L'arrivée des deux Maustes au campement Ereshaï avait été un événement, mais Dhankin n'était pas là pour y assister. Comme il le faisait régulièrement, il était à ce moment là parti en promenade avec deux griffos du clan. Ceux qui avaient un compagnon attitré avaient en effet l'occasion de se dégourdir les ailes et les pattes en sa compagnie, et certains autres, dignes de confiance, étaient libres d'aller se balader seuls. Mais ce n'était pas le cas de ces deux-là, prompts à se perdre et à faire des bêtises, qui ne pouvaient donc profiter d'un peu de liberté que sous la supervision du Loupiot, ou de quelques autres membres du clan en qui il avait confiance pour les surveiller et qui avaient le temps et l'envie de le faire.

Le Dresseur n'était rentré qu'en soirée, à l'heure du dîner, où il apprit la présence des invitées. Il serait volontiers allé les accueillir à son tour, mais les deux jeunes femmes étaient déjà bien entourées en pleine discussions, et il ne voulait pas s'imposer. De toute façon, il ne doutait pas qu'il aurait l'occasion de rencontrer chacune, d'après ce qu'il en avait entendu : l'une était la sœur de Kakku, que son ami lui présenterait sans doute, et on lui avait dit que l'autre était une dresseuse, et qu'elle avait amené des griffos. Il se contenta donc, pour la soirée, de les observer de loin tout en prenant part aux discussions, encore plus joyeuses que d'ordinaire.

Et en effet, il n'eut pas à attendre bien longtemps. À l'aube du lendemain, alors qu'il venait tout juste de se lever, il eut la surprise en sortant de sa yourte de constater qu'il avait déjà de la visite. C'était plus que rare, à cette heure si matinale, mais il ne s'en étonna pas, reconnaissant immédiatement de qui il s'agissait. Difficile d'avoir des doutes d'ailleurs, la jeune femme étant entourée de trois griffos qui n'étaient pas du clan. Alors que le Loupiot approchait, l'okanakie se retourna et l'observa un instant avec le sourire, auquel il répondit chaleureusement, la saluant selon la tradition en même temps qu'elle se présentait.

« C'est bien moi ! Heureux de faire enfin ta connaissance. J'ai beaucoup entendu parler de toi. »

Un sourire malicieux ponctua sa remarque. Il voulait parler de la veille bien sûr, où les deux arrivantes avaient naturellement été l'objet de toutes les conversations, mais aussi de Kakku, qui lui avaient parlé de son ancien clan, surtout de sa famille, mais la dresseuse avait aussi été mentionnée quelques fois, ainsi que d'autres personnes. Le regard du Loupiot dériva naturellement sur les griffos, qu'il observa avec curiosité, mais aussi une certaine affection. C'étaient de bien belles bêtes, tous les trois et, malgré la fatigue du voyage, et la nervosité bien compréhensible des deux plus jeunes – il supposait que c'était la première fois qu'ils se retrouvaient si loin de ceux qu'ils connaissaient, entourés d'inconnus – il pouvait voir qu'ils avaient toujours été bien traités et soignés.

Les rumeurs de la veille disaient que les deux jeunes étaient destinés à rester, offerts ou échangés, mais le dresseur ne voulait pas présumer et préférait attendre que sa collègue lui explique elle-même les raisons de sa présence avant de se faire des idées. Et, s'il avait hâte d'en venir au cœur du sujet, à ce qui le passionnait, les passionnait tous les deux, d'ailleurs, à ce qu'il en savait, son impatience ne lui faisait pas oublier la politesse. Son regard revint donc sur Ketzaly en même temps qu'il se passait la main dans les cheveux dans un geste machinal, faisant cliqueter les anneaux de bois et de métal qui les ornaient, et qui lui tirèrent un léger frisson lorsqu'ils effleurèrent son dos nu.

