. L'arme est un représentant parfait des siens, la courbure du bois est d'une élégance remarquable, de magnifiques gravure courant sur toute sa longueur.
Häagen déambula un peu partout sur les Archipel, restant toujours à distance des grandes villes, se contentant de quelques villages, se sustentant du fruit de sa chasse et jeûnant lorsqu'il fut incapable de se nourrir par lui-même. Il ne se rendit au contact des hommes que lorsque cela s'avérait nécessaire, marchant sur les traces de son père en parcourant la nature, apprenant de ses erreurs, certaines marquant profondément sa chair comme autant de rappels de ses échecs, souvenir impérissable de leçons durement apprises.

L'une de ces leçons lui laissa l'un de ces rappels dont il se serai bien passé. Il rôdait aux abords de la Chaîne des Épieux lorsque la forme monstrueuse d'un ours se profila à l'horizon. Ce n'était ni le premier qu'il rencontrait au fil de ses errances, ce n'était pas non plus le seul sur lequel il était tombé depuis qu'il se trouvait sur l'Île d'Épieux. Mais celui là avait quelque chose d'incroyable. Il était monstrueux, presque aussi grand qu'un homme alors même qu'il était encore à quatre pattes, il se déplaçait pesamment, son énorme masse contournant le flanc de la montagne comme il s'avançait vers Häagen. Figé par une terreur instinctive, le Torkos fixait intensément l'animal, notant la couleur inhabituelle de ses iris, la taille démesurée et l'expression intelligente nichée dans ce regard animal. Lorsque le plantigrade se hissa sur ses postérieures, se dressant du haut de ses deux mètres et des poussières, rugissant sa rage et ses avertissement, Häagen n'attendit pas longtemps pour tourner les talons et prendre la poudre d'escampette. Agile et rapide, il sauta du bord de la falaise, se réceptionnant habilement sur une corniche en contrebas avant de poursuivre sa désescalade avec l'agilité d'un habitué. Il gagna un sentier sécurisé, entrant sans attendre dans une faille qu'il avait exploité la veille pour se reposer. La pierre glacée ne lui faisait plus peur depuis qu'il avait apprit comment exploiter les ressources de la montagne, néanmoins il ne se sentait pas rassuré. Une terreur sourde s'était nichée dans ses os et il se recroquevilla contre la paroi de la montagne, cherchant le réconfort et la chaleur mais il ne trouva ni l'un ni l'autre.
Alors que la nuit reprenait ses droits sur le monde, le recouvrant de son drap sombre, Häagen se remémora ces contes et ces légendes mentionnant Bersok, le Dieu qui les avait abandonné, le protecteur des Torkos jusqu'à ce qu'il ne leur tourne le dos avec, pour unique excuse, leur défaite face aux Mésorians. Il secoua la tête, se refusant à croire ces sornettes et désirant par dessus tout ignorer ces menaces silencieuses qui pesaient sur sa conscience. Malédiction mon cul, il était hors de question que ces racontars de bonne femme l'empêche de dormir !

Il fut pourtant bien forcé d'y croire lorsqu'un éboulement le cueillit à la sortie de son refuge, l'emportant pour mieux l'envoyer s'écraser en contrebas sur un lit de pierre. L'avalanche de rochers s'échoua autour de lui dans un concert de sons rocailleux auxquels son cri fit échos lorsque l'un d'eux s'abattit sur son genou. L'os se brisa, écrasé, le monde restant sourd à ses hurlements ininterrompu comme la douleur le gagnait avec la puissance d'un ras de marée, emportant sa fierté, son orgueil et sa détermination, balayant sa résistance, ne laissant sur son passage que l'inconscience.

Il s'éveilla des jours plus tard, embrumé et épuisé, son corps perclus de douleur malgré son installation confortable dans un lit de fortune. Il se rappela, le regard rivé au plafond, les journées qu'il avait passé coincé au fond d'une gorge avant que quelqu'un ne le découvre là. Il s'était misérablement traîné jusqu'à un renfoncement dans la paroi, tirant avec lui son arc miraculeusement intact, son sac déchiré devenu inutile et ses flèches absentes. La faim l'avait tiraillé, compagne dérisoire face à la souffrance innommable qui l'accompagna à chaque instant. Il avait entouré son genou brisé avec les restes de son sac, refusant de s'y intéresser davantage. La moindre tentative de mouvement, le moindre contact, l'avait jeté sans attendre dans les ténèbres de l'inconscience et il ne pouvait pas se permettre de dormir, pas alors qu'il était en territoire sauvage à la merci du premier prédateur venu. Heureusement ce fut un groupe de Mésorians qui tomba sur lui, l'emmenant avec eux, le traînant sur une civière improvisée. Il sombra au bout de quelques minutes seulement, secoué de hauts le cœur comme les cahots de la route envoyaient des ondes de douleur dans tout son corps.
Des mois furent nécessaires avant qu'il puisse mettre un pied devant l'autre et encore le fit-il sous le regard désapprobateur du médecin du village. L'effort le lassa exsangue mais il persista, jour après jour, jusqu'à retrouver un minimum d'autonomie et pouvoir apporter son aide au sein du village. Il y travailla pour rembourser cette aide qui lui avait sauvé la vie, en profita pour se refaire une santé, se reposer un peu et confectionner de nouvelles flèches pour son arc. Heimsgard étant le seul objet qu'il récupéré intact de sa chute, une chance en laquelle il avait peine à croire.

Le froid le força néanmoins à quitter le nord, celui-ci agissant sur son genou comme une véritable torture. Il gagna le Sud et l'Île d'Opale. C'est à Opale elle-même, après s'être risqué dans une grande ville, qu'il trouva quoi faire. Son genou encore douloureux l'empêchant de faire grand chose d'autre que se reposer après quelques heures de marche seulement, son endurance réduite à néant par cette faiblesse malvenue, il se reposait sur une terrasse lorsqu'une domestique se mit à hurler. Il épingla le voleur à l'aide de ses flèches, prenant un plaisir retors à voir combien, genou ou pas, il était encore doué une fois son arc entre les doigts. C'était tellement bon de se sentir plus qu'un simple infirme inutile !
Son sentiment de satisfaction ne fit que s'accroître lorsqu'un noble se présenta à lui, remarquant presque immédiatement ce que nombre de Mésorians n'avaient pas vu de prime abord : son appartenance au peuple Torkos. Un travail lui fut offert : garde du corps d'une demoiselle et il accepta bien volontiers. C'était en fait moins un travail qu'une nouvelle condition d'esclave mais il était sûr de deux choses. La première s'avérait être la plus positive des deux : il avait été élevé dans l'amour du travail bien fait, dans l'éloge du service aux Mésorians, écoutant les Torkos louer leurs maîtres d'hier. Il n'avait jamais rechigné à travailler d'une quelconque façon, devenir le garde de quelqu'un n'était pas hors de ses capacités pourvu qu'on ne lui demande pas de courir un marathon tous les jours.
La seconde était certes moins appréciable. Häagen se considère libre. Il est né comme tel et s'il a accepté de se plier au devoir que la famille Hurlevent lui a confié, c'est uniquement de son bon vouloir. Lorsqu'il en aura assez, lorsque le vent appellera son nom avec la douceur d'un amant, quand il décidera qu'Habeth ne nécessite plus sa présence... il partira. Il suivra ces sentiers tortueux qui ont probablement vu passer son père un jour passé, il vivra au jour le jour et peut-être un jour aura-t-il la chance de se venger de Bersok et de sa malédiction.