« J'espère que toi et tes compagnons avez fait bon voyage. Si j'étais rentré plus tôt hier, je t'aurais proposé de m'occuper d'eux pendant que tu t'installais. »

Le dresseur se contenta de hocher la tête en souriant à la réponse de la jeune femme. Si ça n'était pas un problème pour elle, alors il n'avait rien à y redire. D'ailleurs, en vérité il aurait probablement agit de la même façon s'il avait été à sa place, il la comprenait donc parfaitement. La réaction du griffo à la mention de son nom ne lui échappa pas, lui tirant un sourire amusé. Il y avait une complicité évidente entre la monture et sa dresseuse, qui faisait plaisir à voir.

La réplique suivante lui tira un petit rire, puis il profita d'en avoir reçu l'invitation implicite pour observer un peu plus attentivement les jeunes griffos qu'elle désignait. Ils avaient chacun une carrure très différente – un point toujours intéressant pour un élevage, nota-t-il distraitement – mais étaient tous les deux superbes. Malgré leur inquiétude, bien naturelle étant donné étant donné les circonstances, ils n'étaient pas excessivement effrayés et ne montraient aucun signe d'agressivité. Ils étaient aussi parfaitement obéissants, comme elle le démontra en sifflant pour les faire approcher.

La Mauste avait de toute évidence aussi hâte que lui d'amener la discussion sur les raisons de sa présence. Tellement hâte, en fait, qu'elle en sauta même une ou deux étapes au passage en lui annonçant tout de go qu'il pourrait finir de les dresser à son goût, mais sans préciser ce qu'elle entendait par là. Il ramena donc son attention sur elle, l'interrogeant du regard avec un haussement de sourcils perplexe.

Il n'eut pas besoin d'ajouter quoi que ce soit pour qu'elle comprenne, et s'explique davantage. Les rumeurs étaient donc fondées, il allait bien y avoir un rapprochement entre les Maustes et les Ereshaïs ! C'était une très bonne nouvelle, d'après ce qu'il avait entendu dire d'eux par Kakku, une alliance pourrait effectivement être très profitable aux deux clans. D'autant plus, pour les Ereshaïs, après l'épisode de Gropoulé et l'inquiétude que son apparition avait fait naître...

Mais il n'avait guère envie de se pencher sur ces sombres appréhensions, surtout si tôt le matin. Les chefs de clans sauraient prendre en main la situation, il n'en doutait, il avait toute confiance en Kanaeko. En tant que Dresseur, son premier devoir concernait les griffos, et c'était sur eux qu'il comptait se concentrer. Et, de ce point de vue là, l'initiative de Ketzaly ne pouvait que lui plaire !

« C'est une excellente idée ! »

Difficile de savoir si son entrain était adressé au projet général, à la proposition de la dresseuse, plus simplement à son invitation de venir observer les griffos de plus près, ou encore au trois en même temps. Quoi qu'il en soit, il n'eut pas besoin de se le faire dire deux fois et s'approchait déjà des montures.

Ses gestes étaient doux, sans pour autant sembler retenus ; il laissa aux griffos le temps de le renifler et de s'habituer à sa présence sans chercher à s'imposer à eux. Il leur parlait à mi-voix, prononçant des paroles indiscernables d'une voix apaisante. Il attendit de les sentir suffisamment en confiance avant de seulement faire mine d'essayer de les toucher, ce qui ne prit pas très longtemps. Comme elle l'avait annoncé, ils n'avaient rien de farouche, et se laissaient volontiers  faire.

En quelques instants, il avait déjà adressé plus de mots aux montures qu'à leur accompagnatrice depuis son arrivée. Si le dresseur s'était montré amical et accueillant envers Ketzaly, et aucunement gêné par sa présence, il suffisait de le voir à cet instant pour comprendre qu'il était infiniment plus à l'aise avec les griffos qu'avec les gens. Mais, et sans doute pour la première fois, il avait en face de lui quelqu'un qui, peut-être, pouvait le comprendre à ce propos.

Pendant ce temps, Kalya s'était réveillée à son tour et approchée pour voir ce qu'était cette agitation bien matinale. Elle considéra ses trois congénères étrangers depuis l'autre côté de la barrière, puis s'attarda davantage sur les deux qui étaient attachés. D'une part, Dhankin était en train de les cajoler, ce qui prouvait qu'ils étaient au moins des amis de l'enclos ; d'autre part, s'ils n'étaient plus vraiment des griffoins, ils restaient jeunes, ce qui réveillait son instinct maternel.

Dressée sur ses pattes arrières, les serres en appui sur la barrière pour pouvoir se tendre davantage vers eux, elle renifla les nouveaux venus avant de lancer un concert de roucoulements et de claquements de bec auxquels les autres se joignirent, un peu timidement en ce qui concernait les deux jeunes. Une fois le semblant de discussion terminée, la griffone ramena ses pattes avant au sol, avant de remuer la tête à la manière dont un humain hocherait en signe d'approbation.

Le dresseur, qui avait observé tout ce petit manège d'un air amusé, se tourna vers sa collègue pour annoncer avec un large sourire :

« Eh bien, on dirait qu'ils sont déjà adoptés ! Je te présente Kalya, ma griffone, meilleure amie et assistante. J'ai plusieurs griffos que je pourrais te confier, d'autres que je tiens à garder mais que je peux sans problème te prêter simplement pour la reproduction. Si tu veux venir les voir, je te laisserai me dire ceux qui te conviendraient. Et on pourra en profiter pour présenter tes deux choupinets à la famille et voir comment ça se passe. »

Ce n'était pas tout à fait un accord, et pour cause, Dhankin avait toujours beaucoup de mal à se séparer de ses griffos, et il lui faudrait davantage que quelques minutes pour se décider à en confier à la Mauste, mais au moins cela lui semblait-il envisageable. Même s'il la connaissait très peu, les trois griffos qu'elle avait amenés avec elle étaient la preuve qu'il pourrait lui faire confiance pour s'occuper des siens, si l'échange se faisait effectivement.

HRP:

 La jeune femme le laissa faire et en profita même pour l'observer. Il approchait les griffos de la même manière que son père le faisait, avec beaucoup de douceur et de patience. Il n'existait pas une méthode unique et universelle pour établir un contact avec ces animaux, chaque dresseur était libre de faire les choses comme il l'entendait, selon son propre caractère. Les deux jeunes semblèrent perplexe pendant un moment, mais finirent par accepter le contact sans rechigner. C'est alors qu'entra en scène une nouvelle venue.
Visiblement très intriguée par ce qui se passait de l'autre côté de la barrière, la griffonne passa le bec par-dessus la rambarde pour en savoir un peu plus sur les nouveaux arrivants. Tlaloc tourna vers elle son regard mordoré et lui répondit par un claquement de bec avant de s'ébrouer en gonflant ses plumes. Il préférait suivre l'échange que d'y participer visiblement. Sa queue battait nerveusement derrière lui et Ketzly put sentir ses muscles frémir sous sa main. Il était en territoire inconnu et allait rencontrer les griffos qui vivaient ici, cela le rendait un peu méfiant apparemment. Pour une fois, il n'était pas en terrain conquit et devait se comporter comme un invité et non comme un propriétaire.

 La remarque de Dhankin fit sourire la jeune femme, qui hocha la tête pour marquer son assentiment. Elle savait de quoi elle avait besoin et espérait pouvoir trouver son bonheur dans l'élevage des Ereshaïs. Dans son esprit, les liens parentaux de ses griffos étaient très très, même s'ils remontaient à deux générations, et elle savait quelles femelles devaient trouver un nouveau partenaire pour que son petit troupeau reste en bonne santé. Un échange serait le mieux pour confirmer l'accord entre les deux clans, mais elle n'aurait pas son mot à dire si on ne faisait que lui prêter des mâles. Son père trouverait certainement à se plaindre d'avoir perdu deux bêtes, mais elle préférait faire des concessions pour entretenir de bonnes relations plutôt que d'exiger des choses.

 — Avec plaisir ! Je te laisse ouvrir la marche.

 Elle détacha les deux griffos qu'elle avait amené et fit un signe à son compagnon ailé pour qu'il la suive également. Elle caressa l'encolure de Synany, qui roucoula doucement en réponse, et fit ce qu'elle faisait toujours avec ses griffos : leur parler comme s'ils étaient des humains.

 — Je compte sur vous les garçons, soyez gentils avec votre nouveau groupe. Une première impression compte beaucoup. Détendez-vous, je ne vous abandonne pas.

 A présent qu'elle avait exposé son projet, elle sentait son cœur se serrer à l'idée de laisser partir ses deux bébés. Après tout, elle les avait vu naître et les entraînait depuis leur plus jeune âge, elle avait même veillé Synany pendant trois jours quand il avait été malade. C'était pour le bien du troupeau et pour celui de l'accord de paix entre les deux clans, mais ça restait assez déchirant.

 Une fois dans l'enclos, elle détacha les deux petits pour les laisser établir eux-même le contact. Il fallait qu'ils apprennent un peu par eux-même, Ketzaly prônait l'autonomie pour ses griffos, préférant qu'ils sachent se débrouiller seuls plutôt que de toujours compter sur les humains. Ce n'était pas parce qu'elle préférait les griffos aux gens, elle pensait simplement qu'il valait mieux prévenir à  toutes les éventualités et quand un okanaki est séparé de son griffo, il faut que la bête soit capable de se débrouiller toute seule.
 Tlaloc jetait des regards à la fois intrigués et farouche sur les environs, sans quitter sa dresseuse d'une semelle. Il considérait parfois Dhan, comme si il cherchait à se faire une opinion sur ce petit Deux-Pattes.

 La dresseuse observa rapidement tous les griffos présents dans l'enclos, flashant déjà sur quelques bêtes qui semblaient avoir du caractère. Ce spectacle lui rappelait qu'elle était loin de son propre élevage et que cela lui manquait déjà de ne pas pouvoir s'asseoir au milieu des griffoins pour jouer avec eux.

 — Je vois déjà que tu as de bonnes bêtes. C'est amusant de te voir faire avec eux, j'ai l'impression d'entendre mon père. Tu es dresseur depuis longtemps ? demanda-t-elle avec un petit sourire.

HRP:

L'entendre s'adresser à ses griffos comme elle aurait pu le faire à des humains tira un petit sourire discret à Dhankin. C'était une habitude qu'il avait lui aussi, comme d'ailleurs la plupart des Ereshaï, en réalité. Pour eux, les griffos étaient des membres du clan à part entière, tout simplement, et étaient respectés comme tels. Même si pour le Loupiot, bien sûr, ils étaient aussi plus que ça. En tous les cas il appréciait de voir que c'était une chose que la dresseuse partageait.

Kalya les avait suivis depuis l'intérieur de l'enclos tandis que le petit groupe le contournait pour rejoindre ce qui tenait lieu d'entrée, une simple poutre comme les autres, mais attachée d'un seul côté et dotée d'un contrepoids afin de pouvoir la soulever plus facilement. De toute façon, l'enclos dans son ensemble était plus symbolique qu'autre chose, tant les griffos pouvaient facilement sauter la barrière, ou purement et simplement s'envoler pour prendre le large. Mais ça n'avait jamais posé problème, d'autant que la plupart d'entre eux étaient libres d'aller et venir à leur guise.

Lorsqu'ils furent à l'intérieur, la griffone vint tout d'abord réclamer quelques caresse avant de se mettre en tête des deux jeunes, semblant décidée à leur faire le tour du propriétaire – et à veiller à ce que leur accueil par le reste du groupe se passe au mieux. Certains des griffos commençaient à se rassembler autour des deux humain dans l'espoir de mendie quelques friandises, habitués à ce que les nourrir soit la première chose que fasse le dresseur à son arrivée, mais ce dernier les chassa gentiment en leur faisant comprendre qu'ils devraient attendre encore un peu aujourd'hui.

Du coin de l'œil, il observait l'intégration des deux jeunes de Ketzaly, veillant à ce qu'il n'y ait pas de problème, en même temps qu'il jetait machinalement un regard circulaire à l'ensemble de l'enclos pour s'assurer que tout son petit monde se portait bien. Il se tira de ses observations quand la dresseuse reprit la parole, et se retourna vers elle en souriant, supposant au ton qu'elle avait employé que la comparaison était presque autant un compliment que la remarque sur les griffos. Il prit un air pensif, le temps de réfléchir et de compter mentalement, avant de répondre enfin :

« Officiellement et tout seul ? Ça doit faire... six ans à peu près. Kalya a été la première, environ trois ans avant ça. Il avait toujours un sourire un peu attendri quand il repensait au petit griffoin qu'elle était quand Iltan la lui avait confiée, qui se dissipa quelque peu lorsqu'il reprit, curieux : Et toi, ça fait combien de temps ? C'est toi qui a dressé Tlaloc ? »

Il avait posé la question avait l'air de n'avoir guère de doute sur la réponse. Il y avait presque toujours, du moins d'après ce qu'il avait pu remarquer, entre un dresseur et son griffo un lien particulier, unique, et facilement reconnaissable pour qui savait regarder. Il aurait également pu l'interroger sur son père, dont il supposait, d'après ce qu'elle avait dit, que c'était lui qui lui avait appris le métier, mais, si la famille n'était pas un sujet qui le dérangeait en soi, il ne l'abordait quasiment de lui-même.

Quant à la question de savoir si elle voyait déjà des bêtes susceptibles de l'intéresser, elle pouvait attendre encore un peu. Si un peu plus tôt il avait eu hâte d'en venir au cœur de la discussion, il n'était plus si pressé maintenant qu'il s'agissait de se séparer de certains de ses "bébés" – même si la séparation ne serait de toute manière pas pour tout de suite, puisqu'elle resterait sans doute au moins quelques jours avant de retourner auprès des siens. Et puis il préférait en profiter pour prendre le temps de se faire une idée sur elle, se contentant de suivre la discussion là où elle choisirait de la diriger.

L'air joyeux de Dhankin s'effaça en entendant les explications de Ketzaly, laissant place à une mine sérieuse et compréhensive. Le dressage pouvait s'avérer dangereux, c'était l'une des premières choses que son mentor lui avait enseignée, et les accidents n'étaient pas rare. Iltan en avait eu son lot en son temps, quoi que heureusement aucun d'assez grave pour le mettre réellement en danger, et le Loupiot avait quelques cicatrices qui lui rappelaient de ne jamais présumer trop présomptueux face à un griffo.

Toutefois, son sourire réapparut, un peu attendri, lorsque la Mauste changea de sujet pour parler de son griffo. Comme il s'en doutait, c'était bien elle qui l'avait dressé, et, comme Kalya pour lui, il avait été son premier. Le dresseur se demanda brièvement si c'était une chose commune à tous les dresseurs, ce lien particulier conservé envers le premier griffo qu'ils ont dressé. Lui en tout cas n'imaginaient pas que les choses puissent aller autrement.

Il lâcha un petit rire quand elle mentionna qu'elle avait choisi le plus turbulent des griffoins. Il n'était pas sûr qu'il aurait fait ce genre de choix lui-même s'il l'avait eu, mais ce n'était qu'une question de tempérament sans doute. En tous les cas, à voir Tlaloc aujourd'hui, il n'aurait jamais deviné. S'il avait effectivement l'air d'avoir du caractère, il se comportait impeccablement, preuve du talent de sa dresseuse.

« Je n'ai pas eu le plaisir de croiser Itako, mais en tous cas je peux déjà dire que tu as fait un très bon travail avec Tlaloc ! »

Ce n'était pas de la flatterie, simplement une expression sincère de ce qu'il pensait, qu'il avait d'ailleurs lancé moins pour faire un compliment que tout simplement histoire de dire quelque chose.  Il avait souvent tendance à laisser parler les gens, et n'intervenir que quand ça lui semblait nécessaire – quand on lui posait directement une question, par exemple – mais savait que cette habitude mettait souvent les gens mal à l'aise. Les Ereshaï avait l'habitude, évidemment, mais leur invitée ne le connaissait pas, et il préférait faire quelques efforts que de la laisser croire qu'il n'appréciait pas sa compagnie et sa conversation.

Il observa un moment l'interaction entre la jeune femme et son griffo, un geste simple, mais qui suffisait à montrer la relation unique qui les unissait. Ce n'aurait peut-être pas été évident pour tout le monde, mais lui ne voyait que ça, sans doute parce qu'il la comprenait très bien. Lui-même n'avait pas besoin de chercher Kalya du regard pour savoir qu'elle se trouvait non loin, veillant sur les jeunes tout en lançant de temps en temps un regard vers son compagnon humain pour s'assurer qu'il n'avait pas besoin d'elle. Il n'avait jamais très bien su si son cerveau enregistrait simplement ces informations qui lui permettaient de savoir en permanence où se trouvait sa griffone, ou si c'était un lien plus profond, mais peu lui importait au fond, tant qu'il savait qu'elle était là, près de lui.

Il sortit de ses pensées avant même que Ketzaly ne reprenne la parole, s'étant tourné vers elle en sentant son regard sur lui. La proposition élargit son sourire, même si ce n'était pas grand-chose il avait l'impression que ça signifiait beaucoup, comme un signe de l'entente à venir entre leurs deux clans. Il ne serait sans doute jamais venu à l'idée du dresseur de lui réclamer son aide, mais l'offre est bienvenue, et à sa place, il en aurait certainement fait autant.

« Volontiers, merci ! Et ton "gros pépère" est évidemment invité le bienvenu ! »

Il se dirigea vers un côté de l'enclos, invitant Ketzaly à la suivre. Là se trouvaient plusieurs sacs contenant des fruits, des restes de viande fraîche de la veille, ainsi que de la viande préparée pour se conserver. Plusieurs mangeoires étaient réparties à travers l'enclos, dont une sous la peau tendue en auvent sur un des côtés de l'enclos, qui servait d'abri pour les griffos en cas de mauvais temps, et où quelques-uns restaient, trop vieux ou malades pour beaucoup se déplacer.

Avec l'aide de la jeune femme, après lui avoir donné les explications nécessaires, le Loupiot s'affairait à mettre dans chaque mangeoire un mélange des aliments qu'il avait à sa disposition, veillant chaque fois à ne pas trop les remplir. Certains dresseurs, il le savait, nourrissaient une seule fois leurs griffos, mais lui préférait leur donner moins, mais plusieurs fois. C'était certes plus de travail, mais cela assurait qu'ils ne se goinfraient pas, et qu'ils aient de la nourriture qui restait fraîche tout au long de la journée.

Tout en travaillant, il répondit d'un ton amusé et curieux à la dernière remarque de la Mauste. Lui avait déjà eu l'occasion de rencontrer d'autres dresseurs, quelques fois, et de discuter avec eux. Il avait bel et bien constaté des différences dans leurs façons de faire, certaines même qu'il ne comprenait pas voire désapprouvait totalement, mais il ne s'en était en revanche jamais vraiment étonné, trouvant au contraire cela plutôt naturel.

« Ah oui ? C'est vrai que chacun a sa manière de faire, et que certaines sont parfois assez surprenantes... Est-ce qu'il t'avait de choses en particulier qui l'avaient marquées ? J'ai toujours trouvé ça intéressant personnellement, je trouve qu'on en apprend beaucoup sur quelqu'un simplement en regardant comment il se comporte avec des griffos ! »